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Peste porcine africaine

Une crise non endiguée qui impactera l’ensemble de la filière Food


Francis PRETRE, CM-CIC Market Solutions le 23/07/2019 à 06:28

Le virus de la peste porcine africaine (PPA) continue de s’étendre en Asie et devient une préoccupation mondiale en raison du poids de cette zone (plus de 50% de la production et consommation mondiale). Le déficit de la production locale conduit à un niveau d’importation massive de porcs qui pourrait rapidement représenter 90% des flux mondiaux de produits carnés surgelés. La situation est alarmiste et la crise est loin d’être endiguée.

Historiquement, le virus PPA se cantonnait à quelques pays

Le virus de la peste porcine africaine (PPA) est dévastateur et l’animal meurt en général sous 10 jours. Les porcs peuvent être contaminés par un contact direct avec des congénères infectés, d’autres animaux malades (sangliers, tiques…) ou du matériel contaminé (matériel agricole, véhicules, vêtements…). Contrairement à la peste porcine classique, il n’existe actuellement aucun vaccin ni traitement efficace pour l’éradiquer. L’abattage est par conséquent le seul moyen pour stopper la propagation de la PPA dans les zones infectées.

La peste porcine africaine tire son nom de son caractère endémique dans certaines zones d’Afrique subsaharienne où elle était cantonnée jusque dans les années 1960, période à laquelle des cas ont été ensuite recensés en Méditerranée (Espagne, Portugal, Sardaigne). Des épizooties sévères sont ensuite survenues de l’autre côté de l’océan Atlantique, au Brésil (1978-1981) et à Haïti (1978-1984). Des foyers limités sont plus tard apparus en Belgique (1985) et aux Pays-Bas (1986). Plus récemment, des foyers de PPA ont été recensés en 2007 autour de la Mer Noire (Géorgie, Russie, Ukraine et Biélorussie).

Une crise majeure en Asie aux retombées mondiales

Les premiers cas de PPA ont été recensés en août 2018 en Chine et l’épizootie ne cesse de se répandre. Plus de 130 foyers sont identifiés. 1,2 million de porcs en Chine sont morts ou ont été abattus. Le cheptel chinois s’élève à 700 millions de porcs, l’Europe atteignant seulement 130 millions (30,1 M en Espagne, 26,9 M en Allemagne, 13,1 M en France, 12,9 M au Danemark, 12,5 M aux Pays-Bas, 11,8 M en Pologne, 8,8 M en Italie, 6,1 M en Belgique, 5 M au Royaume-Uni…).

La FAO considère que la Chine pourrait voir ses stocks de porcs fondre de 10%. La banque agricole néerlandaise Rabobank estime même que les pertes devraient s’élever sur l’année 2019 à 30% de la production chinoise en raison de l’importance du nombre d’exploitations (>25 millions de fermes) et donc de la difficulté à contrôler l’épizootie. Les Chinois ont consommé en 2017, 53,4 M de tonnes équivalent carcasses de viande de porc et ont dû importer 1,3 MT. En 2018, la consommation dépasse 55 MT et les importations avoisinent 2 MT. In fine, la perte sèche en millions de tonnes de la production chinoise serait a minima de 6 M et tangenterait 8 à 9 M, chiffres à comparer au commerce international de la viande qui s’élève seulement à ~10 M de tonnes/an.

Les pays voisins asiatiques sont également touchés, comme le Vietnam, cinquième producteur mondial, dont les autorités sanitaires ont déclaré avoir abattu plus d’un million de porcs à ce jour.

Hong Kong tente également de contenir l’épizootie, mais dans la cité côtière, 6 000 porcs ont été éliminés dans un élevage dès la découverte début mai 2019 d’un cochon infecté en provenance de Chine.

De plus, des aliments contaminés ont été détectés dans plusieurs pays de la zone Asie-Pacifique : Australie, Corée du Sud, Thaïlande, Taïwan et Japon. Si la PPA est concentrée essentiellement en Chine, elle commence donc à se propager dangereusement dans l’espace et sur des distances considérables.

La PPA serait maîtrisée à ce jour en Europe

Par ailleurs, en septembre 2018, la maladie a frappé l’Europe. Neuf cas de sangliers infectés par la PPA ont été découverts dans le sud de la Belgique. Une zone de confinement avec interdiction de circuler et de chasser a été instaurée à la frontière avec la France et des mesures d’abattages préventifs ont eu lieu dans les exploitations à proximité. Cependant, la maladie s’est propagée et d’autres sangliers sauvages infectés se sont déplacés. Si l’épizootie a été résorbée pour le moment, plus de 700 cas de PPA ont été recensés entre septembre 2018 et avril 2019 dans cette zone belge.

Impact global sur la filière aliments solides

L’ensemble des composantes de la filière mondiale aliments solides est touché :

Amont

La Chine en tant que premier importateur mondial de soja (70% des achats de la planète), aliment de base pour le porc, vient de réduire drastiquement ses achats. Les cours du soja se situant dorénavant à des niveaux particulièrement bas, les agriculteurs se tournent désormais davantage vers le maïs, la production mondiale de blé devant être particulièrement abondante cette saison. Pour la première fois depuis près de 4 ans, les surfaces mondiales de maïs progressent de +3 à +4% au détriment de celles du soja.

Nous constatons par ailleurs un léger repli à l’échelle mondiale des stocks des grandes cultures, même si le niveau restera élevé. Les légères tensions inflationnistes apparues dans certaines zones du monde devraient donc rapidement se résorber.

Inflation du prix des produits carnés

Les hausses atteignent parfois 30% sur certaines pièces de porc. Des plus historiques depuis 10 ans viennent d’être dépassés (comme le prix des pièces du jambon sans mouille France). Les niveaux de prix pourraient rester élevés plusieurs mois, une situation inédite. Les stocks de sécurité du porc entrant en zone rouge en Chine, et les importations de volailles, poulets notamment, prennent de l’ampleur.

Le département américain de l’Agriculture anticipe une hausse des importations chinoises de poulets de +70% en 2019. Les deux premiers fournisseurs mondiaux de poulets (États-Unis et Brésil) ne pouvant répondre à la demande chinoise, des marchés s’ouvrent en Europe. L’Italie et l’Espagne ont d’ores et déjà octroyé de nombreux agréments administratifs pour commercialiser de la viande de porc ou de volaille à destination de la Chine. La réglementation française est aujourd’hui plus lente mais de nombreux acteurs industriels mettent tout en oeuvre pour accélérer les procédures.

En tout état de cause, les prix devraient rester élevés pour le porc en Europe. Les prémices d’une inflation sur la viande blanche sont aujourd’hui au rendez-vous et pourraient se concrétiser courant T3 2019.

Enfin, en raison des capacités logistiques de transport mondial en réfrigéré, les marchés exports à destination de la Chine resteront tendus. Certains avancent que le cumul des exportations de viandes blanches et de porcs sera insuffisant pour faire face à la demande asiatique, offrant d’éventuelles opportunités au marché de la viande rouge.

Produits laitiers

Ce marché sera également touché puisque la Chine est le premier importateur mondial de petit-lait en poudre, autre composante de base de l’alimentation porcine. Les tensions tarifaires que nous avons connues sur le lait depuis deux années pourraient donc s’estomper.

Conclusion

Les conséquences de la PPA sont particulièrement récentes et n’ont pas encore modifié l’indice des prix de la FAO qui n’intègre pas le mois de mai. La hausse des cours du porc a commencé fin avril et a atteint en 1 mois un pic haussier. Depuis lors, comme en 2017, les cours se situent à des niveaux historiquement élevés. Le débouclage récent de stocks en Chine a seulement permis de freiner l’inflation mais tout laisse à penser que des pressions tarifaires pourraient reprendre. À ce stade, une inversion des prix en septembre prochain, comme ce fut le cas en 2017, nous semble improbable.