Le combat d’enfants d’anciens agriculteurs malades des pesticides


AFP le 02/05/2025 à 10:15

Démences, Alzheimer... Face aux maladies neurodégénératives qui handicapent leurs parents, anciens agriculteurs, des hommes et des femmes se battent depuis des années pour les faire reconnaître comme maladies professionnelles liées aux pesticides.

Certaines pathologies sont inscrites au tableau des maladies professionnelles. Pour d’autres, la reconnaissance passe par un examen du Fonds d’indemnisation des pesticides (FIVP), voire par les tribunaux, des démarches longues et complexes.

« J’ai passé des mois et des mois à constituer le dossier », raconte à l’AFP Benoît Laurent, dont le père Martial, 84 ans, « préposé à l’épandage des pesticides » au sein de la ferme familiale pendant des décennies, sans protections, a été diagnostiqué Alzheimer en 2008. Il faudra attendre quinze ans pour la reconnaissance comme maladie professionnelle et le versement d’une indemnité.

Benoît Laurent a lancé les démarches en 2020, appuyé par ses deux frères et une association, le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest, après avoir assisté à la « lente dégradation » de l’état de son père et à l’épuisement de sa mère, décédée en novembre 2023. « Mon père n’était plus du tout en état de se battre. » Avec l’entrée de Martial en Upad (Unité pour personnes âgées désorientées) en 2020, à 2 000 euros par mois, les économies de ses parents « ont fondu comme neige au soleil ». « Il ne restait plus rien sur les comptes », poursuit son fils. L’indemnité permet à présent de couvrir la prise en charge de son père. « Il n’a pas profité de sa retraite » et sa mère « a ressenti beaucoup d’amertume », regrette Benoît Laurent.

Philippe Lendormy, dont le père Joseph est mort en 2022, souffrant d’une démence à corps de Lewy, a aussi mis longtemps à entamer des démarches, faute d’informations. « Il m’a fallu presque huit ans, pour faire le lien avec les pesticides », rembobine ce conseiller principal d’éducation âgé de 60 ans.

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Son père était agriculteur sur une petite exploitation familiale en Ille-et-Vilaine et responsable des traitements aux pesticides dans une douzaine d’exploitations voisines.

Son père « plongeait le bras dans la cuve pour mélanger (les pesticides), il ressortait orange jusqu’à l’épaule » et « n’a jamais eu de tracteur avec une cabine pressurisée » pour se protéger lors des épandages, se souvient Philippe Lendormy. A 74 ans, l’ancien agriculteur développe les premiers symptômes de la maladie.

« J’ai fait la demande (de reconnaissance comme maladie professionnelle) très tardivement, deux mois avant que mon père ne décède », poursuit-il. Ses parents n’avaient « ni l’énergie, ni les codes pour aller en justice ».

Avec le soutien du collectif et après plusieurs refus, il obtient enfin de la justice une indemnité pour sa mère de 82 ans qui s’est occupée de son mari malade pendant des années.

Valérie Vivien, 50 ans, espère obtenir gain de cause devant la justice après un refus de reconnaissance de la démence fronto-temporale de son père comme maladie professionnelle.

Michel Pelatre, 77 ans, ancien agriculteur en polyculture-élevage en Ille-et-Vilaine, a développé des troubles en 2007 et a été diagnostiqué dix ans plus tard. Lui aussi a utilisé des pesticides sans protection pendant près de 40 ans.

Quand les crises sont devenues trop fortes, il est entré en 2021 en Unité d’hébergement renforcée (UHR) puis en Ehpad, avec un coût de 2 200 euros mensuels. Après avoir vendu les terres et puisé dans les comptes, « je dois vendre la maison, maman a du mal à comprendre » alors que ses parents « ont bossé toute leur vie pour avoir ça », confie Valérie Vivien, la voix brisée. Sa mère, ancienne agricultrice, développe aussi des troubles de la mémoire.

Valérie Vivien espère obtenir une indemnité pour la prise en charge de son père et pour que « d’autres personnes qui ont la maladie de papa n’aient pas à mener ce combat si c’est reconnu dans le tableau des maladies professionnelles ».

« Je voudrais que les jeunes agriculteurs voient ce que peut provoquer l’utilisation des pesticides. Ils ont dégradé le cerveau de papa, ce n’est pas acceptable », conclut-elle avec amertume.