Guerre commerciale : un surcoût de 35 à 70 M€ pour les exports de fromages français
TNC le 02/05/2025 à 17:30
L’administration Trump a imposé en avril une surtaxe de 10 % sur les produits européens importés, avec une possible hausse à 20 % en juillet. Cette décision menace les exportations vers les États-Unis, marché clé pour les produits laitiers européens et notamment les fromages français.
Depuis le 5 avril, les exportateurs européens de produits laitiers doivent faire face à un droit de douane additionnel de 10 % imposé par l’administration Trump. Et la menace d’un durcissement plane toujours : une surtaxe de 20 % pourrait entrer en vigueur en juillet, à l’issue de la suspension de 90 jours décrétée par le président américain après ses annonces choc de début avril.
Dans ses dernières Tendances, l’Idele revient sur les bouleversements que cette politique protectionniste pourrait provoquer sur le marché mondial des produits laitiers, où les États-Unis jouent un rôle central.
Le pays n’était jusque-là « pas fermé aux échanges », bien au contraire : malgré une autosuffisance laitière qui dépasse les 110 %, il importait ces derniers temps de plus en plus de produits laitiers. En 2024, ces achats ont atteint un record de 5,1 Md€, en hausse de plus de 10 % sur un an, avec en tête les fromages puis les poudres de lait réengraissées et le beurre.
Poids lourd aussi à l’export, le pays a vendu 7,4 Md€ de produits laitiers à l’étranger en 2024 (+ 2,6 % /2023), notamment des fromages, de la poudre maigre, de la poudre de lactosérum et des produits dérivés du lait (WPI, lactose pharmaceutique).
L’Union européenne avait su tirer parti de l’appétit croissant des consommateurs américains. En 2024, elle a exporté pour 2,29 Md€ de produits laitiers vers les États-Unis, en hausse de 11,4 % sur un an, et deux fois plus qu’il y a dix ans. Les fromages représentaient plus de la moitié de cette valeur, suivis du beurre, des caséines et du lait infantile.
Entre 2022 et 2024, les États-Unis ont absorbé en moyenne 15 % des exportations de fromages européens, 23 % pour le beurre et 26 % pour les caséines. Une dépendance qui pourrait se transformer en vulnérabilité pour l’UE en cas de conflit commercial prolongé
L’Hexagone, un peu moins dépendant du marché américain
Et la France ? Elle a vu ses ventes de produits laitiers vers les États-Unis bondir à 349,5 M€ en 2024 (+ 16,4 %/2023). Particularité française : l’exportation de yaourts, entamée en 2022, « représentait en 2024 le deuxième poste d’exportation en valeur, avec 50 M€ ».
En moyenne sur trois ans, les yaourts représentaient 14 % des envois en valeur de produits laitiers français vers les USA, à égalité avec les caséines et loin derrière les fromages : 63 %, avec chaque année 20 000 à 25 000 t expédiées outre-Atlantique.
Mais l’Hexagone reste toutefois un peu moins dépendant du marché américain que certains voisins européens : entre 2022 et 2024, les États-Unis n’ont concentré que 5 % de ses ventes de fromages, 14 % de celles de yaourts et caséines, et 3 % du beurre et butteroil.
Cette hausse unilatérale des droits de douane rappelle l’épisode de 2019, quand Donald Trump avait imposé une surtaxe de 25 % sur de nombreux produits laitiers européens dans le cadre du différend Airbus-Boeing. En un an, la part de marché des fromages européens aux États-Unis avait reculé de 74 % à 71 % en valeur et de 72 % à 68 % en volume, « avant de se rétablir partiellement ».
Mais, souligne l’Idele, la pandémie de Covid-19 a aussi bouleversé les échanges en 2020 et a pu contribuer à ces évolutions. Et il est d’autant plus « difficile de tirer des conclusions claires du précédent de 2019 » que l’UE est pour le moment soumise aux mêmes hausses de droits que les autres fournisseurs des USA, ce qui réduit les effets de substitution.
Le secteur des fromages semble « particulièrement sensible en France comme dans l’UE ». Ces produits étaient déjà soumis à des droits de douane et à des quotas stricts pour accéder au marché américain : 417 tonnes pour le cheddar, 6 389 pour l’Edam et le Gouda, jusqu’à 25 632 tonnes pour d’autres variétés.
Surcoût de 35 à 70 M€ pour les exportateurs français
Depuis le 5 avril, la hausse de 10 % renchérit mécaniquement le prix des fromages européens aux États-Unis. D’après l’Idele, cela représente une augmentation de 0,60 à 1,60 €/kg pour les cinq principaux fromages français à base de lait de vache expédiés aux USA. Si la surtaxe grimpe à 20 % en juillet, les prix pourraient s’élever de 1,20 à 3,20 €/kg. Au total, selon l’ampleur de la hausse tarifaire, on assisterait à un coût supplémentaire estimé entre 35 et 70 M€ pour les exportateurs français.
À l’échelle du marché mondial des produits laitiers, les conséquences de cette politique tarifaire pourraient être multiples, bien que très hypothétiques « tant le contexte demeure mouvant ».
Si l’administration US met bien en place des hausses de droits différenciées selon les pays au mois de juillet, des écarts importants de compétitivité pourraient apparaître pour les ingrédients laitiers et les fromages industriels. L’UE verrait alors sa position affaiblie face à des concurrents comme la Nouvelle-Zélande, l’Australie ou l’Argentine, avec notamment un recul de ses exports de beurre.
Autre source d’incertitude : les relations commerciales entre la Chine et les États-Unis, qui semblent ces derniers jours osciller entre escalade et potentielles négociations. Les États-Unis exportent plus de 50 % de leur production de lactosérum et de lactose, dont la Chine est le principal acheteur. Une montée des droits de douane dans ce contexte pourrait profiter à d’autres exportateurs… dont l’UE.
Enfin, une guerre commerciale d’ampleur pèserait sur les exportations américaines, « qui ont encore besoin de nouveaux marchés pour écouler leur production », note l’Idele. Elle pourrait affecter plus largement la croissance mondiale. Le FMI vient d’ailleurs de revoir à la baisse ses prévisions pour les mois à venir.