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Communication

« L’élevage, c’est comme la marine, fini la transmission de père en fils ! »


TNC le 06/05/2024 à 07:49
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« A l'image de la filière laitière, la reproduction sociale dans les choix de carrière s'émousse dans la marine », constate le Cniel. (© Anton Sokolov, Adobe Stock)

Le Cniel s’est nourri d’échanges avec la marine nationale, qui connaît des problèmes de recrutement et d’attractivité de ces métiers similaires à ceux de la filière laitière, afin de bâtir un vrai plan de bataille en matière de communication. Pour toucher sa principale cible, les 15-17 ans, l’organisme n’hésite pas à surfer sur les réseaux sociaux à la mode chez les jeunes, avec un ton décalé et l’intervention d’influenceurs.

L’étude CapsAgri du RMT travail en élevage l’a fait ressortir : pour rendre plus attractifs le métier d’éleveur et de salarié en élevage, mais aussi de l’ensemble des professions qui gravitent autour, outre la formation à faire évoluer, le recrutement à professionnaliser, et un travail à mener sur les conditions de travail et la gestion des relations humaines, il faut communiquer ! Pour lutter contre la méconnaissance de ce secteur auprès du grand public, de l’enseignement général et des jeunes en particulier.

« L’enquête a révélé, en la matière, un foisonnement d’initiatives, plus ou moins ciblées, coordonnées et évaluées, et donc un manque de lisibilité, de professionnalisation, de synergie » : tel est le bilan dressé au Grand angle lait, le 4 avril, sur la communication menée dans la filière laitière notamment.

Foisonnement d’initiatives pas assez ciblées, coordonnées, évaluées.

Doivent être généralisées, entre autres, les immersions en entreprises, de l’amont, dans les exploitations, jusqu’à l’aval. Les vidéos, diffusées sur les réseaux sociaux et via des casques de réalité virtuelle sont une première étape. Mais ce sont surtout les stages, l’apprentissage, les parrainages, les phases de test qu’il faut intensifier.

300 000 emplois directs et indirects

Le renouvellement des générations en élevage, l’attractivité et la promotion de ce domaine d’activité sont des axes de travail prioritaires du Cniel, inscrits dans sa feuille de route 2024-2025. « L’enjeu est de garantir la pérennité de la filière laitière », martèle-t-il. « Soit celle de ses 300 000 emplois directs et indirects. »

Chaque année, dans la transformation, 10 à 15 % de postes vacants.

Certes, la vague des départs à la retraite d’éleveurs est peut-être derrière nous, comme l’expliquait Christophe Perrot de l’idele lors de cet événement. « Mais ce sont quand même 50 % des producteurs qui sont partis, partent ou vont partir à la retraite au cours de la décennie », pointe le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière. Et d’ajouter : « Chaque année, dans la transformation, 10 à 15 % des postes sont vacants. »

Le Cniel a identifié deux défis majeurs : « travailler la question de l’attractivité des métiers pour des personnes qui seront sur le marché de l’emploi dans 10 ans et anticiper, au mieux, le besoin de main-d’œuvre qualifiée à moyen terme, dans des professions qui peuvent être très spécifiques ».

En ligne de mire : les 15-27 ans

Ainsi que trois objectifs : « Maintenir les actifs au sein de la filière et attirer de nouveaux profils (femmes, Nima), mieux faire connaître nos métiers et les rendre accessibles à tous, casser les a priori sur des professions méconnues ». Pour y répondre, il faut « développer de nouveaux canaux de communication » et surtout « s’adresser aux bonnes cibles ».

La difficulté : les engager.

En ligne de mire : les 15-27 ans d’abord, en pleines études et orientation professionnelle, ensuite « les parties prenantes internes, c’est-à-dire les professionnels du secteur (producteurs, transformateurs, distributeurs, consommateurs), et externes, plus éloignés de celui-ci tel que l’enseignement général ». Le premier public est plus difficile à attirer. « Il faut être accessible et crédible, les informer en répondant à leurs attentes, et ils n’ont pas forcément les mêmes que nous », explique le Cniel.

Des attentes différentes.

« On a tendance à vouloir partager trop de messages, les nôtres, qui ne sont pas toujours en phase avec les jeunes, poursuit-il. La difficulté est de les engager : susciter de l’interaction, les mobiliser, les fidéliser, créer un sentiment de fierté, particulièrement auprès de ceux déjà dans le milieu pour en faire des ambassadeurs. »

« Un enjeu collectif »

L’organisme s’est inspiré d’un autre secteur économique : celui de la marine nationale. « Nous n’avons ni l’exclusivité, ni le monopole sur ce sujet », appuie-t-il. « Nous avons eu la chance de les rencontrer, de réfléchir et d’échanger avec eux. Il y a beaucoup de similitudes entre nos deux filières. » Pour commencer, la pénurie de main-d’œuvre : la marine nationale s’est retrouvée dans une situation critique en 2018, avec un recrutement inférieur de 20 % aux objectifs.

Ni l’exclusivité, ni le monopole sur le sujet.

Comme en production bovine laitière, elle bénéficie d’atouts et de contraintes. Et ces dernières sont semblables : la pénibilité en tête, avec des déplacements au long cours aux quatre coins du globe. De plus, « on n’est plus éleveur, ni marin, de pères en fils » ! « La reproduction sociale dans les choix de carrière s’émousse ». D’où « le même besoin d’aller voir ailleurs pour diversifier les profils ».

La marine est sur le pont, avec une stratégie RH ambitieuse au niveau de sa politique interne comme de la communication. Et ça a fonctionné ! Tous les ans, elle recrute davantage de jeunes. La preuve que « l’enjeu est collectif » et que, pour le relever, « les idées et solutions sont à chercher ensemble », pourquoi pas dans d’autres milieux professionnels.

« Seul 1 jeune sur 10 connaît nos métiers »

Tout au long de l’année, le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière égrène des actions pour promouvoir l’élevage laitier et ses métiers s’appuyant, sur le terrain, sur son réseau régional de Criel. Au-delà des rendez-vous professionnels, comme le Space ou le Sommet de l’élevage, et du Salon de l’agriculture, l’organisation participe au Mondial des métiers, à la Compétition mondiale des métiers WorldSkills, au Sommet de l’inclusion économique, au FIL Paris 2024. Des opérations sont aussi organisées régulièrement en milieu scolaire, dans le cadre du Challenge des produits laitiers et de la Journée mondiale du lait.

Depuis 2021, elle organise le challenge national France Terre de lait. Des étudiants en BTSA productions animales choisissent une initiative mise en place par un éleveur. Objectif : l’accompagner pour qu’elle améliore la durabilité de la ferme. Le concours permet de rassembler les acteurs de la filière, les enseignants et les jeunes. « Chaque fois peu enclins à s’orienter vers certaines professions comme éleveur ou salarié agricole, plusieurs changent d’avis par la suite », se réjouit le Cniel.

Qualité de vie et ressources humaines : essentiels !

« Il est important d’aller vers eux, d’ouvrir les portes de nos entreprises pour montrer comment nous travaillons à chaque maillon de la filière. Pour rappel : seul 1 jeune sur 10 connaît nos métiers », insiste-t-il exhortant à « mettre en avant la qualité de vie, la gestion des ressources humaines, la relation employeur/employé ». « On a du retard là-dessus. Or, si l’on veut de la main-d’œuvre, il faut qu’elle se sente bien au travail et suffisamment encadrée. »

« Donner envie ! »

Les éléments sociaux liés au management et à l’équilibre vie pro/vie perso – pouvoir prendre des congés, du temps pour soi et sa famille, etc. –, qui renvoient à la viabilité et vivabilité des exploitations laitières notamment, déterminantes pour qu’elles soient durables, sont essentiels pour les nouvelles générations. « Il faut donner envie ! », lance le Cniel citant la création de la charte d’avenir bovins lait, dont l’objectif est « d’apporter de la visibilité aux démarches départementales et locales existantes sur le renouvellement des générations en élevage ».

Vidéos décalées, avec des influenceurs, au million de vues.

Pour toucher les 15-27 ans, les éleveurs, comme les élèves en formation agricole, sont généralement partants pour parler des aspects concrets et pratiques de leur métier et milieu, de « leur quotidien », de ce qui les « motive à se lever le matin ». « Une immersion, à travers des parcours de vie authentiques, plus vivante et attrayante que des fiches Onisep ! », fait remarquer l’organisme qui mise, par ailleurs, sur un ton humoristique, voire décalé dans certaines vidéos, où il fait appel à des influenceurs à forte notoriété. Et qui font des millions de vues !

Comme celle avec Denitsa de Danse avec les stars sur le bien-être animal, qui en a totalisé deux millions !! Le but est d’éveiller la curiosité pour emmener derrière sur des contenus plus professionnels et pédagogiques. Le Cniel investit les réseaux les plus en vogue : Insta, Twitch, mais très peu TikTok, pour des raisons de gestion des données et éviter de s’adresser à un public trop jeune. « Toutes nos actions sont basées sur des études, pour mieux cerner les besoins et attentes, tester nos idées et analyser les résultats. » Dans la dernière enquête Kantar TNS, par exemple, l’image du métier d’éleveur laitier a progressé de 13 points, et la confiance à leur encontre de 9 points.