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Tribunal judiciaire de Paris

La justice française déboute des paysans nicaraguayens victimes d’un pesticide


AFP le 12/05/2022 à 09:03

Le tribunal judiciaire de Paris a débouté mercredi 1 200 ouvriers agricoles nicaraguayens exposés pendant des années à un pesticide toxique et qui cherchaient à obtenir en France l'application d'un jugement rendu dans leur pays et resté lettre morte.

Les juges ont déclaré « inopposables sur le territoire français » l’ensemble des décisions de la justice nicaraguayenne, qui avait donné raison dès 2006 à ces anciens travailleurs de bananeraies dans un jugement confirmé jusqu’en cassation, en 2013. En première instance, le tribunal civil de Chinandega avait condamné trois multinationales – Shell, Dow Chemical et Occidental Chemical, qui avaient commercialisé le pesticide DBCP en Amérique centrale – à verser 805 millions de dollars à ces ouvriers agricoles.

Il n’avaient jamais reçu cette indemnisation, les sociétés ayant retiré « tous leurs actifs matériels du Nicaragua », avait expliqué leur avocat, Me Gustavo Antonio Lopez. De leur côté, les multinationales affirment n’avoir « jamais été présentes dans le pays », selon leurs avocats.

Espérant faire de ce dossier un symbole de la lutte contre les produits chimiques toxiques, les paysans avaient saisi la justice française en 2018 en demandant une procédure « d’exequatur », qui permet d’exécuter en France une décision rendue par une juridiction étrangère. Le tribunal de Paris a débouté les requérants, au motif que les multinationales mises en cause avaient choisi d’être jugées aux Etats-Unis, conformément à leur droit, ce qui « a privé la juridiction nicaraguayenne de toute compétence », selon la décision consultée par l’AFP.

En conséquence, le tribunal français ne pouvait que rejeter une demande d’exequatur d’une juridiction déclarée incompétente. Prenant acte de cette décision, les avocats français des paysans ont estimé qu’une action portée devant la justice américaine se serait soldée « par un échec, puisqu’il est constant qu’aux Etats-Unis, les juridictions évitent de condamner les sociétés nord-américaines pour les dommages qu’elles causent à l’étranger ».

Jugeant que la décision ne « remet pas en cause la souffrance des plaignants » ni « le lien de causalité entre leurs affections physiques et leur contamination au DBCP », Mes Clara Gerard-Rodriguez et Pierre-Olivier Sur disent examiner avec leurs clients « l’opportunité » de faire appel.

Le pesticide DBCP a été commercialisé en Amérique centrale jusqu’en 1985 sous le nom de Nemagon ou Fumazone, alors qu’il était interdit aux États-Unis depuis 1979. Au Nicaragua, au moins 17 000 travailleurs auraient été intoxiqués par ce pesticide, accusé d’être à l’origine d’infertilité, de cancers, et de graves troubles neurologiques, selon la défense des paysans. Le cas du DBCP rappelle celui du chlordécone, pesticide utilisé dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe jusqu’en 1993.