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Bovins lait et viande

Renouveler les actifs plutôt que les générations : pourquoi cette nuance ?


TNC le 10/06/2022 à 11:22
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La filière laitière est à la fois la plus pourvoyeuse d'emplois et celle qui perd le plus d'actifs. (©Pixabay)

Pourquoi, en élevage bovin notamment, devrait-on parler de renouvellement des actifs plutôt que des générations ? Selon Christophe Perrot, chargé de mission économie et territoire à l'idele, plusieurs données démographiques, telles que les flux de départ et d'installation d'éleveurs, plaident en faveur de cette nuance.

Le renouvellement des générations en agriculture et en élevage, on en parle depuis de nombreuses années, notamment parce qu’il s’effectue de plus en plus difficilement. Mais ne devrait-on pas plutôt dire « renouvellement des actifs » comme le suggère Christophe Perrot, chargé de mission économie et territoire à l’Institut de l’élevage idele ? Ses arguments sont d’ordre démographique et s’appuient sur des données de la MSA.

Raison n°1 : moins d’éleveurs

(©idele)

À retenir, principalement, de ce graphique : le nombre de chefs d’exploitation baisse le plus en bovins lait. En 20 ans, il est passé de 130 000 à 80 000. De 2010 à 2020, il a diminué 2 à 3 fois plus vite que la moyenne toutes filières confondues (- 1,3 %/an contre – 4 %/an pour les exploitations spécialisées et – 3 %/an pour les mixtes). Pourtant ce secteur est le 1er pourvoyeur d’emplois en agriculture.

Or, l’effectif de salariés s’est lui aussi infléchi (- 700 en entre 2016 et 2019). D’où la hausse de la charge de travail qu’on connaît et qui pose de plus en plus problème. Alors, les fermes laitières s’agrandissent moins, ce qui explique « le recul de la production laitière française », d’après Christophe Perrot, d’autant que « les transformateurs envoient des signaux en ce sens, en particulier dans l’ouest ».

En bovins viande, le nombre de chefs d’exploitation régresse mais moins, juste un peu plus que la moyenne : de 70 000 à 50 000 sur 20 ans et – 1,6 %/an ces 10 dernières années. « Ce sont les systèmes de polyculture-élevage qui se maintiennent le mieux parce qu’ils se transforment régulièrement », met en avant Christophe Perrot. 

Raison n°2 : les installations se stabilisent

Cette tendance s’observe en production de lait et viande depuis 2010 « avec un coup de boost en 2015 grâce à la transparence des aides Pac instaurée pour les Gaec ». En effet, cette année-là, près de 6 000 Gaec ont été agréés contre 2 300 un an plus tôt et 3 000 en 2016.

Raison n°3 : des taux de remplacement bas

(©idele)

Comme le montre ce graphique, sur les cinq dernières années, le taux de remplacement des éleveurs avoisine 50 % en lait et 60-70 % en viande.

Avec une projection tendancielle de ces flux de départ par classe d’âge, région et système, on arrive au chiffre que tout le monde connaît : 50 % des éleveurs bovins actifs en 2018 pourraient partir d’ici 2027. « Avec des carrières moyennes de 30 ans comme avant, ce phénomène aurait dû se produire sur 15 ans et pas sur 9 ans. L’accélération est manifeste », appuie Christophe Perrot.

En se focalisant sur la production laitière, ce taux de remplacement varie selon les territoires, en fonction de :

  • leur vocation naturelle, liée fortement au couple herbe/climat, et au développement plus ou moins important de productions alternatives ;
  • la présence de filières organisées, de leur rentabilité et des relations entre l’amont et l’aval ;
  • l’existence de politiques publiques, en faveur de la montagne par exemple.
(©idele)

Ainsi, il est plus élevé dans les montagnes, entre 50 et 85 %, notamment dans le Jura où il atteint le maximum, soit 2 fois la moyenne nationale, grâce aux AOP Comté-Morbier-Mont d’Or.

Dans les zones de plaines, c’est la Normandie herbagère qui a le meilleur taux de remplacement, à 55 %, en raison de son climat favorable à l’herbe et à la présence d’AOP (Camembert, Pont-l’Évêque, Livarot). En Bretagne et Pays de la Loire, il est inférieur à la moyenne nationale : 40 % contre 45 %. C’est dans le sud-ouest qu’il est le plus faible (35 %), une région en déprise laitière depuis quelque temps déjà.

« Il n’y a pas de lien entre le taux de renouvellement et le maintien ou non de la production, note Christophe Perrot. L’élevage laitier a des difficultés à renouveler les actifs mais les repreneurs conservent souvent cette production. En viande, c’est l’inverse. »

À partir des trois explications citées, le spécialiste conclut : « l’érosion du nombre d’éleveurs chefs d’exploitation et celui de leur taux de renouvellement vient de l’augmentation prononcée des flux de départ et pas de la diminution des installations. » En outre, la durée des carrières est de plus en plus diverse et tend à se raccourcir du fait des installations tardives et des départs précoces. Ce qui est, malgré tout, moins fréquent en bovins que dans d’autres élevages ou en grandes cultures. Autant d’éléments qui, pour Christophe Perrot, militent en faveur d’un renouvellement des actifs plutôt que des générations. « On pourrait aussi s’intéresser au renouvellement de la production, autrement dit au type d’atelier, au volume ou encore au modèle », propose-t-il.

1er zoom : les producteurs vieillissent

À la fin des années 90, 30 % des chefs d’exploitation bovine laitière et allaitante avaient plus de 50 ans. 20 ans plus tard, ce pourcentage s’élève à 50 %. 31 % des plus de 55 ans ont déjà au moins 62 ans, un pourcentage encore plus haut en vaches allaitantes. Dans le même temps, le pourcentage de moins de 40 ans a baissé de 40 à 25 %. « Quant aux salariés d’élevage, ils sont plutôt jeunes : la plupart ont moins de 30 ans, complète Christophe Perrot. Peu de gens sont en salariat toute leur carrière. C’est plus un statut temporaire en vue d’une installation future. »

Certes, le vieillissement des chefs d’exploitation en élevage n’est pas un scoop mais l’expert précise : « Ce qu’on oublie souvent de dire c’est qu’il fait suite à un rajeunissement tout aussi spectaculaire dans les années 80-90 sous l’effet de politiques socio-structurelles ambitieuses et efficaces, de préretraites notamment, pour tous les secteurs professionnels mais dont l’impact a été plus marqué en agriculture ». De plus, le dernier recensement agricole laisse entrevoir un ralentissement dans cette évolution.

2e zoom : s’installent-ils seuls ou en société ?

En bovins viande, les chiffres sont similaires : 41 % d’installations en Gaec, dans des structures de plus de 100 vaches en général, et 40 % en individuel avec des cheptels de 25 à 40 VA et 45 % de pluriactivité.

En bovins lait, l’écart est substantiel : 69 % d’installations en Gaec et 14 % en EARL contre 12 % en individuel, sans recours pour autant au salariat.

Gaec EARL Individuel
Âge moyen à l’installation 27 ans
(25 % < 23 ans)
29 ans 29 ans
Main-d’œuvre 3,2 UTA
(0,9 UTA salariée dans 42 % des cas)
2,5 UTA
(1 UTA salariée dans 40 % des cas)
1,1 UTA
(0,3 salariés dans 9% des cas)
Cheptel 80 VL
(25%<57, 25%>110)
63 VL
(46-81)
40 VL
(27-55)

À noter, en production laitière : les éleveurs qui s’installent en Gaec sont plus jeunes et à la tête de troupeaux plus gros, au sein de collectifs de travail plus vaste.

Source : journée de restitution des études du Gis Avenir Élevage sur l’attractivité des métiers des filières d’élevage − Exposé de Christophe Perrot, chargé de mission économie et territoire à l’Institut de l’élevage idele : « Mutations démographiques et attractivité des différentes filières en élevage ».