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Journée des droits des femmes

« On a notre place d’agricultrice car on est là où nous avons envie d’être »


TNC le 08/03/2021 à 19:05
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S'il a fallu du temps aux agricultrices pour conquérir la place qu'elles méritent dans les exploitations agricoles, elles ont toujours su s'adapter et innover. La jeune génération s'inscrit plus dans la droite ligne de ses aînées tout en osant davantage le faire savoir. Même si parfois encore certains freins perdurent, ils semblent surtout psychologiques, d'où la nécessité de promouvoir régulièrement les femmes qui s'investissent dans ce métier avec tant de passion. Et particulièrement en cette journée des droits des femmes.

« J’avais envie de parler de transmission de fermes et de femmes, mais après ma rencontre avec Audrey et Lauriane, pour qui ce métier est une telle évidence et semble ne pas poser de problème particulier, qu’elles soient des jeunes agricultrices ou agriculteurs n’étaient plus si important, tant elles sont à leur place, là où elles ont envie d’être », raconte Agnès Poirier, auteure du documentaire « L’installation » diffusé sur France Télévision le 23 février dans le cadre d’une semaine consacrée à l’agriculture en raison de salon annulé pour cause de Covid-19. Des propos que confirment les deux jeunes éleveuses, dans le reportage et en cette journée des droits des femmes, où elles ont été conviées, par le ministère, à témoigner sur les femmes en agriculture : « Être deux femmes n’a jamais remis en question notre projet d’installation. »

Notre projet n’a jamais été remis en question parce que nous sommes deux femmes.

« On pourra le faire, mais différemment »

« On ne se dit pas qu’il y a des choses qu’on ne pourra pas faire, mais des choses qu’on fera différemment pour pallier notre manque de force physique par exemple », poursuit Lauriane. « On fera des formations en mécanique et en soudure ! On sollicitera nos voisins exploitants !, lance Audrey. L’avantage d’être une femme : ils nous aident volontiers ! En plus, ça les valorise. » Que ce soit pendant leur parcours d’installation, l’année de tuilage sur l’exploitation de Jean-Yves et Élisabeth Penn avant sa reprise, ou les cinq ans de salariat agricole d’Audrey, les deux agricultrices ont toujours eu un accueil bienveillant et jamais de remarques sexistes. « Les éleveurs apprécient l’approche féminine vis-à-vis des animaux », en particulier notre sensibilité, appuie Audrey. 

Les femmes agricultrices ont une vision aussi pragmatique que pertinente. (François Arnoux, pour rendre hommage à son épouse)

Sans ma conjointe, je n’aurais pas eu l’idée de transformer le sucre de la ferme en bonbons. (Sébastien Loriette)

« Nous savons nous adapter »

Travail, enfants, tâches ménagères… Mais comment font-elles ?

Ce qui l’a en revanche souvent surpris : la « multifonctionnalité » des agricultrices qui, « traient tout en surveillant leur bébé dans le parc installé dans la laiterie ». Je me demande toujours : « Mais comment font-elles ? » Il faut dire que « nous savons nous adapter, trouver des stratégies » ! Un état d’esprit dont les exploitantes ont régulièrement fait preuve au cours de l’histoire. Notamment pendant les deux guerres mondiales où elles ont remplacé leurs maris à la ferme en travaillant tout aussi dur qu’eux. C’est pourquoi Agnès Poirier a voulu leur rendre hommage, à elles insuffisamment mises en avant pendant longtemps, en leur consacrant une large part de son documentaire « Nous paysans », proposé sur France 2 le même soir.

« 14-18 cependant n’a été qu’une parenthèse dans leur émancipation, constate-t-elle. Elles ont ensuite repris leur place et il a fallu des pionnières comme Marie-Thérèse Lacombe pour bousculer vraiment l’ordre établi. » Les Mouvements ruraux de la jeunesse chrétienne ont aussi beaucoup aidé les paysannes à « prendre la parole et faire entendre leur voix ». Mais il faudra attendre 1961 pour que le mot « agricultrice » entre dans le dictionnaire et 1985 pour qu’elles aient un statut et commence à être considérées autrement que comme femmes d’agriculteurs. 

La guerre de 14-18 : qu’une parenthèse d’émancipation.

« Des freins liés à un manque de confiance »

Et le rôle caché de toutes celles qui travaillent à l’extérieur et font la traite, la compta, les papiers, les paniers pour la vente directe ! (Henri Guillemot)

Depuis, beaucoup de chemin a été parcouru (le ministre a mis en avant, entre autres, les récentes avancées sur le congé maternité tout en reconnaissant qu’il y avait encore du travail sur les retraites des exploitantes) et la nouvelle génération d’agricultrices est bien décidée à occuper la place qui lui revient. À l’image de Nadège Petit, installées en grandes cultures et aussi à l’aise avec le tracteur, que le semoir ou le pulvé. Comme quoi « les femmes en agriculture ne sont pas cantonnées à la transformation, la vente directe ou l’agritourisme, souligne-t-elle tout en faisant remarquer qu’elles sont également de plus en plus présentes dans les réunions techniques et les métiers de conseil agricole. 

Quand on veut prendre sa place, on peut ! Il faut croire en nos capacités. (Anne-Marie Nuyttens, dont le père ne pensait pas qu’elle puisse reprendre l’exploitation alors qu’elle avait plus la fibre que ses frères)

« Donner des modèles, montrer que c’est possible ! » 

Pour Géraldine Maréchal, 40 ans et en parcours d’installation, il n’y a pas non plus de réelles barrières sauf celles, « psychologiques que les productrices se mettent elles-mêmes par manque de confiance ».  D’où l’importance de communiquer sur les femmes en agriculture, pour « donner des modèles, montrer que c’est possible » !, poursuit-elle. Pourquoi pas mettre en place un système de parrainage spécifique pour les futures agricultrices, pour qu’elles gagnent en confiance, suggère-t-elle encore.

Car si 45 % des élèves des lycées agricoles sont des filles, « beaucoup disent encore : je resterai dans le milieu agricole mais je laisse la place à mon frère sur la ferme », rapporte Agnès Poirier. Selon Audrey, il faudrait aussi sensibiliser le monde citadin et les établissements scolaires de l’enseignement général. « Je suis de la région parisienne et quand j’ai dit que je voulais travailler avec les animaux, personne ne m’a orienté vers l’élevage », témoigne-t-elle. « Moi non plus, je n’avais jamais imaginé exercer ce métier, pourtant je vivais entourée de champs et d’agriculteurs », renchérit sa compagne Lauriane.

D’ailleurs, ce printemps, le ministère de l’agriculture va initier une campagne de promotion des métiers du vivants à l’image de celle du ministère des armées il y a quelque temps, pour que davantage de jeunes, filles ou garçons s’engagent dans l’agriculture ! Car le défi du renouvellement des générations en agriculture ne pourra pas être relevé qu’avec les seuls fils d’agriculteurs !, a rappelé le ministre Julien Denormandie. Il faut relancer la dynamique d’installation des femmes, qui a tendance à stagner depuis 10 ans, et des nima (non issus du milieu agricole). 

Les fils d’agriculteurs ne pourront pas, seuls, relever le défi du renouvellement des générations agricoles !