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Reportage

Sur le Mont Lozère, la transhumance séculaire, vitale et menacée


AFP le 03/09/2020 à 10:35
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Dans les reflets dorés du soleil levant, 2 500 brebis - un des plus gros troupeaux transhumants du Massif Central - s'élancent au rythme des sonnailles depuis le Mont Lozère vers la vallée, 30 kilomètres plus bas, une tradition séculaire aujourd'hui menacée.

Chaque année, les brebis passent l’été dans les pâturages autour du Mont Lozère (1 699 mètres) avant de redescendre début septembre vers leurs bergeries.

Mais le pastoralisme qui a façonné depuis le néolithique les paysages des Causses et des Cévennes, classés au patrimoine de l’Unesco depuis 2011, est confronté à de nouveaux défis, de la concurrence pour les terrains avec les forestiers, chasseurs, touristes, promoteurs de parcs photovoltaïques ou éolien, à la présence croissante du loup.

Fils d’éleveurs, amoureux « des grands espaces », Joël Ballet, 55 ans, vient de passer deux mois sur 800 hectares gérés par le Parc national des Cévennes comme « berger référent » du groupement pastoral de Finiels, dans le massif du Mont Lozère.

« C’est le plus beau métier du monde, une vraie passion ! », s’exclame celui qui travaille le reste du temps comme technicien à l’Institut national de recherche agronomique (Inra).

Les brebis, des Blanches du Massif Central, ont parcouru sous ses yeux des pelouses sèches aux tons ocres, verts et violets, devant un panorama s’étendant des Monts d’Auvergne à la Méditerranée, des Alpes aux Pyrénées. Pour le berger, la tradition de l’estive est « vitale pour l’ouverture des paysages ».

« Si nous n’avions pas pâturé cette estive magnifique pendant 30 ans, les bois, la bruyère, voire la broussaille auraient gagné et le chemin de Stevenson emprunté par de nombreux touristes, ne serait pas aussi bien entretenu », explique à l’AFP Olivier Maurin, 45 ans, l’un des huit éleveurs du groupement pastoral. En 1878, l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson avait parcouru 220 kilomètres à pied dans cette région.

« Pression du loup »

« On fait un métier difficile », souligne pourtant Olivier Maurin, maire de Prévenchères et président d’une filière d’agneau de qualité. « La difficulté économique, on l’a toujours surmontée mais aujourd’hui la seule chose qui pourrait nous faire arrêter c’est le loup dont les attaques depuis 2011 sur nos troupeaux nous ruinent moralement ».

L’éleveur dit avoir été « marqué à vie » par la première attaque, lorsqu’il a découvert une de ses brebis « debout, égorgée et éventrée mais toujours vivante au fond d’un ravin ». « Pourquoi ne parle-t-on pas de bien-être animal dans ce cas-là mais seulement à propos des abattoirs ? », s’étrangle-t-il.

Peu convaincu par les mesures de protection des troupeaux et de compensation pour les éleveurs, il milite désormais pour le déclassement du loup des espèces protégées et « une régulation sérieuse ». Une position vigoureusement combattue par les défenseurs du loup, persuadés que les éleveurs doivent apprendre à vivre avec cette espèce, présente en Lozère par le passé.

Au cours de l’été, des brebis en estive ont été attaquées par le loup à deux reprises sur le Mont Lozère. Joël Ballet, qui n’avait jamais vécu cette expérience, parle d’une « pression morale intense, parce qu’on sait qu’on est surveillé mais on ne voit jamais le loup ».

Lui qui dit savoir « à peine » se servir d’un fusil estime que les bergers devraient être autorisés à « tuer les loups qui s’approchent des troupeaux » et que le grand prédateur devrait être enfermé dans des parcs spécialisés comme celui du Gévaudan, en Lozère. « Mon combat désormais, ce sera d’expliquer qu’on ne peut pas vivre avec le loup », conclut-il.

« Amener la vie »

La transhumance « répond également à des attentes de la société : une agriculture respectueuse de l’environnement, préservant la biodiversité, proposant une alimentation de qualité » et doit être maintenue, estime par ailleurs l’éleveur Olivier Maurin.

« Ça fait du bien de les voir redescendre d’estive, c’est une belle tradition qui (…) amène de la vie », s’enthousiasme devant sa maison de lauzes et de pierre une retraitée du village de Bleymard tandis que l’immense troupeau s’engouffre dans la rue principale.

Au fil de la journée, traversant collines, plantations de résineux et champs, éleveurs, bergers, brebis et chiens de race border collie – pas de patous anti-loups en raison du grand nombre de randonneurs – ralentissent l’allure sous l’effet du soleil, de la fatigue, et de la poussière.

Vers 16 h, les 2 500 ovins atteignent enfin le hameau de la Fare, où chaque éleveur récupère ses bêtes en fonction de la couleur des marques inscrites sur leurs dos. Le lendemain, chacun comptera le nombre de brebis pleines pour préparer la saison de l’agnelage débutant mi-septembre.