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Difficultés des agriculteurs

Etre agriculteur, une liberté « très chère payée »


AFP le 19/02/2024 à 13:20

Pas de 35 heures, de weekend ou de vacances... En travaillant sept jours sur sept, avec des journées à rallonge et un rythme épuisant, nombre d'agriculteurs ne gagnent même pas l'équivalent d'un Smic, voire flirtent avec le seuil de pauvreté.

Selon l’Insee, près d’un ménage agricole sur cinq vit sous ce seuil (1 737 euros pour un couple sans enfant en 2021). Témoignages de trois exploitants qui peinent à joindre les deux bouts.

« Beaucoup de sacrifices »

Élevée à la campagne en Argentine entre vaches et chevaux, Elizabeth Miorin n’envisageait pas de travailler entre quatre murs. Devenue agricultrice bio à Villaudric (Haute-Garonne), « une liberté très chère payée », cette maraîchère de 51 ans cherche une voie alternative ou complémentaire à son activité qui lui rapporte moins de 700 euros par mois.

« Ça fait 14 ans que je galère, je travaille comme un tracteur, des heures à genoux dans le froid ou la chaleur extrême. L’été, il fait parfois 50 degrés dans la serre. Je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir », témoigne-t-elle.

« Je n’ai pas vu mes enfants grandir, on ne prenait même pas de weekends car je faisais les marchés. C’est beaucoup de sacrifices pour pas grand-chose », poursuit l’agricultrice qui n’a pas de loyer à payer et vit notamment grâce au salaire de son mari, manutentionnaire et entraîneur de rugby.

Ses légumes, cultivés dans une serre de 2 000 m2 et un champ de 4 000 m2, elle les vend exclusivement sur un marché toulousain. « Les cinq premières années je ne gagnais quasiment rien », se souvient-elle.

Ses dettes remboursées, elle veut lever le pied sur le maraîchage. « Je travaille sur un projet de gîtes à la ferme et je me forme en parallèle pour travailler avec les chevaux et faire de l’équithérapie. »

« On vit avec pas grand-chose »

Dans l’agriculture, « on pousse les gens à surinvestir, à produire toujours davantage. C’est un cercle vicieux dans lequel j’essaie de ne pas tomber ».

Installé à Saint-Just-Ibarre, dans les montagnes basques, Beñet Etcheto, 41 ans, a repris en 2005 l’exploitation d’un grand-oncle. Il y élève plus de 200 brebis laitières et une vingtaine de Blondes d’Aquitaine.

Il vend environ 1,37 euro le litre son lait à une coopérative qui produit du fromage AOP Ossau-Iraty. « Je gagnerais bien plus en produisant moi-même mon fromage mais avec la surcharge de travail que j’ai, c’est impossible », explique-t-il.

Ce père de deux enfants, qui fait des journées de plus de 10 heures, vend également une dizaine de veaux par an.

En remboursant annuellement quelque 19 000 euros de crédit pour des investissements sur sa « petite exploitation », il lui reste à peine l’équivalent d’un Smic pour vivre, en plus du salaire d’enseignante de sa compagne.

« On a subi de plein fouet l’inflation. On vit avec pas grand-chose, on essaie d’être au maximum autonome au niveau de l’alimentation. On a notre lait, notre viande, notre jardin, on n’achète quasiment rien », explique-t-il.

« Un métier passion »

« Ça fait trois ans que je fais une très mauvaise saison. Une année de plus comme ça et j’arrête », tranche Angélina Turani, apicultrice à Brouqueyran (Gironde) depuis neuf ans.

Avec près de 400 ruches et des journées de travail pouvant s’étendre de 4 h à 22 h, il ne reste qu’« entre 7 000 et 10 000 euros par an pour vivre » à l’apicultrice de 34 ans. Soit entre 580 et 830 euros mensuels.

Sans le salaire de son compagnon, employé dans un abattoir, la jeune mère de famille ne s’en sortirait pas.

« Qui accepte ça ? Le problème c’est que c’est un métier passion, qui se transmet de génération en génération, ce n’est que pour ça qu’on continue », estime celle qui a suivi les traces de son père.

Elle vend son or jaune à un négociant, qui fixe lui-même le prix: entre quatre et huit euros le kilo. Vendu ensuite au consommateur à environ 20 euros le kilo. « Pour m’en sortir, il faudrait que je puisse vendre mon miel à 12 euros le kilo ».

« Mon père m’a dit l’autre jour : « Je n’aurais jamais dû t’installer, tu aurais dû rester ouvrière ». C’est triste, ça me donne envie de pleurer », confie Angélina Turani.