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Transition bas carbone

Des agriculteurs prêts à « bouger » mais « pas n’importe comment »


AFP le 03/03/2022 à 10:05
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La tonne de C02 vaut aujourd'hui environ 40 € sur le marché.  (©Pixabay)

Faut-il en priorité planter des haies, réduire les engrais ou varier ses cultures ? Les agriculteurs, montrés du doigt comme gros émetteurs de gaz à effet de serre, ont à coeur de s'engager dans la transition bas-carbone, mais pas à n'importe quel prix.

« Notre principal client, McCain, nous pousse à nous engager dans une démarche de réduction. On ne savait pas où on en était, alors on a décidé de faire un bilan carbone », raconte Julien Bournaison, qui exploite avec son frère Vincent 700 hectares en grandes cultures (betteraves, pommes de terre, blé, etc.) dans la Marne. « Sensibles à la question environnementale », il y a « quinze ans déjà », ils ont planté des haies puis installé 6 600 m2 de panneaux solaires sur leurs bâtiments. Avec un chiffre d’affaires annuel d’1,4 million d’euros, trois salariés, les frères Bournaison sont prêts à « bouger » mais « pas n’importe comment ».

Les agriculteurs sont aujourd’hui plusieurs milliers en France à avoir engagé un diagnostic carbone de leur exploitation, essentiellement en élevage, mais s’inquiètent de la faible rémunération qu’ils pourraient retirer de la vente de « crédits carbone » au regard de la lourdeur de l’investissement requis.

Partant de cette « aversion au risque », le cabinet d’expertise-conseil Agrosolutions a développé Carbon Extract, un nouvel outil qui s’adresse à la fois aux agriculteurs et aux conseillers agricoles, pour mesurer et engager la transition bas-carbone des exploitations en grande cultures. Cette méthode, validée en juillet, permet l’obtention du label bas carbone. Une certification nationale qui ouvre aux agriculteurs labellisés les portes du marché volontaire : la vente des fameux « crédits carbone ».

« Garantir l’impact » 

La première étape est celle du diagnostic, qui prend en compte le type de cultures, la consommation d’énergie, de phytosanitaires, les propriétés du sol…

Bilan : l’exploitation Bournaison stocke 800 tonnes de CO2 et en relâche 1 300 tonnes par an. 85 % des émissions sont liées à la fertilisation.

Deuxième étape, les simulations : la première prévoit notamment une alimentation électrique pour l’irrigation et une augmentation des couverts, pour une réduction attendue de 20 % des émissions de gaz à effet de serre.

La seconde simulation, plus ambitieuse, propose d’agir aussi sur la consommation d’engrais et de modifier les rotations de cultures, avec à la clé une réduction potentielle de 50 % des émissions.

« Trop cher » pour les exploitants. « Au prix où est la tonne de C02 aujourd’hui – autour de 40 euros sur le marché français -, cela ne couvrirait pas notre investissement », chiffré à 150 000 euros, explique Julien Bournaison.

A Mussig (Bas-Rhin), Adrien Losser a franchi le pas. Avec trois associés, il élève 160 vaches laitières et cultive maïs, betterave et blé sur 113 hectares. Après un diagnostic de sa ferme, réalisé l’été dernier avec l’outil Cap’2ER développé par l’Institut de l’élevage, il va profondément modifier ses pratiques : notamment supprimer 18 hectares de maïs pour créer des prairies et allonger la durée de lactation des vaches. Il n’a diminué ses émissions que de 11 %, mais cela représente « plus de 1 300 tonnes de C02 » dont il espère tirer in fine 40 000 euros.

Bientôt un cadre européen de certification

Pour booster le marché du carbone agricole, la France plaide pour que l’Union européenne adopte un cadre commun de certification, tablant sur « une multiplication par quinze d’ici 2030 » de la demande mondiale sur le marché de la compensation volontaire.

Un cadre européen offrirait aux investisseurs un minimum de garanties quant aux impacts réels de la transition : un point crucial alors que le prix des crédits carbone est fixé de gré à gré entre acheteur et porteur de projet.

Et justifierait une tonne européenne aujourd’hui cinq fois plus chère qu’en Asie ou en Amérique latine – où le crédit carbone récompense plus une « déforestation évitée » qu’une réduction des émissions, selon le ministère de l’agriculture.

L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) souligne que la neutralité climatique passera nécessairement par « des changements de pratiques » : l’agriculture, qui représente en France 19 % des émissions, doit « simultanément » réduire son niveau d’émission et augmenter la séquestration – une dualité que ne prévoit pas le projet européen à ce jour. Rappelant que « le marché volontaire du carbone est pour le moment marginal », le think tank estime qu’« il serait risqué de miser sur son développement pour financer la transition bas-carbone des secteurs agricole et forestier ».