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Ravageur

La mouche asiatique fait trembler la filière cerise française


AFP le 18/01/2023 à 09:43

Confronté au retrait d'un pesticide jugé dangereux, la filière des cerises françaises redoute une baisse drastique de la récolte, faute de pouvoir neutraliser la mouche asiatique qui s'attaque à ses vergers.

« Cerises françaises, bientôt un souvenir ? » : une trentaine de tracteurs ont convergé en début de semaine vers la place principale de Tournon-sur-Rhône (Ardèche). Sur les capots, des panneaux résument la détresse des manifestants : « Papy a planté, papa aussi et moi je dois arracher », dit un des messages. Alors que les arbres ne sont pas encore en fleurs, la saison des cerises s’annonce morose du fait de l’interdiction d’une molécule utilisée pour lutter contre la Drosophila suzukii, un minuscule moucheron invasif arrivé en France il y a une dizaine d’année, expliquent ces producteurs.

La Commission européenne a refusé début 2022 de renouveler l’homologation du phosmet, en raison de « risques inacceptables pour les opérateurs, travailleurs, passants et résidents », pointés par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). La décision relevait également « un risque aigu et chronique élevé pour les consommateurs » ainsi que pour la faune.

 Après un délai de grâce d’une dizaine de mois, cette molécule et son produit associé, l’Imidan, sont interdits en France, au grand dam de ces agriculteurs. La filière est vent debout dans les principaux départements producteurs : le Vaucluse, le Gard, le Rhône ou encore l’Ardèche.

Les filets, une alternative complexe

« À partir de la mi-juin, on ne pourra plus ramasser de cerises », assure Florian Minodier, arboriculteur en Ardèche. En cause, cette Drosophila Suzukii, qui se reproduit à une vitesse fulgurante et pond ses œufs dans les fruits rouges à maturité, particulièrement lorsque le temps est chaud et humide. Il y a sept ans, l’interdiction d’une première molécule également jugée toxique par les autorités sanitaires, le diméthoate, avait déjà augmenté la charge de travail, ajoutent ces producteurs.

D’après eux, les produits encore autorisés (Success 4, Exirel, Karate Zeon, notamment) nécessiteraient davantage de traitements pour une efficacité encore réduite. « La nuit on traite, la journée on ramasse, et malgré tout on a toujours peur que les cerises soient piquées », témoigne Aurélien Gayet, arboriculteur dans le Rhône. Une autre solution consiste à poser des filets sur les cerisiers pour empêcher les mouches d’atteindre les fruits. Mais pour les nombreux vergers de coteaux la mise en place est complexe, assurent ces producteurs.

Au-delà de l’investissement de plusieurs dizaines de milliers d’euros, les filets induisent des contraintes dissuasives, poursuivent-ils. « Ça nous demanderait de retailler tous les arbres, sans compter que les filets ne sont pas fait pour nos vergers traditionnels parfois non-mécanisables », explique Alain Arquillère, producteur à Saint-Julien-sur-Bibost (Rhône).

Dérogations

Dans ce coin des Monts du Lyonnais, autour de Bessenay, la cerise est la principale production depuis plusieurs générations. Elle fait vivre plus d’une centaine de producteurs mais aussi plusieurs expéditeurs de fruits. Parmi eux, Cerifrais dont les cerises représentent 95 % de l’activité. Avec un chiffre d’affaire de 7,5 millions d’euros, l’entreprise se porte bien, à condition d’avoir du volume. « On a fait des investissements de plusieurs millions d’euros récemment pour agrandir et améliorer le tri des cerises », explique son directeur Thomas Coignat.

Pour équilibrer les comptes, l’entreprise devra vendre au moins 800 tonnes de cerises en 2023, contre 1 300 tonnes en 2022. Mais sans la molécule interdite, Thomas Coignat craint que le volume ne soit divisé par deux, voire plus. « Il y a des moyens de lutte à l’étude mais il faut laisser le temps à la filière », affirme-t-il.

C’est aussi l’avis des principaux syndicats agricoles. « Comme le gouvernement l’a déjà fait, sur la betterave par exemple, il faut des dérogations jusqu’à ce qu’il y ait une solution alternative », réclame Jérôme Volle, vice-président de la FNSEA, qui a participé lundi à la manifestation de Tournon-sur-Rhône, aux côtés d’environ 150 personnes.

Le ministère de l’agriculture doit recevoir prochainement les producteurs. Selon un arboriculteur présent à la manifestation, même avec une dérogation, il faudrait que « les fournisseurs puissent fabriquer le produit dans les temps », alors que la cueillette commence vers la mi-mai.