Produire plus d’œufs bio ou Label rouge, une équation complexe
AFP le 18/09/2025 à 10:15
Il est 11 h, comme tous les jours, les trappes d'un bâtiment s'ouvrent et 6 000 poules rousses de Loué sortent en caquetant picorer sur leurs cinq hectares de prairie arborée. Un modèle plébiscité en théorie par les Français mais complexe à généraliser face aux aléas de la demande.
A l’intérieur, Lucas Corbin, 22 ans, trie d’une main experte les œufs qui arrivent encore chauds depuis les nids sur un tapis roulant et qui seront estampillés Label rouge, c’est-à-dire avec un cahier des charges plus exigeant que le plein-air (code 1) sur la taille de l’élevage, sa densité, le parcours accessible aux animaux et leur nourriture.
« C’est ce que j’ai toujours connu, des poules dehors, des méthodes respectueuses. » Son père, dont il reprendra l’exploitation située au nord du Mans dans quelques années, a été le quatorzième éleveur de la coopérative des Fermiers de Loué à se lancer dans les œufs labellisés à la fin des années 80. On était à l’apogée des poules en cage, pour des raisons sanitaires. Mettre des poules dehors c’était inimaginable », raconte Martine Cottin, responsable vétérinaire de la coopérative.
Aujourd’hui, la coopérative compte 330 élevages de pondeuses et a une liste d’attente d’une vingtaine d’éleveurs prêts à s’installer ou s’agrandir, fait rare dans un monde agricole qui peine à renouveler ses générations.
« On a une bonne image. On est local, tout le monde ici connaît quelqu’un de chez Loué », se réjouit Martine Cottin.
Profil type des éleveurs en attente : des céréaliers qui cherchent à stabiliser leurs revenus ou des femmes d’exploitants qui veulent « revenir sur la ferme » avec leur propre activité.
Demande d’œufs labellisés en berne
La coopérative a l’intention de participer à son niveau à la construction de 300 nouveaux poulaillers d’ici 2030, comme le prévoit le plan de la filière pour répondre à la demande croissante d’œufs des Français.
Mais Philippe Gélin, président du groupe LDC, qui emballe et commercialise les œufs Loué (bio et Label rouge), prévient toutefois qu’il faut « être sûr, avant d’installer des nouveaux éleveurs, que la demande sera là ».
La France produit environ 15 milliards d’œufs par an, soit 226 œufs consommés par habitant en 2024 contre 200 il y a dix ans.
Près de sept milliards ont été achetés par les ménages en 2024. Cette part a augmenté de plus de 300 millions d’œufs supplémentaires par an ces dernières années, ce qui crée parfois des tensions d’approvisionnement dans les rayons des supermarchés.
Mais la demande n’est pas homogène. Actuellement, près de la moitié des œufs vendus en magasin en France sont « plein-air » (45 %) et 16 % bio ou Label rouge. Les modes d’élevages sans accès à l’extérieur représentent près de 40 % : 19 % pour les poules au sol et 18 % en cage.
Avec l’inflation à partir de 2022, la consommation d’œufs bio et Label rouge – qui coûtent quatre fois plus cher à produire que des œufs de poules en cage – a reculé alors qu’elle avait atteint son apogée en 2019-2020.
La cage décriée
La reprise ces derniers mois est timide, les acteurs du bio se désolant des coupes budgétaires dans les enveloppes dédiées au maintien ou à l’installation d’agriculteurs bio et dans les fonds publics dédiés à encourager la consommation.
En parallèle, la demande d’œufs de plein-air sans label et pour les œufs de poules au sol, sans accès à l’extérieur, connaît une croissance à deux chiffres, au détriment des cages.
Après avoir investi 16 millions d’euros dans son centre de conditionnement en 2019 pour emballer et tracer précisément jusqu’à 120 000 œufs par heure, LDC a décidé de diversifier son offre.
Mi-2022, en pleine explosion de l’inflation, le groupe reprend Matines dont 60 % des volumes proviennent de poules en cage, modèle décrié par les ONG et que la filière s’est engagée à délaisser.
Aujourd’hui, sur les 500 éleveurs qui approvisionnent LDC, cinq pratiquent encore l’élevage de poules en cages et représentent 10 % des 1,3 milliard d’œufs « coquille » vendus par le groupe en 2024.
L’objectif est d’arriver à zéro d’ici 2027, peut-être avant si l’augmentation de la demande d’œufs ne retarde pas les transitions, la priorité pour la filière étant d’éviter le recours aux importations après le scandale provoqué fin août par la présence dans quelques supermarchés français d’œufs ukrainiens, contenant potentiellement des antibiotiques interdits dans l’Union européenne.