Viande bovine : pourquoi le Mercosur a besoin d’un accord avec l’UE
TNC le 16/06/2025 à 05:21
Alors que les éleveurs français fustigent la perspective de l’accord UE-Mercosur, les exportateurs sud-américains voient dans l’Europe une manière de se diversifier. Entre ralentissement de la demande chinoise et la majoration des droits de douane américains, l’Union européenne est pour eux une manière de multiplier leurs débouchés.
« Le Mercosur est puissant sur le marché de la viande, et c’est aujourd’hui plus vrai que jamais », introduit Ilona Blanquet, du service économie de l’Institut de l’élevage à l’occasion des Marchés mondiaux du lait et de la viande. En l’état, l’application des accords de libre-échange entre l’Union et le Mercosur permettra l’arrivée de 99 000 tonnes équivalent carcasse (téc) de viande bovine en Europe à droits de douane préférentiels. Une goutte d’eau à l’échelle de la production sud-américaine.
En un an, le Brésil gagne l’équivalent d’une production française
Le Brésil, poids lourd de la zone « affiche une progression de ses abattages de 14 % en 2024, et + 37 % sur les trois dernières années », poursuit l’économiste. Cette montée en puissance est d’autant plus impressionnante que le pays affiche déjà un niveau de production considérable, sans parler de ses volumes disponibles pour l’export de vif. « En un an, les volumes abattus ont progressé de 1,3 million de téc : c’est l’équivalent de la production française. »
En 2024, le pays comptabilise 195 millions de têtes, pour une production de l’ordre de 11 millions de téc. « La production brésilienne est cyclique, avec des phases de capitalisation et décapitalisation selon la conjoncture et les aléas climatiques », illustre Ilona Blanquet.
Mais 2025 ne sera pas comme 2024, les experts tablent sur un ralentissement de la croissance, avec une hausse des volumes abattus de 0,4 % selon les prospectives de l’USDA. Noter également que l’Amérique du Sud est un « véritable bassin de consommation », et que l’augmentation de la production répond aussi à une augmentation de la consommation intérieure.
Parmi les quatre pays du Mercosur, seul l’Uruguay affiche une production à la baisse avec une contraction des volumes disponibles à l’export. En Argentine, « les exportations de viande bovine, ont atteint un niveau record en 2024 », avance l’économiste. La dévaluation du peso par le libéral Milei a permis de booster la compétitivité à l’export du bœuf argentin, malgré un contexte économique fragile en interne. Le Paraguay présente également des disponibilités à la hausse, avec une recapitalisation après la sécheresse de 2023.
La Chine audite ses abattoirs sud-américains
Mais tout n’est pas rose sous le soleil du Mercosur. Au printemps, la Chine a audité ses principaux fournisseurs afin d’éviter les « pratiques déloyales ». Trois abattoirs brésiliens – dont un JBS, poids lourd mondial sur le marché de la viande bovine – font l’objet d’une suspension d’agrément. En Argentine, l’agrément de deux abattoirs est remis en question : « la Chine reproche à l’un d’entre eux de ne pas avoir fourni les volumes escomptés : 70 containers manquent à l’appel. Le second abattoir a été victime d’un incendie », précise Ilona Blanquet. Enfin, un dernier abattoir uruguayen fait l’objet de pourparlers.
L’économie chinoise patinant, la consommation de viande bovine est à la traîne. Bien que très élevées, les importations de l’Empire du Milieu sont en léger retrait en 2024 : une première en 10 ans.
Ce ralentissement de la demande asiatique pèse sur les cours. Lorsque les prix montaient en France, le combo augmentation de la production et dépréciation des monnaies rendait la viande du Mercosur compétitive. Les pays de la rive sud de la Méditerranée ont su tirer profit de cette opportunité de marché. Si l’Inde reste le premier fournisseur de la zone, la viande sud-américaine est en train de se faire une place en Afrique du Nord ainsi qu’au Moyen-Orient.
Les droits de douane compromettent le marché américain
Le Mercosur vise également les marchés rémunérateurs des États-Unis, d’Israël ou encore de l’Europe. La politique douanière de Trump est venue tempérer leurs ardeurs, avec 10 % de droits de douane supplémentaires pour les pays de la zone. L’Amérique du Sud était pourtant en passe de s’installer sur le marché américain, avec pas moins de 500 000 téc expédiées en 2024, soit une progression de 81 % par rapport en 2023. Les prospectives de l’USDA quant à la disponibilité de bovins américains ne sont pas optimistes, avec une décapitalisation en cours dans le pays. Parallèlement, le non-renouvellement de l’agrément par la Chine de 386 abattoirs américains libérera peut-être du volume en interne, et l’incertitude planant autour des droits de douane n’aide pas au commerce.
Des marchés à conquérir vers l’Europe ?
Le contexte explique l’intérêt que porte le Mercosur vers l’Europe. Mais faut-il avoir peur de ces volumes ? Force est de constater que la viande sud-américaine est déjà présente sur le territoire européen. En 2024, autour de 200 000 téc ont été importées depuis le Mercosur, dont 100 000 téc en provenance du Brésil. Le volume prévu par les accords commerciaux est donc en quelque sorte déjà exploité. Mais « les droits de douane abaissés rendront cette viande plus compétitive », note Ilona Blanquet.
Dans le même temps, l’Union européenne reste un petit client pour le Mercosur. En 2024, elle ne représentait que 4 % de ses exportations. Les volumes engagés apparaissent dérisoires au regard des échanges réalisés avec la Chine, mais restent une manière de diversifier ses partenaires. Avec 2 677 000 téc en partance vers la Chine (associée à Hong Kong) en 2024, les quatre pays du Mercosur sont dans une véritable position de sino-dépendance.
D’autant que l’Europe est un débouché pour des morceaux à valeur ajoutée. « La stratégie du Mercosur est de désosser, et d’envoyer précisément ce dont chaque pays à besoin », explique l’économiste. Portés vers l’export, ces pays voient en leurs partenaires une manière d’optimiser la valorisation carcasse à l’échelle mondiale. L’arrivée de morceaux nobles étrangers pourrait tirer les prix européens vers le bas, alors que l’aloyau tire traditionnellement la valorisation carcasse vers le haut.