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Témoignages d'agriculteurs

Quels leviers pour augmenter son autonomie azotée ?


TNC le 20/12/2022 à 05:03
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Et vous ? Quels sont vos leviers pour augmenter l'autonomie azotée de votre exploitation ? (©Mathieu Bonnehon/Banque d'images FranceAgriTwittos)

Diversification de l'assolement, recours aux légumineuses, création d'une plateforme de compostage... Trois agriculteurs bio de l'Oise présentent les leviers qu’ils ont mis en place sur leur exploitation pour être plus autonomes en azote.

« Comment réduire sa dépendance aux engrais minéraux ? » Tel était l’intitulé d’un rendez-vous organisé à Estrées-Saint-Denis (Oise) dans le cadre du mois de la bio, par la Plaine de l’Estrées, la Chambre d’agriculture de l’Oise, les coopératives agricoles Agora et Ucac, ainsi que Bio Hauts-de-France.

L’objectif : « créer des rencontres entre agriculteurs biologiqueset conventionnels, pour partager points de vue et connaissances », explique Marie Gillet, animatrice agricole de la communauté de communes de la Plaine de l’Estrées.

Diversifier la rotation

Trois producteurs engagés en agriculture biologique ont ainsi répondu favorablement pour présenter les démarches mises en œuvre en fonction de leur territoire et des contraintes de leur exploitation. À l’EARL de la forêt, « la diversification de la rotation est le premier levier de gestion de l’azote », indique Aurélien Berthe, qui travaille à mi-temps avec Jean-Luc Ortegat et sa sœur et sera le futur repreneur. « Sur 140 ha, on compte 12 cultures de vente dont 4 sont des associations céréales-protéagineux et 4 céréales à faible exigence en azote : orge, épeautre, engrain d’hiver et de printemps », explique-t-il.

Voici le détail de l’assolement 2021 par exemple : 22,6 ha de petit épeautre de printemps, 21,1 ha d’épeautre semences, 20 ha de luzerne, 17 ha de maïs grain, 16,2 ha d’orge de printemps, 11 ha d’épeautre-lentillons, 7,9 ha de lentilles-cameline, 7,2 ha de blé semences, 5,4 ha de féverole d’hiver, 3,2 ha de courge, 2,7 ha de petit épeautre, 2,6 ha de pois-triticale et 1,9 ha orge de printemps-féverole. « Toutes les cultures sont réfléchies dans une logique de succession et en fonction du potentiel des sols », précise Aurélien Berthe.

(©EARL de la forêt)

« L’épeautre a été introduit dans l’assolement pour remplacer le blé tendre : il est plus rustique et plus économe en azote. […] Historiquement il y avait des féveroles dans l’assolement, mais la proportion tend à diminuer et on privilégie plutôt les féveroles d’hiver que de printemps pour maintenir le rendement. La culture du pois vert n’est pas toujours facile non plus, mais la valorisation pour l’alimentation humaine est plus intéressante économiquement ». 

Diversifier la rotation, pourquoi pas ? Mais encore faut-il avoir accès à des débouchés, soulignent plusieurs agriculteurs présents lors des échanges. 

Mélanges d’espèces et luzerne

À l’EARL de la forêt, les légumineuses sont également utilisées en interculture : le trèfle blanc, par exemple, semé sous couvert d’une céréale. 2 à 3 t de MS/ha représentent entre 40 et 60 unités d’azote, qui seront utiles pour couvrir les besoins de la culture suivante, comme le maïs grain ou l’orge de printemps. Les agriculteurs pratiquent aussi le mélange d’espèces. Exemple avec la lentille (100 kg/ha) et la cameline (4 kg/ha). Cette dernière a un effet allélopathique et joue le rôle de tuteur aussi. Les rendements vont de 5 à 20 q/ha en lentilles et 0 à 5 q/ha pour la cameline, qui est valorisée en huile, vendue en direct.

Autre association de l’exploitation : pois d’hiver (70 gr/m²) + triticale (100 gr/m²). La céréale a un pouvoir couvrant, et son rôle de tuteur est important à l’approche de la récolte. Il n’y a pas de souci tout au long de l’itinéraire technique pour le mélange lentille-cameline, note Aurélien Berthe. Il relève, par contre, une différence de maturité entre le pois et le triticale à la récolte. Le triage est réalisé essentiellement sur l’exploitation et la partie pour l’alimentation humaine par un prestataire extérieur. Les agriculteurs prévoient toutefois de s’équiper pour gérer l’ensemble.

En ce qui concerne la luzerne, elle avait été introduite pour l’élevage allaitant. Depuis l’arrêt de cet atelier, les agriculteurs fonctionnent en synergie avec des voisins éleveurs laitiers bio pour la luzerne, qui reste en place entre 3 ans et 3 ans et demi, ainsi que pour les prairies temporaires de l’exploitation. Ils font également un échange paille-fumier.

Les agriculteurs résument l’efficacité des leviers utilisés dans le tableau ci-dessous : 

Nature des leviers Efficacité N Efficacité adventices
Diversité des cultures ++ +++
Légumineuses à graines +++ 0
Céréales à faible besoin N (épeautre, orge) +++ ++
Associations de cultures ++  +++
Gestion de l’interculture avec trèfle blanc +++ + (vivaces !)
Adapter les cultures à la minéralisation du sol (maïs, courge) +++ +++ (faux-semis)
Echange paille-fumier +++ 0

La luzerne tient aussi une place importante dans la rotation de Thomas Bourgeois, mais cette fois-ci, il s’agit de la luzerne semences. L’agriculteur a développé la production de diverses semences dès son installation en 2009 à Léglantiers et il a poursuivi cette diversification, même après sa conversion en bio en 2019. 

Le fonctionnement est un peu différent pour la luzerne semences du coup, semée à une densité plus faible (250-300 €/ha) : « la première coupe est exportée par un éleveur (échange luzerne/fumier 1 : 1,8) et la seconde coupe est dédiée à la production des semences, environ 3-3,5 q/ha de rendement moyen (4,4 /ha cette année) », explique l’agriculteur. Les charges de récolte totales sont estimées à 160 €/ha. Pour Thomas Bourgeois, la luzerne permet de «  restituer 200 u N sur 2 à 3 ans, d’améliorer la gestion des adventices (annuelles et vivaces), et de récupérer du fumier (13 t/ha) pour l’exploitation via l’échange ». Il y a aussi une valorisation des graines de luzerne (350 €/q). L’agriculteur souligne toutefois des difficultés au semis avec la sécheresse estivale cette année. Il ne conserve généralement la luzerne que 2 ans en place afin d’éviter les problèmes de mulots et recommande un broyage (coût : 20 €/ha) pour « faire passer l’hiver et permettre une meilleure reprise au printemps ». 

Thomas Bourgeois utilise également d’autres leviers pour les besoins en azote de ses cultures : il cite, dans un ordre décroissant d’importance, « lesprairies temporaires, les légumineuses en culture, le soin des intercultures et l’apport de MO (compost de fientes fumier…) ». L’agriculteur travaille aussi le semis sous couvert de trèfle blanc nain. 

Un exemple de rotation pour l’exploitation de Thomas Bourgeois. (©Thomas Bourgeois)

Maîtriser la qualité des composts apportés 

Pour augmenter son autonomie azotée, la ferme Artera bio a, elle, développé sa propre activité de compostage sur la commune d’Estrées-Saint-Denis. Avec un historique de cultures industrielles et de recours à l’irrigation, Florian Strube, son propriétaire, a fait ce choix pour « améliorer le taux de MO des sols épuisés, naturellement faibles en MO et assez sensibles à la battance », explique l’agriculteur.

Autres objectifs : « réduire les achats de compost extérieurs et valoriser les fumiers de notre centre équestre et des centres équestres de Compiègne ». L’évolution s’est faite progressivement : l’agriculteur a démarré dès 2012 avec des tas en bouts de champs. En 2016, il met en pratique une formation suivie, l’année précédente, sur le compostage en aérobie en Autriche. Il développe une plateforme dédiée et investit dans un retourneur, avec l’aide de l’Agence de l’eau. 

« Le compost se compose à 70 % de fumier de cheval, de 20 % fumier de bovins (très important) et de 10 % de déchets verts, indique Florian Strube. Un retournement régulier, environ 2 fois par semaine, doit être réalisé pour avoir suffisamment d’oxygène pour l’activité biologique. Il convient d’être vigilant quant aux facteurs humidité et température (< 60°C). Cette dernière peut monter très vite au cœur de l’andain et cela peut favoriser la présence de champignons non désirables », précise l’agriculteur. Il estime une durée moyenne de compostage de 8 semaines. Ce processus permet de « concentrer les matières fertilisantes (production annuelle : 6 000 m3 de matières brutes pour environ 1 000 t de compost) et aussi de les hygiéniser ». Tout compris (du matériel jusqu’à l’épandage), Florian Strube estime un coût de production du compost de 25 €/t. Des analyses sont réalisées chaque année pour évaluer les valeurs, variables chaque année. La production annuelle permet des apports de 15 à 20 t/ha pour 50 % de la surface en bio. 

Florian Strube essaye aussi de limiter le recours aux achats extérieurs de fertilisants via la rotation, basée sur 6 ans : prairies temporaires sur 2 ans, pommes de terre ou oignon, céréale à paille, carotte ou haricot, maïs ou céréale à paille. Il privilégie le trèfle Micheli car il n’est pas vecteur du sclérotinia, et évite également de trop introduire de légumineuses en interculture compte-tenu de son assolement. 

Exemples du programme de fertilisation 2022 : 

Pour un blé assolé (potentiel 60 q/ha) :
– 15 t de compost 6-4-12 : 375 € (30 u N utile)

– 3 t de fientes = 195 € (60 u N)

– 500 kg de bouchons = 330 € (60 u N)

Pour des plans de pommes de terre (potentiel 35 t/ha) : 

– 20 t de compost = 500 € (40 u N, 80 u P et 240 u K)

– 0,28 t Patenkali = 190 € (90 u K)

– 3 t de fientes = 195 € (60 u N)

– 500 kg de bouchons = 330 € (60 u N).