Covid-19 : trois regards d’agriculteurs sur la crise et leur métier
TNC le 06/05/2020 à 12:17
Nicolas Fay, réalisateur, a profité de son confinement en Haute-Vienne pour « recueillir le témoignage de professionnels ou bénévoles qui se battent au quotidien pour maintenir une certaine continuité de vie ». Des vidéos tournées, en respectant bien sûr les règles de distanciation sociale et les gestes barrières, diffusées ensuite sur sa chaîne Youtube au rythme de trois par semaine jusqu'au 11 mai. Trois agriculteurs livrent ainsi leurs ressentis sur la crise du covid-19, son impact sur leur façon d'appréhender leur métier et sur celui-ci en général. Si la pandémie semble avoir changé un peu leur regard, deux choses sont immuables : leur passion et l'importance de la transmission .
Le Dorat* solidaire, épisode 9 : « Conseil de famille »
« Sans forcer ni dissuader notre fils d’être agriculteur », il l’est devenu
Cette vidéo porte bien son nom. On se croirait en plein conseil de famille, fréquent dans le monde agricole quand il est question de transmettre la ferme. Mais ici, si le fils « n’était attiré ni par les animaux, ni par les tracteurs », dont il avait même « peur » se souvient sa mère, ses parents ne semblent pas lui en tenir rigueur. « Moi, j’ai eu la chance qu’ils ne m’aient jamais forcé » à faire ce métier, appuie Hugues Lachaume. « Même si ils auraient sans doute voulu que je les aide plus », reconnaît-il. Pour autant, l’agriculture ne le laissait pas aussi « indifférent » que sa mère le croyait, puisqu’il s’oriente vers des études agricoles.
Une décision qui a « assis » ses parents, qui aiment le mettre en boîte : « On se demandait même s’il savait combien de pattes a un mouton. ». Et Hugues de leur renvoyer la balle : « Ce sont des salariés agricoles pas chers mais bon faut les gérer ! » Surtout qu’ils vont « encore participer à la suite des événements » parce que leur fils « aura besoin d’eux » sans doute « jusqu’à leur mort ». Selon le jeune homme, « beaucoup d’agriculteurs s’installent trop jeunes parce que leurs parents veulent absolument qu’ils reprennent la ferme ». Or, aujourd’hui, « certains ne sont plus là, car ils ont arrêté et/ou vendu l’exploitation, voire commis un geste irréparable ». Après des premières paroles un brin moqueuses, le père de Hugues poursuit, parlant de son fils : « Il est doué et observateur. Il ne pose jamais deux fois la même question. » « Et il est travailleur », ajoute la mère, après avoir dit qu’il avait plein de défauts.
Car si en seulement quelques minutes de vidéo, cette famille de paysans laisse transparaître de l’amour et du respect, elle le dit peu. Comme souvent dans le monde agricole, « les compliments sont rares ». Si de nombreux exploitants découragent leurs enfants de faire « ce métier de m… », les Lachaume, eux, ne se plaignent pas. Face aux prix bas cependant, ils exhortent les citoyens français à « se reprendre en main ». À tous, producteurs agricoles compris, Hugues rappelle que « la terre n’appartient à personne et fait ce qu’elle veut ». « Peut-être qu’on a tellement tiré sur la corde que le coronavirus est là pour nous rappeler à l’ordre. Si on n’en dresse aucune conséquence, si on ne respecte pas plus ce qu’on a sous les pieds, on va droit dans le mur ! »
* Le Dorat est le nom du village de Haute-Vienne, où le réalisateur Nicolas Fay est confiné pour lutter contre la propagation du coronavirus. Il est à l’origine de cette série de témoignages vidéo de professionnels ou de bénévoles sur la crise du covid-19, publiés sur Youtube.
Retrouvez la chaîne YouTube de Nicolas Fay.
Le Dorat solidaire, épisode 11 : « En harmonie »
« Ce métier, on l’a dans le sang » de génération en génération
Même si son grand-père, producteur de moutons, a essayé de l’en dissuader, Barbara exerce le métier qu’elle a toujours voulu faire : vétérinaire rurale. Le parcours de cette passionnée d’animaux depuis toujours est cependant plutôt atypique. D’origine belge flamande, elle s’est expatriée en Irlande et a épousé l’un de ses clients éleveurs. Puis, ils sont venus s’installer en France, dans le Limousin. Une région encore « ni trop connue, ni trop chère », pour laquelle ils ont eu « un coup de cœur ». D’autant qu’elle leur permettra de concilier leurs deux professions.
Mais ces étrangers ne sont pas arrivés en terrain conquis, pensant tout savoir et mieux que les locaux. Au contraire, ils ont « compris qu’ayant toujours vécu ici », ces derniers « connaissent leurs terrains » et qu’« il vaut mieux écouter leurs conseils », même « s’ils ont aussi des choses à apprendre de nous ». Revenant sur son quotidien de vétérinaire, Barbara lâche : « Parfois, on voit des choses très dures, sur le plan émotionnel comme financier. La vie d’un agriculteur n’est pas toujours facile ! » Et la crise du coronavirus vient aggraver encore certaines situations délicates. Au niveau de son travail en revanche, peu de modifications. « Si le cabinet a annulé plusieurs interventions prophylactiques, les vétérinaires se déplacent toujours pour les urgences. » Ce qui change surtout, ce sont « les contacts humains ». « On ne mange plus avec les éleveurs », regrette-t-elle.
« Il faut vivre cette période compliquée comme on peut, en essayant d’en retirer si possible des avantages », poursuit la vétérinaire, par exemple, « en consacrant davantage de temps à sa famille ». Une fois la crise passée, elle espère avec son mari « ne pas reprendre les mauvaises habitudes », en « remplissant trop les agendas ». Comme le couple a oublié ses bonnes intentions − « se concentrer sur l’essentiel pour avoir une vie tranquille » − en seulement cinq ans d’installation ! Confinés au grand air, « les enfants se rendent davantage compte de leur chance », complète-t-elle, tout en se demandant si elle et son mari ne les « poussent pas trop » vers l’agriculture. « Mais quand ma fille me réclame des chèvres pour Noël, je me dis qu’elle a ça dans le sang ! »
Le Dorat solidaire, épisode 3 : « Revenir à l’essentiel »
La passion aide « à franchir les obstacles »
« Je n’exerce pas ce métier à moitié, souligne Christophe Riffaud, éleveur de bovins viande aimant la qualité et le travail bien fait. Si on n’est pas passionné, on aura du mal à être bon et à franchir tous les obstacles qui viennent compliquer le quotidien des agriculteurs. » Mais attention « à toujours vouloir plus », prévient-il, « à un moment donné, on n’y arrive plus ». Si on n’est pas vigilant, en particulier en ce qui concerne « nos choix et notre système » d’exploitation, « on est vite pris dans le travail, on se retrouve débordé » et on n’a plus « de vie à côté », ce qui mène certains producteurs jusqu’au suicide. « À nous aussi de se remettre en question et de savoir ce qu’on veut vraiment », suggère-t-il.
« Je pense, enfin j’espère, que ce covid va nous pousser globalement à réfléchir autrement pour l’avenir », sur notre façon de vivre et de voir les choses, de travailler, de consommer, etc. Inutile, d’après lui, de parcourir des kilomètres « pour trouver ce dont on a besoin, car nous l’avons à notre porte ». L’éleveur souhaite qu’avec cette pandémie, les gens apprennent « à respecter la nature et l’agriculture, et connaissent mieux son fonctionnement ». Les problèmes sanitaires et économiques actuels et à venir seront « difficiles à passer mais les agriculteurs sont malheureusement habitués aux crises ». « Le plus important est de revenir à l’essentiel, aux fondamentaux. »
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Après le 11 mai, date du début du déconfinement de la population française, et lorsque l’évolution de la pandémie de covid-19 permettra les petits rassemblements, le réalisateur de ces vidéos entend « croiser les regards » de ses différents témoins, notamment sur cette crise sanitaire et économique, sur leur vision du monde et de la vie, sur leur parcours personnel et professionnel. L’objectif final étant de tous les réunir un jour autour d’un « dîner de fête » pour clore ces beaux moments de partage d’expériences et d’émotions.