« On ne s’installe pas dans l’agriculture comme on achète une baguette de pain ! »


TNC le 21/11/2024 à 05:20
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Ces jeunes agriculteurs et agricultrices sont tous fiers d'exercer ce métier, mais aussi unanimes sur la complexité des démarches pour s'installer. (© Chambre d'agriculture Pays de la Loire // Montage TNC)

Du 15 au 29 novembre, c’est la quinzaine de la transmission/reprise d’exploitations agricoles, organisée par les chambres d’agriculture dans toute la France. L’occasion de mettre en avant la série de vidéos « Ils se sont lancés en Pays de la Loire », sur l’installation en agriculture, diffusée ces dernières semaines sur la chaîne Youtube @chambredagriculturePDL et sur Facebook au cours de ces quinze jours.

Âgés de 22 à 35 ans, ils sont installés en agriculture depuis peu, six à moins d’un an pour huit d’entre eux – le neuvième ne sera exploitant qu’en janvier prochain – et reviennent sur leur parcours et projet d’installation agricole. Si tous sont fiers d’exercer cette profession et du chemin parcouru, ils sont tout aussi unanimes sur la complexité des démarches, durant entre un et deux ans, sans remettre en cause l’importance de l’accompagnement dont ils ont bénéficié de la part de divers organismes, et ont alterné moments de confiance en l’avenir, de doute, de stress.

« C’est lourd, il y a plein d’étapes, pas facile à suivre ! », lance Adeline. « Mais important pour apprendre le métier d’agriculteur ! », nuance la jeune femme, vendeuse et qui a dû « repasser un bac à 26 ans ». « Le plus contraignant : l’administratif », renchérit Arnaud. « Tous ces papiers risquent d’en décourager plus d’un », déplore-t-il. Dimitri parle même de « parcours du combattant », difficile à mener de front à côté de l’exploitation avec les formations, les nombreux rendez-vous auprès des partenaires, etc. Jérémy pointe l’intérêt du plan d’entreprise (PE) et du prévisionnel : « Se projeter sur ce qu’on veut faire au cours des quatre prochaines années, à travers les objectifs qu’on se donne pour l’avenir de l’exploitation, est essentiel. »

« Beaucoup de travail et d’émotion »

Non issu du milieu, Paul s’est orienté vers des études agricoles dès la fin de 3e : bac pro, puis BTS Acse et CS lait en apprentissage pour acquérir de l’expérience. En janvier 2025, il va remplacer, à seulement 22 ans, l’un des membres d’un Gaec, qui prend sa retraite. Son jeune âge le fait parfois douter. Mais sa famille le soutient et ses futurs associés le « rassurent au quotidien ». « Mes parents m’ont toujours dit « fait ce qu’il te plaît, on sera derrière toi » », met-il en avant. « Les sommes à investir et emprunter, le mode de vie, les inquiètent quand même », précise-t-il, conseillant de « prendre son temps, du recul, de se poser, réfléchir à ce projet de carrière, en ayant les pieds sur terre ».

S’il a rejoint la ferme familiale, Clément n’en est pas moins stressé et parfois inquiet, malgré les nombreux échanges avec son père. « Beaucoup de travail et d’émotions éprouvées, des joies, des déceptions, raconte-t-il. On joue notre carrière ! » « Ce projet va nous suivre pendant 50 ans », confirme Arnaud aujourd’hui associé du Gaec où il a lui aussi réalisé tout son cursus scolaire (Capa, bac pro), et deux ans de salariat en vue de s’y installer.

« Un projet de carrière à bien réfléchir »

Alors il faut « se sentir bien dans l’exploitation », souligne-t-il. N’ayant pourtant jamais douté – « depuis tout petit, je vois « ferme », je vis « ferme », sautant dans la cote, le soir, le week-end, pour aider papa » – il insiste également : « Il faut se poser les bonnes questions et être bien entourés. L’enjeu n’est pas seulement financier. À plusieurs, l’entente est primordiale. » Pour tester celle avec ses futurs collègues, le jeune homme a effectué un stage de parrainage.

Je vois « ferme », je vis « ferme », depuis toujours.

De même que Guillaume qui a décidé de s’installer derrière un tiers, plutôt que de reprendre la ferme familiale, pour que ce soit « la sienne et son projet ». L’objectif était de vérifier si la structure correspondait à ses attentes et si le tissu agricole local était suffisamment dynamique. « Il faut beaucoup de réflexion et aller voir d’autres exploitations pour savoir ce qui nous plaît vraiment. On ne s’installe pas comme on va acheter une baguette de pain ! », image-t-il.

« Le métier d’agriculteur : un défi quotidien »

Salarié avant en usines, Léo, lui, a préparé son installation en agriculture pendant deux ans. Un temps nécessaire pour « monter son projet », en étudier tous les aspects, et « mettre de l’argent de côté ». D’autant plus en étant Nima. D’où l’intérêt de se faire accompagner et de « bien s’entendre avec ses prédécesseurs ». « 40 ans d’expérience, ça s’écoute. Aujourd’hui encore, je leur demande des conseils », reconnaît le jeune agriculteur qui a trouvé, via le RDI (répertoire départ installation), une exploitation à reprendre, et y a réalisé un stage de parrainage pour « ficeler les choses » et pouvoir, par la suite, la gérer en association avec son frère.

« Des hésitations, des craintes, on en a toujours, le métier d’agriculteur est un défi quotidien », poursuit-il. C’est pourquoi, il faut « croire en soi ». « Je suis content de ce que j’ai accompli, je ne pensais pas en faire autant. Il y a toujours des évolutions possibles, des challenges à relever, avec l’envie d’aller plus loin, et tant à apprendre ! Tellement enrichissant, cela motive à se lever le matin ! » Ce qui lui plaît, en particulier : la liberté de choix, d’action et les responsabilités qui en découlent.

« Rentrer dans la vie de chef d’entreprise »

Être son propre patron est à la fois agréable et stressant, selon Adeline, car « si on se plante… » « La ferme ne nous appartient pas encore, on est loin d’avoir remboursé nos emprunts, mais on le fait pour nous ! », détaille-t-elle. Jérémy, salarié agricole sur l’exploitation pendant cinq ans, a toujours voulu s’installer pour « être son propre patron, gérer une entreprise » pour que ce soit lui qui puisse dire « j’imagine les choses comme ça ». « Il fait croire en ses rêves, aller jusqu’au bout des choses. On peut échouer, mais faut pas avoir de remords de ne pas avoir essayé », résume-t-il.

Être installé, une liberté !

« Le premier jour d’installation, on ressent de la joie, c’est une vraie liberté. On se dit « c’est parti », on sait pourquoi on va travailler, on rentre dans la vie de chef d’entreprise », enchaîne Clément. Si le jeune producteur invite à « être motivé et rester humble », il incite également à « ne pas baisser les bras à la première défaite ». Et malgré les craintes qu’il a pu parfois avoir, il est content des « résultats positifs » obtenus et des nombreuses évolutions qu’il a déjà mises en œuvre en une seule année. « Quand tu as envie, tu ne lâches pas, appuie Dimitri. Pour moi, j’étais capable, je le sentais. Quand j’ai décidé quelque chose, je le fais. Je suis fier de ce que j’ai réussi. »

Être dans un territoire dynamique : essentiel !

Parmi les facteurs de réussite d’une installation, selon eux, l’exploitation reprise d’abord. Léo voulait « un outil de travail récent et confortable qu’il pouvait développer ». « Cette ferme-là, elle tourne, je la connais par cœur », a pensé Dimitri, apprenti sur la structure pendant son BTS, puis salarié trois ans. Emmanuel conseille, par ailleurs, de s’interroger sur « la taille de l’exploitation » pour « se sentir bien et trouver son équilibre entre vie pro et perso ».

Comme Dimitri, Paul entend prendre du temps pour lui, les loisirs, voyager, une clé de réussite d’après lui. « Ça a été pris en compte dans l’organisation entre associés : à 9 h, les tâches quotidiennes sont terminées, et le soir à 19h, on est chez nous », explique-t-il. Les membres du Gaec arrivent à se dégager du temps libre assez facilement. Paul, qui tenait à continuer le tennis de table avec les deux entraînements par semaine et les matchs le week-end, pilote l’atelier laitier. Ainsi, il « fait ses choix et gère son temps ».

« Savoir faire évoluer son projet »

Activités économiques, infrastructures, amont, aval et partenaires agricoles, services et commerces de proximité, vie sociale et sportive… le dynamisme du territoire est aussi crucial, estiment plusieurs jeunes agriculteurs. Lequel permet notamment l’entraide entre exploitants. « Quand on est pas mal de jeunes, on se sent moins seul dans le parcours d’installation », argue Arnaud. Dans un secteur dynamique, il est en outre plus facile d’organiser « une vie à côté de l’exploitation » tant il importe « d’avoir du temps pour soi », ajoute Jérémy, faisant ainsi écho à Dimitri et Paul. S’il a préféré s’installer en Gaec, c’est pour « faciliter l’organisation du travail et partager la charge psychologique du métier », mais également « s’ouvrir socialement à d’autres personnes, ne pas rester seul enfermé sur la ferme ».

Autre élément pour réussir son projet, avance Guillaume : « savoir le faire évoluer pour s’adapter au contexte ». Suite à des semis 2019 très compliqués, et une année 2020 très sèche, il s’est lancé dans l’élevage ovin, en complément des céréales, lui qui s’était orienté vers cette production car l’aspect technique lui plaisait, « pour assurer la pérennité » de sa structure.  « Il ne faut pas vouloir que tout soit parfait. Avec le vivant, c’est impossible ! », conclut le jeune homme, chauffeur dans une ETA puis salarié agricole dans plusieurs exploitations, et qui n’envisageait pas au départ d’être agriculteur.