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Lutte contre la jaunisse de la betterave

Betteraves sucrières : des composés odorants disponibles d’ici 2025 contre les pucerons ?


TNC le 28/02/2024 à 18:23
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De gauche à droite : Renaud d'Hardivilliers, animateur de la table ronde et rédacteur en chef adjoint du Betteravier français, Camille Delpoux, co-fondatrice d'Agriodor, Christian Huyghe, directeur scientifique Inrae, Nicolas Rialland, directeur de la CGB et Emeric Duchesne, producteur de betteraves sucrières dans l'Oise. (© TNC)

Quelle est la place du biocontrôle dans la lutte contre la jaunisse de la betterave ? Une table ronde organisée ce mercredi 28 février 2024 sur le Salon de l’agriculture a réuni plusieurs acteurs de la filière sur cette thématique.

« On s’inspire des odeurs des plantes dans la relation plante/ravageur pour essayer de modifier le comportement des ravageurs. On est parti d’une page blanche en 2021, au lancement du PNRI (Plan national de recherche et d’innovation) », explique Camille Delpoux, co-fondatrice d’Agriodor. « L’avantage des composés odorants, c’est qu’on travaille sur trois leviers : tout d’abord, on cherche à empêcher l’arrivée des pucerons sur la parcelle de betteraves sucrières. Et aussi, on perturbe les ravageurs dans leur évolution, via leur alimentation et leur reproduction ».

« Jusqu’à 65 % de réduction de la population de pucerons »

Quels sont les résultats aujourd’hui ? « Si les parcelles de betteraves sucrières ont été relativement préservées en 2023, la pression pucerons s’est révélée plutôt intense à l’automne sur les betteraves porte-graines, proche du pic de 2020. Les essais réalisés ont montré que la solution Agriodor permet une réduction des populations de pucerons de 45 % en cas de forte infestation, et jusqu’ à — 65 % lors de faibles infestations. Les granulés ont une durée d’action de 28 jours et permettent de décaler le seuil de traitement jusqu’ à 15 jours », précise Camille Delpoux.

« Tous les acteurs de la filière sont conscients que cela ne peut pas être la seule solution : c’est un levier préventif à intégrer dans une approche globale ! » Nicolas Rialland, directeur de la Confédération générale des betteraviers (CGB), se réjouit de « l’ensemble des bonnes nouvelles apportées par le PNRI, on est dans un cadre d’innovation grâce à la mobilisation de la recherche privée et publique ». Betteravier dans l’Oise près de Senlis, Emeric Duchesne voit également « d’un très bon œil cette solution, c’est un levier de plus qui n’existait pas avant ». Le producteur attend aussi beaucoup de la sélection variétale.

Dans l’idée d’une approche combinatoire, Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture à l’Inrae, appuie également l’importance des modèles pour une prédiction plus fine de l’arrivée des pucerons et la limitation des réservoirs viraux, à commencer par les repousses de betteraves.

Une dérogation pour une mise en marché dès 2025 ?

En ce qui concerne les composés odorants, reste toutefois plusieurs points à éclaircir, selon Emeric Duchesne : quand cette solution sera-t-elle disponible et à quel prix ? « Elle est prête et industrialisée, mais le frein principal reste l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché (AMM), lui répond Camille Delpoux. L’innovation est en avance sur le cadre réglementaire, en effet il n’existe pas de cadre spécifique pour ce type de produit. Une procédure similaire à un produit phytosanitaire est donc engagée, entraînant un délai de 7 ans et 2 millions d’euros d’investissement ».

Nicolas Rialland souligne là un « manque de cohérence ». « On est, en effet, dans une forme d’injonction paradoxale, il faut aller vite dans la recherche avec le PNRI et à côté, le cadre réglementaire ne suit pas. Il est nécessaire de le réviser complètement et vite, on peut travailler cela à l’échelle européenne », ajoute Christian Huyghe.

La start-up Agriodor travaille notamment pour « obtenir une dérogation afin de mettre en marché dès 2025 ses composés odorants ». C’est une « lueur d’espoir » pour Emeric Duchesne « car il est urgent de trouver des solutions, les exploitations betteravières françaises ne pourront pas encaisser à nouveau une attaque de jaunisse comme en 2020 », selon lui. Sur son exploitation, les rendements en betteraves sucrières ont été réduits de moitié cette campagne-là, à cause de la jaunisse.

« On marche encore à cloche-pied pour les semis 2024 »

« Pour les semis 2024, on marche encore à cloche-pied et ce n’est pas pratique pour un marathon, illustre l’agriculteur. On attend beaucoup du PNRI, mais forcément en agriculture, c’est sur du temps long. Ce que l’on déplore, c’est que la caisse à outils ne soit pas la même pour tous les agriculteurs européens et dans le monde. »

Autre atout de la solution Agriodor pour l’agriculteur : pas d’investissement supplémentaire nécessaire pour l’épandage de ces granulés odorants. Sur la question de leur prix en tant que tel, par contre, la start-up n’a pas de réponse encore à communiquer. « Nous sommes en lien avec la filière pour avoir une approche technico-économique cohérente, avec la réalité des exploitations agricoles », précise Camille Delpoux.

Des expérimentations vont notamment être mises en place à grande échelle en 2024 pour « valider les résultats dans plusieurs bassins de production et en combinaison avec les autres leviers disponibles ». Agriodor continue, en parallèle, de développer son expertise des pucerons sur d’autres cultures, et s’intéresse également à d’autres ravageurs, comme les thrips, les aleurodes ou les altises.