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Enquête agriculteurs

Retrait du glyphosate : « une balance bénéfices/risques pas clairement établie »


TNC le 30/04/2020 à 06:07
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Cette enquête inter-instituts en ligne a été proposée aux agriculteurs du 15 juillet 2019 au 18 septembre 2019. (©@agrizoom/Banque d'images FranceAgriTwittos)

Plus de 10 000 agriculteurs ont répondu à l'enquête en ligne lancée l'été dernier par les instituts techniques agricoles. Cette dernière présente les pratiques d'usage du glyphosate dans les systèmes de grandes cultures et les inquiétudes des producteurs sur l'interdiction programmée de cet herbicide en France.

« Après l’interdiction de son usage dans une majorité d’espaces publics en 2017, le glyphosate est interdit pour les particuliers depuis 2019. L’élargissement attendu de ces restrictions ou interdictions au monde agricole soulève de nombreuses questions autour de son utilisation actuelle et des alternatives de remplacement », présentent l’Acta, Arvalis, la Fnams (Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences), l’ITB (Institut technique de la betterave) et Terres Inovia. C’est dans ce contexte que les instituts techniques ont décidé de lancer, l’été dernier, cette enquête sur les pratiques d’usage de l’herbicide en grandes cultures. Cette dernière a recueilli 10 183 réponses, dont 7 677 complètes.

Quelles pratiques aujourd’hui ?

Parmi les répondants, 94,8 % utilisent du glyphosate, ponctuellement ou régulièrement, sur toute ou partie de l’exploitation. D’après les résultats, quatre usages ressortent comme majeurs (au-delà de 50 % des répondants) : « lutte contre les vivaces, destruction de repousses ou annuelles en interculture courte d’été, destruction de repousses ou annuelles en interculture longue et entretien des bords de ferme ». « Ces usages, surtout d’interculture, sont pleinement justifiés car efficaces et peu chers », selon les instituts techniques.

Profil des répondants : exploitations « d’une surface moyenne de 176 ha, principalement cultivée en grandes cultures céréalières (avec une charge en cultures d’hiver assez importante : blé tendre, colza et orge) et conduites avec un travail du sol majoritairement de type labour (68 %) ».

« En croisant ces utilisations et les typologies d’exploitation, il apparaît que les répondants en système labouré sont plutôt des utilisateurs ponctuels de glyphosate (1 année sur 3) sur des surfaces limitées (moins de la moitié de l’exploitation) à des doses assez importantes (environ 3 l/ha, variables selon les usages : jusqu’à 5 l/ha sur vivaces). À l’inverse, les répondants en non labour l’utilisent plus fréquemment (tous les ans) sur des surfaces importantes (toute la SAU traitée) mais à doses faibles (environ 1 l/ha, voire moins en intercultures d’été) ». Cas particulier de la production de semences : « les agriculteurs multiplicateurs se servent de cet herbicide dans des conditions similaires aux grandes cultures, avec toutefois des situations d’usage plus larges compte-tenu des contraintes de pureté des lots de semences ».

À voir également :
– [Tribune] Glyphosate – Le coup de gueule d’Emmanuel Ferrand, agriculteur
– Glyphosate – Les conclusions d’une nouvelle étude française pas avant 2021

Des solutions alternatives ?

Parmi les objectifs de cette enquête, figurait également le fait de « savoir si les agriculteurs avaient identifié des alternatives crédibles à l’utilisation du glyphosate pour leur situation », précisent les instituts techniques. 77,5 % des répondants indiquent « ne pas savoir encore comment ils vont gérer leurs problématiques sans glyphosate ».

Sur l’ensemble des répondants, 352 déclarent ne pas utiliser l’herbicide. « Leurs méthodes de gestion des adventices passent alors par un changement de système (agriculture bio) ou bien par un changement de rotation (allongement) et de travail du sol (labour, faux-semis, etc) ». À noter également : « ces exploitations en agriculture biologique ou en cours de conversion sont globalement plus petites (91 ha en moyenne) que celles en agriculture conventionnelle (140 ha) ».

Répartition des agriculteurs non utilisateurs de glyphosate par type de travail du sol et par système (352 répondants). (©Acta, Arvalis-Institut du végétal, Fnams, ITB, Terres Inovia [enquête 2019])

D’après les instituts techniques, « le recours accru au travail du sol (qui ne signifie pas obligatoirement du labour) aura des conséquences sur les besoins matériels, et donc sur les charges liées aux investissements : 70 % des répondants devront se rééquiper. Il modifiera également l’organisation des exploitations et les charges de fonctionnement et de main d’œuvre associées ».

Parmi les utilisateurs de glyphosate, « 90 % déclarent vouloir intensifier les déchaumages et passages mécaniques avant le semis, 84 % les faux–semis, 75 % les interventions mécaniques dans les intercultures et les cultures, 55 % le labour.  76 % déclarent devoir modifier leurs programmes herbicides ».

Quels impacts ?

Cette enquête a également permis de relever les « contraintes/incertitudes causées par l’interdiction programmée du glyphosate sur la viabilité d’exploitation ou de systèmes tels qu’ils sont menés aujourd’hui » comme l’agriculture de conservation des sols. notamment. Ces systèmes sont « vertueux sur de nombreux sujets (sols, érosion, etc.), mais dépendants étroitement de l’utilisation du glyphosate », rappellent les instituts techniques.

Concernant agriculture de conservation des sols et glyphosate, retrouvez :
– Annonce de Didier Guillaume : l’agriculture de conservation des sols pourra continuer à utiliser du glyphosate
– [Techniques culturales] L’agriculture de conservation en grandes cultures bio : utopie ou réalité ?

Sans glyphosate, la ré-intensification du travail du sol aura « avec des conséquences importantes d’ordre économique (investissements), agronomique (érosion, matière organique, etc.), environnemental (consommation de carburant, bilan carbone, etc.) et organisationnel (capacité à travailler toute la surface, main d’œuvre, jours disponibles) ». Autre impact possible de l’arrêt de l’herbicide : « une recrudescence de vivaces et d’adventices annuelles, voire des risques sanitaires accrus (ergot, adventices allergisantes ou toxiques…).

Pour les agriculteurs, « la balance bénéfices/risques n’a pas été clairement établie. Mais une inquiétude vis-à-vis de la concurrence dans une économie ouverte, face à leurs voisins encore utilisateurs, est clairement exprimée par de nombreux répondants ».