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Changement climatique

Les haies, nouvel eldorado pour les crédits carbone


AFP le 12/12/2020 à 19:12
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Réservoir de biodiversité, protectrices des sols et cultures, les haies figurent désormais dans le label « bas carbone », qui doit aider la France à atteindre ses objectifs climatiques. En Mayenne, elles sont déjà l'objet d'échanges de crédits carbone entre agriculteurs et entreprises.

Éleveur de Blondes d’Aquitaine à Evron (Mayenne), Christophe Bouvet vient de signer une convention qui prévoit de le rémunérer 1 400 euros par an, pendant une période de cinq ans renouvelable, s’il entretient ses 13 km de haies bocagères selon un « plan de gestion durable ». La méthode de quantification du carbone vient d’être validée par le ministère de la Transition écologique. L’objectif étant de maximiser la capacité de ses haies à séquestrer du CO2.

« Je suis payé pour le carbone capté par mes haies, environ 18 tonnes par an pour 80 euros la tonne. Cela m’aide à les préserver et donne du sens à mon travail », se félicite l’éleveur, qui passe chaque année une centaine d’heures à entretenir ses haies. Selon le dispositif Carbocage soutenu par l’Ademe, Christophe Bouvet devra, entre autres, protéger ses haies des bovins par des clôtures, replanter des essences locales, veiller aux arbres têtards, le tout sans brûler les branches élaguées… Deux audits sont prévus pour certifier que les haies ont bien fait leur travail de séquestration.

« Réconcilier écologie et économie »

À dix kilomètres de là, l’entreprise MB Pack, spécialisée dans l’emballage alimentaire, est aussi engagée dans Carbocage. Elle va verser 18 000 euros en cinq ans à l’association Solenat, qui gère le dispositif, pour compenser les 45 tonnes de CO2 émis chaque année par ses commerciaux. « On s’inscrit dans une démarche environnementale en réduisant chaque année l’impact de nos produits sur l’environnement, ainsi que nos déplacements, mais on ne peut pas tout faire en visioconférence », explique Laurent Lemarchand, directeur associé, qui se dit « attaché au bocage ».

Considérées après guerre comme un obstacle au développement à l’agriculture, les haies ont disparu à 70 % des bocages français depuis 1950, et continuent de diminuer, selon le ministère de l’agriculture. Jean-Marc Lalloz, coordinateur du collectif Bocage 53, considère ces échanges de crédits carbone d’un nouveau genre comme une voie pour « réconcilier écologie et économie ». « On redonne de l’utilité au bocage. Avant il fournissait du bois de chauffage, aujourd’hui c’est un puits de carbone », observe le militant associatif.

Le Rôle positif de l’agriculteur

Mais cela ne doit pas être un « prétexte au verdissement d’un système agricole productiviste ou d’une entreprise qui ne ferait pas l’effort de réduire ses émissions », prévient M. Lalloz pour qui « c’est un point de départ et non un permis de polluer. » Avec 31 000 km de haies, la Mayenne est par ailleurs loin, selon ses calculs, des 110 000 km qui seraient nécessaires pour couvrir les émissions de CO2 de ses 300 000 habitants.

Pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, le piégeage du CO2 dans le sol pourrait avoir « des incidences considérables » s’il était mis en oeuvre à grande échelle, selon le groupe d’experts du climat du GIEC. « Une des contributions essentielles du secteur agricole est la captation de CO2 dans l’atmosphère. Les haies, qu’il faut arriver à préserver, sont un levier, et donnent un rôle positif à l’agriculteur », note Thomas Eglin, ingénieur à l’Ademe.

Outre les multiples « services » rendus par les haies en termes biodiversité ou de lutte contre l’érosion des sols, Christophe Bouvet revendique une action « locale, facilement contrôlable ». « Si je suis une entreprise, l’arme absolue pour séquestrer le maximum de carbone, c’est de planter des arbres. Cela coûte moins cher de le faire en Amazonie mais la probabilité est plus forte d’avoir un suivi sérieux si on séquestre près de chez soi », confirme Pierre Dupraz, directeur de recherches à l’Inrae, qui a participé à Carbocage.

« Il y a toujours un doute sur la pérennité de la séquestration, si une exploitation disparaît et que les haies sont arrachées », nuance Cyrielle Denhartigh, du Réseau Action Climat pour qui la priorité reste de « réorienter la Politique agricole commune vers plus d’écologie ».