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Rejets d'eau douce dans l'étang de Berre

EDF dans les clous mais pollueur ?


AFP le 03/05/2022 à 10:19

Des milliers de poissons morts, des herbiers menacés: à l'été 2018, l'Etang de Berre, une des plus grandes lagunes méditerranéennes d'Europe, a traversé une grave crise écologique due notamment aux rejets massifs d'eau douce d'EDF, citée lundi devant le tribunal correctionnel de Marseille.

Mais « EDF peut-elle être reconnue coupable d’une infraction de pollution alors qu’elle n’a pas dépassé les limites imposées ? ». C’est la question que s’est posée la présidente du tribunal, Laure Humeau, au sujet de ce vaste étang des Bouches-du-Rhône. Car l’entreprise, qui fournit un tiers de l’électricité de Provence-Alpes-Côte-d’Azur grâce à ses centrales hydroélectriques, n’avait pas dépassé, dans son usine de Saint-Chamas, les volumes d’eau douce imposés par la loi.

Depuis plus de 10 ans, après la condamnation de l’État français en 2005 par la Cour de justice de l’Union européenne pour la dégradation de l’état écologique de l’étang de Berre du fait « du canal usinier d’EDF », le producteur d’électricité a déjà limité ses déversements d’eau douce et de limons. « Insuffisant », tacle le Gipreb (syndicat mixte de l’étang de Berre), selon qui, « après 10 ans de réduction et de lissage des rejets d’EDF, seules de faibles améliorations sont recensées ».

Cette « évolution positive », cette « résilience très lente » de l’écosystème constatée par les scientifiques entre 2006 et 2017, a en effet subi un brutal « coup d’arrêt » en 2018, raconte Patrick Astruch, ingénieur en biologie marine. Durant l’été, un épisode de forte chaleur et l’absence de vent conduisent à une « anoxie » sans précédent, une absence d’oxygène fatale à de nombreuses espèces. Un an après, a constaté M. Astruch, « des espèces qui ont leur cycle de vie complet dans l’étang avaient quasiment disparu ».

Pour le scientifique, appelé à témoigner à la barre, les déversements d’eau douce sont « clairement un des facteurs » de cette crise écologique. Mais pour EDF et le directeur de sa branche Hydro-Méditerranée, Hervé Guillot, les effets de ces déversements « ne font pas consensus ».

« Vision idéalisée de l’étang »

M. Guillot a mis en avant des « rejets exceptionnels » pendant l’été 2018, dus à de forts orages, et assure avoir répondu à des « enjeux de sécurité publique pour éviter de saturer la basse vallée du Rhône » : « On ne pouvait pas faire autrement », a-t-il insisté. Pour autant, l’entreprise n’a « jamais dépassé ses quotas », assure-t-il. « On nous reproche d’avoir déversé de l’eau douce dans un point d’eau saumâtre, mais la loi nous autorise à faire cela », a martelé son conseil, Me Alexandre Gaudin.

« On est en train de critiquer une production nationale et locale d’énergie verte totalement décarbonée ! », a-t-il fustigé, accusant le Gipreb de promouvoir « une vision idéalisée de l’étang de Berre », soumis à bien d’autres pollutions, notamment pétrochimiques. Pour l’avocate du Gipreb, Me Corinne Lepage, « le soleil et le vent » invoqués par EDF pour expliquer la crise de 2018 « ne sont pas des circonstances atténuantes mais des circonstances aggravantes, car c’est l’état du milieu qui devrait conduire EDF à moduler ses déversements ».

« EDF a respecté ses quotas, mais ses quotas sont à la limite et de temps en temps, on a des catastrophes comme celle de 2018 », a estimé l’océanologue David Nérini, appelé à témoigner par le Gipreb. Outre la « remise en état durable » de l’écosystème, notamment par une nouvelle limitation de ses rejets d’eau douce, le Gipreb demande à EDF près de 14 millions d’euros au titre des préjudices économique et écologique.

Le Comité régional des pêches maritimes, également partie civile, a demandé 50 000 euros au titre de son préjudice tiré de l’atteinte à sa mission de protection de l’environnement. Sans demander de peine, l’avocate générale a déclaré s’en remettre aux conclusions du tribunal. Le jugement été mis en délibéré au 4 juillet.