« L’agriculture doit s’engager vers une réduction absolue de son empreinte de CO2 »
TNC le 02/10/2023 à 05:02
La Cema (Association européenne de l’industrie du machinisme agricole) mise sur les carburants renouvelables en attendant le développement de l’électricité et de l’hydrogène vert.
Elle représente une industrie qui pèse 40 milliards de chiffre d’affaires annuel et 150 000 emplois. La parole de la Cema (Association européenne de l’industrie du machinisme agricole) pèse. Dans un récent document intitulé « Carburants renouvelables et à faible teneur en carbone pour les machines européennes intelligentes face au climat : l’agriculture circulaire en action », elle décrit les différentes options pour réduire considérablement l’empreinte CO2 des tracteurs et automoteurs dans les dix prochaines années, et prend position : « l’agriculture ne peut devenir durable que lorsqu’elle surmonte sa dépendance majeure aux combustibles fossiles ».
Le constat est là : le secteur agricole (cultures, élevage et sols) représente environ 10 % des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne. 1 % supplémentaire peut être attribué à l’utilisation de combustibles fossiles par les machines agricoles. « Chaque secteur, dont l’agriculture, doit s’engager sur une réduction absolue de son empreinte de CO2 », souligne la Cema. Dans l’immédiat, elle fait une croix sur « une solution universelle » et mise sur une combinaison de technologies, adaptées selon la taille de l’exploitation, la production ou la région. Pour l’énergie solaire, le rendement des systèmes n’est ainsi que de 39 % en Allemagne.
Un des clés de cette transition est la mise au point de batteries légères et d’une grande capacité de stockage, dont dépend « l’adoption potentielle à long terme de l’électrification ». « Jusqu’à présent, à court et moyen terme, l’électrification complète semble réalisable pour les machines agricoles de faible puissance, mais pour les engins de moyenne et grande taille, elle ne constitue pas une alternative pratique aux moteurs à combustion », constate la Cema. L’âge moyen élevé du parc de machines agricoles, essentiellement propulsées par un moteur à combustion, doit être également « pris en compte pour planifier toute transition technologique et énergétique »
C’est donc vers les carburants renouvelables et à faible teneur en carbone, utilisables purs ou mélangés, directement dans les moteurs ou avec une adaptation, que se tourne la Cema. Panorama des solutions mises en avant :
Les carburants issus de la biomasse :
Le diesel renouvelable (HVO, huile végétale hydrotraitée) : produit à partir d’huile végétale, de graisse animale ou d’huile de cuisson usagée convertis en chaînes d’hydrocarbure à l’aide d’hydrogène, ses propriétés sont presque identiques au diesel conventionnel, qu’il peut remplacer totalement. Bien adapté aux opérations hivernales, il peut être utilisé dans tout type de moteur. Tous les véhicules de Claas seront par exemple remplis en HVO à leur sortie d’usine. Sa disponibilité reste aujourd’hui limitée.
Le biodiesel (FAME, Fatty acid methyl ester) : issu de la transestérification d’huiles végétales, de graisses animales ou d’huiles de cuisson usagées avec du méthanol, ses propriétés physiques et chimiques sont assez similaires mais pas identiques à celles du diesel fossile classique. Il peut être utilisé à hauteur de 7 % (B7) dans les derniers moteurs (Stage V) mais des mélanges plus élevés nécessitent des adaptations. L’UE est le leader mondial dans sa production, avec 13 millions de tonnes par an.
Carburant végétal : huile produite directement dans les exploitations agricoles ou dans les raffineries régionales, il peut, au cas par cas et avec des adaptations, faire fonctionner un moteur thermique. Son intérêt est la production locale, sous réserve de contrôles et de stockage de qualité. Dans les pays à forte tradition de colza, comme l’Allemagne, de nombreuses huileries locales et agricoles approvisionnent leurs clients.
Les carburants gazeux :
Biométhane : combustible gazeux produit sous forme de biogaz, valorisé ensuite en biométhane, à partir de la biomasse agricole, du fumier ou de déchets urbains. Il permet jusqu’à 200 % d’économie de gaz à effet de serre par rapport aux combustibles fossiles. Il peut être produit localement à la ferme. Une conception de moteur dédiée est nécessaire mais la technologie est facilement disponible. Il peut être utilisé sous forme de gaz ou liquéfié, ce qui multiplie par 2,5 les capacités de stockage mais nécessite un refroidissement. L’initiative RePowerEU vise à passer la production de biométhane de 3 milliards aujourd’hui à 35 milliards de mètres cubes d’ici 2030.
Les carburants de synthèse :
L’hydrogène vert : issu de sources d’électricité renouvelables, comme l’éolien ou le solaire, c’est un carburant totalement zéro carbone. Des moteurs sont en développement. New Holland dévoile par exemple le sien au prochain salon Agritechnica. Un problème majeur demeure au niveau de la capacité et du poids de stockage. Sa production, encore à ses balbutiements, commence à s’accélérer.
Beaucoup de ces solutions demandent une production supplémentaire de biomasse. Cette augmentation peut être réalisée, pronostique la Cema, « grâce à la diversification des cultures, par exemple les cultures associées, les cultures intermédiaires et l’allongement de la rotation mais également grâce à une couverture permanente du sol ». Au-delà de l’énergie, cette production supplémentaire peut offrir de nouvelles opportunités commerciales, sous la forme de biomasse digérée pour la fertilisation ou de protéines végétales pour l’alimentation humaine et animale (par exemple le tourteau de colza pour remplacer le soja importé). Il s’agit toutefois de trouver un équilibre avec les besoins de production alimentaire et animale. Aujourd’hui, la part de la superficie consacrée aux combustibles issus de la biomasse n’est que de 3 % en Europe (0,5 % dans le monde).
Un soutien attendu de la Pac
Pour que tous les acteurs jouent le jeu, « la tarification du CO2 et la taxation du diesel doivent être telles qu’elles rendent attrayantes l’utilisation de biocarburants durables, aujourd’hui plus chers que le diesel agricole fossile. Chaque carburant doit être taxé en fonction de sa contribution climatique. Un engagement politique fort de la part des autorités européennes et nationales est nécessaire, par exemple, un soutien soit des Fonds structurels et d’investissement de l’Union européenne soit directement du budget de la Pac ». Dans le même temps, une harmonisation réglementaire entre l’UE et ses pays membres devient nécessaire.
Dans cette nouvelle situation, le rôle de l’agriculteur va inéluctablement évoluer. En contribuant à la production d’énergie, que ce soit avec des éoliennes, des panneaux solaires, des mini-raffineries ou des usines de biométhane, ils sont amenés à devenir « prosommateur », c’est-à-dire à la fois producteurs et consommateurs. Cette production et cette utilisation locales contribueraient à accroître l’indépendance énergétique de l’Union européenne pour la production agricole.
Aux yeux de la Cema, le bon vieux moteur à combustion (3,5 millions de tracteurs et 800 000 moissonneuses-batteuses en Europe) demeure donc une solution viable et adaptée pour atteindre les objectifs de réduction de CO2. Elle appelle à « la production et à l’utilisation de carburants renouvelables et à faibles émissions de carbone pour les machines agricoles, pendant que d’autres technologies, électriques ou l’hydrogène vert, arrivent à maturité ».