Transmission

Et si on arrêtait de racheter le capital agricole à chaque génération ?


TNC le 05/12/2023 à 11:52
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Difficile pour les jeunes installés de racheter le capital, et d'effectuer conjointement des investissements. (© TNC)

Le rachat du capital mine généralement le revenu des jeunes installés. Pour trouver des solutions, l’Institut de l’élevage s’est inspiré d’autres secteurs d’activité, voire d’autres pays, pour analyser des méthodes de transmissions innovantes.

Robotisation, automatisation, agrandissement des cheptels… Autant d’éléments qui contribuent à la capitalisation des agriculteurs. En France, la transmission des exploitations sous-tend généralement le rachat du capital, suivi d’une phase d’investissement. Un modèle qui demande d’immobiliser beaucoup d’argent, pour une rentabilité parfois faible. « D’autant que le niveau d’actifs investis ne présage pas forcément de la réussite économique de l’exploitation », insiste Benoît Rubin, du service économique de l’Institut de l’élevage à l’occasion des rencontre Résilience for dairy.

Face à ce constat, le conseiller de gestion s’est penché sur les modalités de portage du capital dans d’autres pays et d’autres secteurs. « Il est urgent de trouver d’autres manières de transmettre le capital pour favoriser le renouvellement des générations », poursuit Benoît Rubin. « Il y a souvent un décalage énorme entre responsabilités prises, et prélèvements privés permis ».

Mais le système est ainsi fait que nombre d’agriculteurs comptent sur la reprise de l’exploitation pour financer leur retraite. « Un agriculteur n’est riche qu’une fois dans sa vie : lorsqu’il cède sa ferme », lance un agriculteur à l’occasion de la conférence. Difficile alors de concilier les deux parties.

Pour tenter d’y parvenir, l’Idele suggère trois modalités de portage, inspirées du monde de la pêche, de l’artisanat, voire de l’étranger. Et les bouleversements culturels sont grands.

1. La forme coopérative

« Des Scop existent dans l’artisanat, alors pourquoi pas en agriculture ? ». Les formes sociétaires coopératives supposent qu’une partie du capital soit la propriété de l’entreprise, et soit impartageable. Les associés sont alors salariés de la structure et travaillent pour l’exploitation.

Le résultat est partagé de la manière suivante : une partie est rétribuée aux coopérateurs, par rémunération du capital social détenu, et une seconde partie est transformée en capitaux propres de la société.

« L’avantage, c’est que le capital n’est pas à apporter à chaque génération. On peut s’installer avec 10 000 € », note Benoît Rubin. Autre atout, les cotisations sociales sont prélevées uniquement sur ce qui est prélevé par le salarié.

Plusieurs formats sont possibles : la Scop, qui est assez utilisée dans le monde de l’industrie et de l’artisanat. La Scaec, ancêtre des Gaec, qui corresponde à une coopérative d’exploitation agricole, ou encore les Scic, dont le capital peut être porté par une personne morale ou collectivité territoriale.

Mais des freins existent. Le statut de salariés fait que les agriculteurs ne pourront pas prétendre à la DJA.

Autre inconvénient, et pas des moindres : l’absence de valorisation pour le cédant. Le passage à ce type de statut juridique suppose qu’un agriculteur renonce à toucher une reprise sur une partie du capital investi à l’occasion de son départ. « Passer à ce type de fonctionnement suppose des changements culturels très forts », insiste le conseiller.

« Cela supposerait qu’une génération se sacrifie », entend-on dans la salle. Pour les éleveurs présents, ce type de modèle serait difficilement envisageable sans compensations annexes…

2. La copropriété

Le monde de la pêche nécessite également un lourd portage de capital. Compter entre 700 000 et 800 000 € pour l’achat d’un bateau de pêche.

« Les bateaux sont généralement achetés en copropriété. Une partie est financée par le jeune installé (au moins 20 %), le reste par l’armement coopératif ». Le nouvel installé s’engage alors à racheter la totalité du bâtiment sur les 10 ans qui viennent. Pendant la période de copropriété, l’EBE est réparti entre les deux parties selon le capital apporté.

Ce mode de transmission permet de répartir les risques et d’étaler la reprise. Le bateau immobilisé entraînera un manque à gagner pour le pêcheur, mais également pour l’armement coopératif. Le jeune installé bénéficie également du soutien technique de la coopérative.

La reprise du capital à échéance des dix ans doit cependant être anticipée. « La valeur du bateau décote généralement, ce qui permet une reprise progressive et à moindres frais, mais l »investissement reste important ».

À noter que ce modèle juridique n’existe pas dans le monde agricole.

3. Le share milking

Plutôt présent en Nouvelle-Zélande, le share milking permet un partage des responsabilités et du capital. Le share milker et le propriétaire cohabitent avec des charges et des rôles bien définis.

Le share milker possède le troupeau et les équipements. Il gère le troupeau, embauche et paye la main-d’œuvre. Il prend également en garde la moitié du prix des intrants nécessaires au troupeau et aux cultures. Il perçoit 50 % du produit du lait et 100 % de la vente des animaux.

Le propriétaire met à disposition le bâtiment et les terres, et dispose de parts sociales dans la laiterie. C’est lui qui décide de la stratégie globale de l’exploitation, et paye la seconde moitié des intrants.

« Ce type de modèle permet au propriétaire de ralentir son activité tout en restant propriétaire de l’exploitation », explique Benoît Rubin. Il aide aussi les jeunes à se concentrer sur les investissements à retour rapide pour se constituer un capital. En bref, le modèle permet une transition douce entre les différentes générations, mais il a pour défaut de limiter les évolutions sur les exploitations. « Le propriétaire reste en partie décisionnaire, et pas forcément enclin à moderniser les exploitations ou à financer de nouvelles installations ».

Le share milking n’a cependant pas d’équivalent dans le droit français.