Renouvellement des générations

Accès des jeunes à la terre : quels leviers dans d’autres pays de l’UE ?


TNC le 19/03/2024 à 17:54
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Miguel Riesgo à gauche Emmanuel Hyest au centre Heiner Thofern à droite (© © TNC)

Si installer davantage d’agriculteurs est une nécessité partagée par de nombreux pays européens, les moyens législatifs mis en place diffèrent pour protéger les terres agricoles et les orienter vers les nouveaux projets. Focus sur les cas espagnol et allemand.

Faciliter l’accès des terres aux jeunes agriculteurs figure dans les objectifs fixés par la nouvelle Pac aux différents États membres, « mais on a clairement mis en avant que la Pac ne peut pas faire tout toute seule », a rappelé Sophie Helaine, chef d’unité à la DG Agri (Commission européenne), le 26 février. « La libération des terres est un élément important », ajoute-t-elle, saluant l’initiative de la France qui a instauré un âge limite auquel l’agriculteur doit choisir entre la retraite ou les aides Pac.

Des enjeux différents en Espagne ou en Allemagne

Au Salon de l’agriculture, la FNSafer a mis en regard les stratégies française, espagnole et allemande de protection du foncier agricole.  Ainsi, en Espagne, seulement 8 % des 914 871 exploitations sont gérées par des jeunes agriculteurs, explique Miguel Riesgo, conseiller agricole de l’ambassade d’Espagne. 39 % des bénéficiaires de la Pac ont plus de 65 ans. Le pays a donc mis en place une stratégie nationale « pour le relais générationnel ».

En Allemagne, 48 % des exploitants ont plus de 55 ans, mais la majorité des exploitations restent transmises au sein de la famille, explique de son côté Heiner Thofern, conseiller agricole de l’Ambassade d’Allemagne. Il n’y a donc « pas de problème de renouvellement des générations, mais surtout un problème de croissance », car les terres sont très chères et les jeunes n’ont pas les capitaux disponibles pour s’agrandir ou investir. Ils subissent également la concurrence de grandes entreprises, et d’investisseurs, ajoute-t-il. En l’absence de régulation comme en France, les prix ont ainsi doublé entre 2010 et 2020 dans la plupart des Länder (États fédéraux) allemands.

Des outils d’accompagnement des jeunes au niveau local

En Espagne, les leviers permettant d’orienter les terres vers les jeunes existent, mais plutôt à une échelle locale. En Galice, par exemple, des villages modèles récupèrent les terres agricoles sous-utilisées pour installer des jeunes agriculteurs. En Catalogne, des Espaces tests agricoles permettent aux porteurs de projet de tester leur activité pendant deux à trois ans tout en bénéficiant d’un soutien complet, avant l’installation effective. Des lois autonomes (régionales) existent également pour exproprier l’utilisation : si un terrain désaffecté est identifié et que le propriétaire ne le revendique pas, l’usage peut être modifié au profit de l’agriculture, indique Miguel Riesgo.

En Allemagne, des espaces tests agricoles existent également, et un accompagnement spécifique des jeunes, via des subventions à l’investissement ou des prêts à faibles taux d’intérêt ou garantis est en place. Dans l’est du pays, sur le territoire de l’ancienne RDA, « 90 000 hectares de terres appartiennent encore à l’État et sont attribués de façon privilégiée, lors de la vente et de la location, à de jeunes agriculteurs et à des exploitations qui pratiquent une agriculture durable », détaille Heiner Thofern.

Pas de loi nationale pour protéger les terres agricoles

En Espagne, il n’existe pas de réglementation au niveau national pour la protection des terres agricoles contre d’autres utilisations. Cependant, une réflexion est en cours pour mobiliser, via la loi, les terres agricoles sous-utilisées, promouvoir la création de banques foncières dans toutes les régions, ou encore mobiliser les terres appartenant à l’État central au bénéfice de jeunes agriculteurs, explique Miguel Riesgo.

L’intention est présente aussi outre-Rhin, mais la protection des terres se heurte plus directement à un conflit d’objectifs politiques, entre pénurie de logements et infrastructures à construire, et il n’existe pas de loi spécifique pour protéger les terres agricoles, alors que c’est le cas pour l’eau, la forêt, ou encore les marais, explique le conseiller agricole allemand.

Miguel Riesgo à gauche, Emmanuel Hyest au centre, Heiner Thofern à droite, le 26 février au Salon de l’agriculture. (© Terre-net Média)

Quelques mesures sont cependant mises en place pour tendre vers le Zéro artificialisation nette : l’Allemagne s’est engagée à réduire l’utilisation des sols à moins de 30 ha par jour d’ici 2030, et priorise le développement interne, notamment sur les friches urbaines, pour préserver les terres agricoles.

Si ce sont les Länder qui ont la compétence en matière de structure agricole, seul le Bade-Wurtemberg a adopté une loi en ce sens. Au niveau national, une loi fédérale sur les transactions immobilières a été votée, soumettant la vente à une autorisation administrative qui peut être refusée en cas de disproportion importante entre le prix d’achat et la valeur du terrain. Il n’existe en revanche pas d’équivalent de la loi Sempastous, souligne Heiner Thofern, et « de plus en plus de parts de sociétés sont à la base des transferts de terres, d’autant qu’on ne paye même pas d’impôts si les transferts concernent moins de 95 % de la société », ajoute-t-il.

La situation diffère donc en fonction des pays, mais une association, l’AEIAR, œuvre au niveau européen pour promouvoir la régulation des terres et la transparence des marchés fonciers. Dans un contexte de changement climatique et de diminution du rendement, « l’enjeu agricole des prochaines années sera le foncier », rappelle ainsi Emmanuel Hyest, président de la FNSafer, pour qui il existe « une obligation morale de protéger, plus que jamais, les terres agricoles ».