Des petits cacaoculteurs dans la crainte d’une loi antidéforestation
AFP le 02/11/2025 à 11:15
Coûteuse, voire hors sujet : des petits producteurs de cacao, réunis à Paris pour le Salon du chocolat, voient arriver avec appréhension une réglementation antidéforestation annoncée par l'Union européenne.
À partir de 2026, les importateurs de sept matières agricoles, dont le cacao, devront garantir qu’elles ne proviennent pas de terres déboisées après fin 2020.
Lancée en 2019 avec le pacte vert européen, l’idée était de profiter de la sensibilité de l’opinion à la problématique de la déforestation pour entraîner le maximum d’opérateurs, a expliqué Régis Meritan, expert à la Commission européenne et un des promoteurs de cette réglementation dite RDUE, venu échanger avec des opérateurs du cacao.
« Les gros traders, les multinationales observent le marché, » dit-il : « la mauvaise réputation acquise par l’huile de palme il y a 10-15 ans », accusée de détruire les forêts, a « laissé un souvenir dans l’industrie du chocolat », désormais consciente du « risque réputationnel à mettre sur le marché des produits non durables ».
« On espère que ce sera un élément permettant de mettre fin aux cycles de déforestation qui ont depuis toujours constitué les cycles de production du cacao et alimenté le marché mondial avec des prix bas », ajoute M. Meritan. À l’échelle mondiale, l’essentiel de la déforestation est lié à l’avancée de terres agricoles.
Dans certains pays d’Afrique, le cacao a eu un rôle majeur : un cultivateur exploite une parcelle gagnée sur la forêt, sur laquelle les cacaoyers grandissent pendant quelques années grâce à la cendre fertile, avant de ralentir, poussant le cultivateur à aller défricher à côté et à recommencer.
« La Côte d’Ivoire (premier producteur mondial, NDLR) a perdu 95% de sa forêt pour cette raison », décrit Christophe Eberhart, cofondateur d’Ethiquable, qui a organisé avec Agronomes et vétérinaires sans frontières (AVSF) un débat en marge du 30e Salon du chocolat, qui se termine dimanche.
L’intention européenne est bonne, selon lui: « Le cacao doit devenir une culture permanente, qui tire sa fertilité du sol. » Mais « la RDUE va-t-elle y contribuer ? Ne va-t-elle pas plutôt exclure les petits producteurs du marché européen », le premier mondial ? – « Un choc de plus » – L’entrée en vigueur de la RDUE a déjà été reportée d’un an, à fin 2025. La Commission européenne a proposé fin octobre de la reporter de six mois supplémentaires et de l’assouplir, notamment en réduisant drastiquement les obligations pesant sur les plus petites entreprises. Les Etats de l’UE et le Parlement doivent encore se prononcer.
« De grandes entreprises, Barry Callebaut, Nestlé, Mondelez, Kraft… ont pris position contre un report de cette loi car ils ont fait l’investissement » pour y répondre, dit M. Eberhart. Mais pour la nuée de petits producteurs pas forcément organisés, qui devront fournir la localisation GPS de leur parcelle, « c’est d’abord une contrainte », qui n’apporte pas de réponse, notamment en termes de prix.
Le Réseau ivoirien du commerce équitable (Rice), déjà certifié, y voit « une opportunité », selon son président Fortin Bley : « l’exigence de traçabilité permettra aux coopératives d’être transparentes et apportera de la durabilité à la filière cacao ». Mais « il y a les coopératives certifiées et les autres, sans beaucoup d’informations sur la RDUE », dit-il.
Luis Mendoza, président d’Alcacao, réseau latino-américain des producteurs de cacao, rappelle qu’« en Amérique latine, les grandes causes de déforestation ne sont pas le cacao ».
En revanche, le règlement européen, qui exige un produit « zéro déforestation », « traçable » et « légal », est « difficile à comprendre », dit-il : « sur la « légalité » par exemple, au Pérou, seuls 30 % des producteurs ont un titre de propriété ».
En Haïti, les cacaoculteurs ont en moyenne un hectare et « il n’y a pas lieu de parler de déforestation », avance Guito Gilot, gérant de la coopérative Feccano. « Ce sont de vieilles parcelles, qui font vivre des familles. » Il n’est pas contre la loi sur la déforestation « mais il fallait tenir compte des spécificités de certaines régions. Pour Haïti, c’est un choc de plus. On a des clients européens, et on doit géoréférencer les parcelles, c’est une contrainte financière. » Selon Romain Valleur, de l’ONG AVSF, « bon nombre de producteurs et organisations ne sont aujourd’hui pas en conformité, malgré leur investissement ». Mais, espère-t-il, cela pourrait amener les producteurs à s’organiser en vraies coopératives« et »recréer du lien ».