V. Verschuere : « Si la loi ne protège pas, c’est qu’il faut la faire bouger »
TNC le 22/12/2023 à 07:30
Plus de 400 personnes se sont mobilisées, ce 21 décembre à Beauvais, pour soutenir Vincent Verschuere et sa famille, suite au rejet, le 7 décembre dernier, de son pourvoi en cassation. L'avenir de cet élevage laitier de l'Oise, condamné pour "troubles anormaux du voisinage" à 106 000 € de dommages et intérêts, est suspendu à la décision, dans quelques mois, du tribunal de grande instance qui doit statuer sur les nouveaux aménagements proposés pour réduire les dites nuisances. S'il les juge insuffisantes, le bâtiment devra être démoli. Or des affaires de ce type, il y a en d'autres et de plus en plus, comme des exploitations agricoles au cœur des villages...
Des tracteurs devant le lycée Félix Faure, une banderole « La campagne, tu l’aimes ou tu la quittes » sur la statue des quatre maréchaux, et plus de 400 personnes sur cette place de Beauvais : des agriculteurs, des élus syndicaux de la FDSEA et des JA, à l’origine de cette mobilisation mais aussi de la Coordination rurale, etc., des politiques avec leurs écharpes, des maires de communes au président de la Région Hauts-de-France Xavier Bertrand, des professionnels du secteur de l’agriculture, des journalistes, des citoyens lambda… Tous rassemblés de manière calme et relativement silencieuse pour illustrer la gravité de la situation. Ils viennent en effet témoigner leur soutien à Vincent Verschuere et à sa famille.
La décision de la Cour de cassation d’Amiens, le 7 décembre, a été une « douche froide », selon les mots de Régis Desrumaux, président de la FDSEA, pour l’éleveur laitier de Saint-Aubin-en-Bray dans l’Oise, et pour l’ensemble du monde agricole. Son pourvoi a été rejeté et la condamnation de la Cour d’appel d’Amiens confirmée : les 106 000 € de dommages et intérêts, déjà versés aux plaignants, sont bien entérinés. Depuis près de 15 ans, soit peu de temps après son installation sur l’élevage familial de vaches laitières, Vincent Verschuere est en procédure judiciaire pour « toubles anormaux de voisinage ».
« Le projet de sa vie est remis en question »
« Le projet de sa vie – être éleveur et reprendre la ferme de ses parents – est remis en question. Il est normal que la profession agricole fasse bloc pour le soutenir moralement et économiquement », martèle Régis Desrumaux. « Le rêve de sa vie est devenu un cauchemar juridique, avec plus de 10 ans de contentieux. Chaque jour est pour lui une bataille, chaque audience lui rappelle ce fardeau, chaque lettre recommandée est une nouvelle angoisse », reprend son avocat Timothée Dufour, insistant sur les conséquences morales pour le producteur.
Même s’il se faisait peu d’illusion, ce dernier voit tous ses « espoirs anéantis ». « C’est un gros coup au moral », nous révélait-il juste après l’arrêt de la Cour de cassation. Alors tout ce monde à ses côtés, une nouvelle fois, lui fait chaud au cœur. Au-delà de l’impact psychologique, il revient sur les conséquences financières : « 106 000 € est déjà une somme énorme à laquelle s’ajoutent des aménagements complémentaires – l’isolation du bâtiment côté riverains et l’installation d’un système de ventilation artificielle – pour plus de 100 000 € qui, espérons-le, suffiront au tribunal de grande instance de Beauvais, devant lequel je dois repasser courant juin. » Car sinon, l’éleveur ne pourra plus y loger d’animaux, voire devra le faire démolir.
« Faire évoluer la loi »
« Du moment qu’on obtient le permis de construire, la dérogation de distance, l’ICPE pour mettre des animaux, on ne peut pas se voir reprocher d’y mettre des vaches. Ou alors, c’est que la loi ne protège pas et qu’il faut faire bouger la réglementation », lance-t-il. La loi « Maurice » de janvier 2021 sur la protection du patrimoine sensoriel des campagnes françaises est « une coquille vide », estime l’un des parlementaires présents. Le 3 décembre, quelques jours avant l’arrêt de la Cour de cassation, une proposition de loi a été votée à l’Assemblée nationale, visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels, et notamment à limiter les conflits de voisinage à la campagne et les plaintes de plus nombreuses des néo-ruraux contre les agriculteurs.
Une première étape pour combler un vide juridique. Car l’affaire Verschuere pourrait faire jurisprudence. Or des cas similaires, il y en a d’autres, et de plus en plus, partout en France : 400 procédures plus ou mois avérées, rapporte Simon Ammeux, président de la FRSEA. « N’importe qui peut être Vincent », rappellent Régis Desrumaux et Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA, nombreuses étant les exploitations situées en plein village. « Se pourvoir en cassation était important : l’occasion d’un plaidoyer en faveur d’un dépoussiérage du code civil », souligne Timothée Dufour.
« Protéger l’agriculture qui se développe, pas l’image d’Épinal »
L’avocat, Vincent Verschuere et l’ensemble de la profession agricole considèrent qu’il faut aller plus loin. « Il faut protéger l’agriculture qui se développe, pas l’image d’Épinal », exhorte Timothée Dufour. « Les gens doivent prendre conscience que la ruralité n’est pas qu’un lieu agréable où l’on peut se reposer, mais un territoire vivant et dynamique, créateur d’emploi et de valeur, et dont les paysans sont les principaux acteurs », détaille Hervé Lapie, secrétaire général de la FNSEA. Donc, que comme toute entreprise, ils font évoluer leur exploitation au cours du temps.
Derrière c’est l’activité même des éleveurs et des agriculteurs en général qui est remise en cause. S’il ne peut plus loger d’animaux dans son bâtiment et a fortiori s’il doit le démolir, comment l’EARL Verschuere, basée sur l’élevage laitier et déjà fragilisée économiquement (dommages et intérêts + investissements pour réduire les nuisances), pourra-t-elle perdurer ? « Comment motiver de jeunes éleveurs à s’installer ? », se demande le producteur. « Il faut leur donner de la visibilité technique, financière et juridique ! », appuie son avocat. Le risque est qu’il y est de moins en moins d’élevage laitier et d’élevage tout court. L’entretien des paysages et surtout la sécurité alimentaire de notre pays en pâtira forcément.
« Vincent incarne cette agriculture qui se développe et qui se bat contre des vents juridiques contraires. Nourrir est son métier, le défendre est notre devoir », conclut Timothée Dufour. « Merci Vincent pour ce que tu as permis d’exposer au grand jour et de changer au niveau législatif pour protéger ceux qui travaillent et produisent pour nourrir la population », poursuit Luc Smessaert. Mais l’éleveur a besoin « de respect et d’échange » mutuel avec ses concitoyens.