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Semences

Néonicotinoïdes : pas de dérogation possible à l’interdiction de l’UE


AFP le 19/01/2023 à 15:04
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Des dérogations avaient été accordées en France, en 2021 et 2022, pour les betteraves sucrières. (©Pixabay)

Les États membres de l'UE n'ont pas le droit de déroger à l'interdiction européenne des semences traitées aux néonicotinoïdes, y compris dans les circonstances exceptionnelles invoquées notamment pour protéger les betteraves, a tranché jeudi la justice européenne (article mis à jour à 17 h 07).

Si une disposition de la législation européenne permet aux États d’autoriser exceptionnellement les pesticides et insecticides contenant des substances bannies dans l’Union européenne (UE), celle-ci « ne leur permet pas de déroger aux réglementations visant expressément à interdire la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de tels produits », estime la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). L’UE a interdit depuis 2018 l’usage en plein champ, pour toutes les cultures, de trois néonicotinoïdes (clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride), accusés d’accélérer le déclin massif des colonies d’abeilles.

Pour autant, 11 États membres ont adopté depuis des « autorisations d’urgence » pour faire face à la baisse de leurs rendements, dont la Belgique (qui s’apprêtait à renouveler sa dérogation pour la troisième année) et la France. Interrogée sur le cas de six dérogations adoptées à l’automne 2018 par la Belgique, et concernant notamment les semences, la CJUE a jugé ces dernières illégales.

Les États ont certes le droit « dans des circonstances exceptionnelles, à savoir lorsqu’un danger ou une menace compromettant la production végétale ou les écosystèmes ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables », d’autoriser temporairement « des produits phytopharmaceutiques ne satisfaisant pas aux conditions prévues » par le texte européen, note-t-elle.

En décembre, le ministre s’était dit  favorable à une nouvelle dérogation

Pour autant, concernant « les semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant des substances interdites expressément », le législateur européen « n’a pas entendu permettre aux États membres de déroger à une telle interdiction expresse », juge la Cour installée au Luxembourg, dont les arrêts s’imposent aux juridictions nationales des Vingt-Sept.

Les ONG ayant saisi la CJUE faisaient ainsi valoir que ces néonicotinoïdes « sont utilisés de manière croissante à travers la technique de l’enrobage des semences » et « au lieu d’être pulvérisés sur la culture, ils sont donc préventivement appliqués sur les semences avant l’ensemencement, sans égard à la présence avérée ou non des insectes que ces produits visent à éliminer ».

Or, les Etats membres sont tenus de privilégier les méthodes insecticides « à faible apport en pesticides », voire « non chimiques » quand c’est possible, et à recourir aux « pratiques et produits présentant le risque le plus faible pour la santé humaine et l’environnement parmi ceux disponibles », insiste la Cour.

En France, le Parlement avait autorisé fin 2020 le retour temporaire de ces insecticides, pour voler au secours des producteurs dont les rendements avaient été drastiquement réduits par la jaunisse de la betterave, due à la présence de pucerons verts, vecteurs de cette maladie. La loi précisait que les dérogations ne pourraient être accordées, jusqu’en juillet 2023, que pour les semences de betterave sucrière. Le ministre français de l’agriculture, Marc Fesneau, s’était dit en décembre favorable à une nouvelle dérogation, après celles de 2021 et 2022, « pour lutter efficacement » contre la prolifération des pucerons verts, « en attente de solutions alternatives ».

236 dérogations en 4 ans à travers l’UE

En Allemagne, des dérogations pour l’usage des néonicotinoïdes ont été accordées sur environ un tiers des surfaces betteravières en 2021, selon la fédération du secteur. Sur quatorze pesticides interdits par Bruxelles, 236 dérogations ont été adoptées à travers l’UE ces quatre dernières années, la moitié concernant des néonicotinoïdes, sans que les États n’en justifient la nécessité, estime l’association PAN Europe, co-requérante devant la CJUE.

« La CJUE établit clairement que les substances interdites dans l’UE pour raisons sanitaires ou environnementales ne peuvent pas être réintroduites de manière détournée au niveau des États, une pratique devenue courante », observe l’avocat de l’ONG Antoine Bailleux. Ces dérogations « ne présentent pas d’analyse sur le caractère exceptionnel de la situation rencontrée et les alternatives chimiques et non-chimiques existent bel et bien », a réagi jeudi la députée belge écologiste Séverine de Laveleye. Le directeur de PAN Europe Martin Dermine a salué « un grand jour pour les pollinisateurs en Europe », qui « rappelle que le droit doit primer sur les intérêts de l’industrie des pesticides et des lobbies de l’agri-business ». 

Même satisfaction, en France, de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), qui a annoncé dans la foulée ne pas participer à la réunion vendredi du Conseil français de surveillance des néonicotinoïdes, « pour ne pas se rendre complice d’une décision contraire au droit ». L’ONG Agir pour l’environnement et le syndicat Confédération paysanne avaient récemment claqué la porte de ce conseil, estimant que « le risque de reprise de la diffusion du virus de la jaunisse est quasi-inexistant » pour la saison 2023 et ne pouvait donc pas justifier une nouvelle dérogation.