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Production de biogaz

Près de Nantes, le plus gros projet de méthaniseur de France passe mal


AFP le 01/10/2021 à 11:19
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La France compte environ 220 méthaniseurs. (©Pixabay)

Huit digesteurs de 24 mètres de haut, 170 passages de camions par jour, 498 000 tonnes de matières organiques par an, 230 agriculteurs engagés... En Loire-Atlantique, le plus gros projet de méthaniseur de France passe mal, habitants et élus s'inquiétant de la « démesure » du projet.

À Corcoué-sur-Logne, au sud de Nantes, le long de la route qui mène au site du futur méthaniseur géant « Méta Herbauges », des panneaux triangulaires « Non à la méthanisation XXL », donnent le ton.

La France compte plus de 220 méthaniseurs, agricoles pour les deux tiers, permettant de produire du biogaz à partir de déchets organiques et autres effluents d’élevages. Cette activité en plein essor depuis 10 ans suscite souvent chez les riverains des craintes de nuisances (pollution, odeurs …).

Au volant de sa voiture, Jacqueline Fraboul, membre du Collectif Vigilance Méthanisation Corcoué (CVMC), s’enflamme. « Là sur cette petite route, si un 40 tonnes croise un car de ramassage scolaire, l’un des deux ira forcément au fossé ».

Un permis de construire a été déposé en avril mais le projet, initié en 2019, est classé ICPE (Installation classée pour la protection de l’environnement, ndlr) et doit obtenir une autorisation préfectorale.

Porté par la coopérative d’éleveurs bovins Coop d’Herbauges (51 %) et la société danoise Nature Energy (49 %), qui se présente comme le « leader mondial en méthanisation », Méta Herbauges est, selon ses promoteurs, un « projet collectif de territoire » visant à démocratiser la méthanisation. L’investissement est évalué à 90 millions d’euros.

L’idée est d’assurer aux 230 agriculteurs engagés des revenus complémentaires d’environ un Smic par mois « sans rien changer à leur pratiques » grâce à la prise en charge de leurs effluents d’élevage, fumiers et lisiers, ainsi que des cultures intermédiaires (seigle, sorgho) pour en faire du « gaz vert » réinjecté dans le réseau à 20 km de là.

Selon Nature Energy, l’usine assurerait une production de 250 GWh/an, soit 0,55 % de la consommation de gaz française, tout en évitant 59 000 tonnes de CO2 par an.

« Piste sérieuse » ou « démesure »

« Ce projet est un exemple de production locale d’énergie verte pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de l’élevage plutôt que de faire venir du gaz de schiste d’on ne sait où », plaide Alban Sauvaget, producteur de lait et céréales impliqué dans le projet, qui prévoit des économies d’engrais chimiques grâce au digestat issu de la méthanisation.

Pour cet agriculteur qui vend son lait « à perte depuis 14 ans », c’est aussi une « piste sérieuse, qui relève parfois de la survie, pour asseoir une production laitière menacée sur le territoire ».

Principales critiques des opposants, la taille du projet « cinq fois plus important » que le plus gros méthaniseur existant en France, selon un récent rapport de la Commission nationale du débat public (CNDP), et « le sentiment d’avoir été mis devant le fait accompli », selon Claude Naud, maire DVG de Corcoué.

« Il faut produire beaucoup pour atteindre un seuil de rentabilité, mais là on est dans la démesure », observe cet élu.

« Avec 24 millions d’euros de recettes annuelles grâce à un tarif de rachat deux fois plus élevé que le gaz fossile, garanti par l’État pendant 15 ans, c’est un projet juteux dont 49 % partiront chez des actionnaires capitalistes », tance-t-il.

Même son de cloche du côté de la Vendée voisine. « Je suis pour une économie circulaire de proximité, mais là c’est un mastodonte avec des éleveurs éloignés de 80 kilomètres. On va faire rouler des tas de camions dans tous les sens », s’inquiète Alain Leboeuf, président LR du conseil départemental.

Pour répondre aux opposants, la CNDP préconise une large concertation et la possibilité de modifier le projet. « On l’a figé avant d’aller voir les habitants, une méthode à l’ancienne pour des projets de cette taille », confirme Bertrand Lemoult, directeur de recherche à l’école d’ingénieur IMT Atlantique.

« Énergiculteur »

« L’enjeu est de remplacer des énergies fossiles qui viennent de loin par la production d’énergies locales. On a absolument besoin de gaz renouvelable mais ça crée des nuisances qui, auparavant, étaient externalisées. Pour vivre avec, il faut que le projet soit coconstruit », poursuit l’enseignant-chercheur, pour qui « on voudrait qu’en France les énergies renouvelables soient plus blanches que blanches ».

Par son ampleur, le projet de Corcoué soulève aussi des interrogations sur l’avenir. L’agriculteur va-t-il devoir se transformer en « énergiculteur » pour survivre ? Les cultures qui alimentent les mégas méthaniseurs épuiseront-elles les ressources en eau et en paille en cas de grave sécheresse ?

« Le risque est que les agriculteurs deviennent producteurs de fumier et de lisier, ce qui oblige à enfermer les vaches en bâtiment, à faire du maïs pour les nourrir et à équilibrer avec du soja importé, bref consommer beaucoup d’énergie », redoute Benjamin Boileau, agriculteur opposé au projet, pour qui le digestat, privé de son carbone, « n’a pas la même valeur qu’un fumier pour nourrir les champs ».

Jacques Dupont, éleveur de canards, a lui renoncé au projet, invoquant une intention « noble » mais des routes qui vont être « défoncées » et « beaucoup de kilomètres parcourus pour du fumier ».

Pour lutter contre le réchauffement climatique, la loi de Transition énergétique encourage fortement la méthanisation, et fixe à 10 % la part de la consommation de gaz renouvelable à l’horizon 2030, contre 0,5 % actuellement.

« Pourquoi devrait-on toujours rester à des échelles artisanales alors qu’il est urgent de changer de paradigme énergétique ? », s’interroge Alban Sauvaget.

« Est-ce qu’on va continuer à épandre les effluents d’élevage bruts, d’autant que la France en produit 170 millions de tonnes chaque année ? Le Giec (experts climat de l’ONU, ndlr) est très clair, il faut arrêter les émissions de méthane provenant du monde agricole », renchérit Guillaume Loir, directeur exécutif France de Nature Energy.

Reste que le bilan carbone positif du projet n’est pas démontré : en raison de sa complexité, des facteurs d’émission ne sont pas pris en compte, note la CNDP. 

« L’énergie renouvelable n’est pas vertueuse en soi », observe Claude Naud. « Elle l’est si elle coche toutes les cases de la vertu écologique qui ne se limite pas à la vertu énergétique ». Le maire pointe aussi le risque d’accidents, comme à Châteaulin (Finistère) en octobre 2020.

Alors que le méthaniseur de Corcoué suit sa phase d’instruction, les deux camps semblent irréconciliables. « Il faudrait l’intervention d’un tiers de confiance », conseille Bernard Lemoult, même s’il reconnaît que « lorsqu’un projet est mal emmanché, vous pouvez changer les Powerpoints, la confiance est difficile à rétablir ».