Climat, filières animales, revenus… Quels risques pour la Pac post-2027 ?


TNC le 21/08/2025 à 17:52
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Quelles peuvent être les différentes trajectoires de la future Pac ? (© Adobe Stock, @zlatoust198323)

La Commission européenne a dévoilé mi-juillet sa première proposition de budget 2028-2034, incluant une part réservée à l’agriculture. Dans un contexte financier de plus en plus contraint, les multiples objectifs visés par la plus importante politique commune européenne ne seront pas tous pleinement remplis, ce qui implique des choix stratégiques à effectuer. Quels seraient les impacts à court, moyen et long terme sur l’environnement, la production, le revenu agricole... ?

Depuis la dernière réforme de la Pac, de nombreux éléments nouveaux ont changé la donne : Covid, guerre en Ukraine, contestation agricole, tensions géopolitiques, en parallèle d’une augmentation des risques qui pèsent sur la production, mettant désormais à l’agenda les objectifs de sécurité alimentaire et d’autonomie des productions. Dans un rapport au parlement présenté en janvier dernier, l’Iddri et l’Inrae définissent, à travers cinq scénarios, un cadre d’analyse afin de mesurer les impacts des choix politiques au regard des différents buts visés par la Pac. Ces trajectoires « permettent de « résoudre » l’équation de la future Pac avec des incidences très différentes sur la boîte à outils et le budget de la Pac », explique le rapport.

Les faiblesses de la Pac actuelle

L’Iddri et l’Inrae soulignent qu’actuellement, les instruments politiques disponibles « n’apportent pas de solutions aux inconvénients découlant des mesures d’aide au revenu en fonction de la superficie en hectares (capitalisation des prix des terres agricoles et fermages, pression à la hausse sur les prix des intrants agricoles, pression à la baisse sur les prix des produits agricoles) », même si le paiement redistributif les atténue en partie.

De même, la Pac s’avère peu efficace dans la gestion des risques et des crises, et ne permet pas de renforcer de manière notable la position des agriculteurs dans la chaîne de valeur alimentaire, ni d’encourager le renouvellement des générations. 

Ce que nous enseignent les cinq scénarios

Les chercheurs ont ainsi défini cinq trajectoires d’évolution pour la Pac post-2027 : le scénario A, basé sur l’intensification de la production et l’exportation, le scénario B, qui renforce le soutien à tous les types d’exploitations, le scénario C, qui propose une utilisation efficace des ressources, le scénario D, qui prône l’extension des zones naturelles et le changement de régime alimentaire, et le scénario E, qui déploie l’agroécologie en parallèle d’un changement de régime alimentaire. « Ces cinq scénarios permettent de « résoudre » l’équation de la future Pac avec des incidences très différentes sur la boîte à outils et le budget de la Pac », soulignent les chercheurs, qui précisent également que les trajectoires développées sont volontairement caricaturales.

Ces scénarios parfois contradictoires supposent donc des arbitrages. « Un premier choix oppose les scénarios centrés sur le maintien et, si possible, l’augmentation, de la capacité de production du secteur agricole de l’Union (scénarios A et B) aux scénarios donnant la priorité à la protection de l’environnement (scénarios C, D et E). Dans les deux scénarios axés sur la production (scénarios A et B), il existe un deuxième arbitrage à effectuer entre le scénario A (intensification et exportations), basé sur la compétitivité des prix, et le scénario B (soutien à tous les types d’exploitations), qui vise à maintenir la capacité de production en assurant une aide aux revenus agricoles pour tous les types d’exploitations. Parmi les trois scénarios axés sur le climat et l’environnement, le scénario C (utilisation efficace des ressources grâce à l’optimisation des systèmes de production actuels) contraste avec les scénarios D et E, qui nécessitent des changements beaucoup plus profonds (retrait de terres pour le scénario D et partage des terres/agroécologie pour le scénario E) », résume le rapport.

À court terme, l’étude montre que les deux premières trajectoires ne vont pas dans le sens de la préservation de l’environnement. L’approvisionnement est en revanche augmenté dans les trois premières trajectoires. Quant au revenu des agriculteurs, il diminue avec les trajectoires D et E. Néanmoins, à long terme, l’augmentation de la production n’est pas viable dans un système qui n’est pas résilient, amenant également à une diminution des revenus agricoles.

Dans tous les cas, estiment les auteurs, la gestion des risques devra être réformée car insuffisante aujourd’hui. Il en va de même en ce qui concerne les instruments de soutien au revenu. En parallèle, « les ambitions de la Pac dans les domaines du climat et de l’environnement doivent être assorties de nouveau instruments de politique climatique et environnementale », notent les chercheurs. Ces derniers recommandent également des mesures d’aide au revenu pour ceux qui en ont le plus besoin, un soutien aux investissements durables, et mettent en avant la nécessité de réfléchir aux avantages et aux inconvénients des prix minimaux garantis et des paiements contracycliques. En fonction des trajectoires, il sera par ailleurs indispensable de mettre en place des clauses miroirs et des taxes aux frontières.

« Il y aura des perdants »

Ces projections soulèvent ainsi beaucoup de questions. « Il ne faut pas se voiler la face, il y aura des perdants », expliquait Hervé Guyomard, directeur de recherche à l’Inrae et co-auteur du rapport, en février dernier, lors d’une conférence de présentation de ce travail de recherche. La proposition de budget européen, annoncée mi-juillet par la Commission européenne, confirme par ailleurs que des choix seront nécessaires. Il faudra peut-être repenser les outils redistributifs, arbitrer entre filières… En parallèle, certaines trajectoires évoquées, qui sous-entendent notamment une diminution de la part de la viande dans les régimes alimentaires, obligent à repenser le soutien aux productions animales. Côté consommation, l’accès des ménages les plus pauvres aux régimes plus sains et plus équilibrés doit également être pris en compte.

Quoiqu’il en soit, « la transition sera très difficile sans ressources additionnelles », ajoute Hervé Guyomard, réaffirmant l’importance stratégique de placer l’agriculture au cœur des priorités et des investissements compétitifs.