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UE-Mercosur

Relancé, l’accord UE-Mercosur va déstabiliser le marché français de la viande


TNC le 09/02/2023 à 05:02
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L'accord de libre-échange entre le Mercosur et l'UE est en négociation depuis 2000. Les discussions se sont arrêtées en 2004 et ont repris en 2013 (©AdobeStock)

L’élection du président Lula au Brésil ravive les discussions autour de la ratification de l’accord de libre-échange conclu en 2019 entre l’Union européenne et les quatre pays du Mercosur, en suspens à cause des réticences européennes vis-à-vis des politiques environnementales menées au sein de la communauté économique sud-américaine. L'Idele explique que l’application de cet accord commercial risque de provoquer une forte hausse des importations de viandes bovines très compétitives, menaçant le marché communautaire, donc le marché français.

L’élection du président Lula au Brésil, le 30 octobre dernier, remet sur le devant de la scène le projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay), ce qui ravive les craintes d’importations massives de viande bovine sud-américaine sur le marché communautaire.

La partie commerciale de l’accord prévoit de fait la libéralisation partielle des importations de denrées agricoles sud-américaines. S’il est ratifié, 99 000 tonnes d’équivalent-carcasse (téc) de viande bovine  pourront être importées en UE depuis le Mercosur avec un droit de douane réduit.

« La menace semble réelle pour le secteur agricole » européen, explique en détails l’Idele dans son dossier Économie de l’élevage daté d’octobre dernier et consacré au Mercosur.

L’institut revient sur le dynamisme à l’export des quatre pays du bloc sud-américain, qui fournissent un quart de la production et plus d’un tiers des exportations mondiales de viande bovine. Minés par la crise économique et un pouvoir d’achat en berne, concurrencé par un marché international plus lucratif, les débouchés intérieurs reculent au profit d’exportations en hausse, notamment vers le marché chinois : 52 % des flux et des exports multipliés par 14 en dix ans.

La Chine et Hong Kong sont les destinations majeures des exports de viande bovine du Mercosur. (©GEB, Institut de l’élevage)

Un marché européen très rémunérateur

Mais l’UE n’est pas en reste. Le Mercosur est le premier fournisseur du marché communautaire, avec 200 000 téc en moyenne annuelle avant-Covid, puis 180 000 téc en 2020 et 2021. D’après les calculs de la Commission européenne et de l’Idele, presque 72 % de ces volumes ont été importés sous contingents tarifaires, à droit réduits (contingent Hilton et contingent Gatt, à 20 % des droits pour les quatre pays) ou nuls (« panel hormones » pour l’Uruguay et l’Argentine).

Les volumes exportés par le Mercosur en UE sont principalement des viandes crues, surtout « des morceaux nobles de l’arrière (aloyaux et globes) de bouvillons ou de génisses, pour lesquels les importateurs européens offrent les meilleurs prix » du marché mondial.

Pour les morceaux nobles de l’arrière de bouvillons et de génisses, les importateurs offraient entre 2018 et 2021 « les prix moyens pratiqués parmi les plus élevés sur le marché mondial » : de 5,33 €/kg pour la viande désossée congelée à 9,19 €/kg pour la viande désossée réfrigérée. (©GEB, Institut de l’élevage)

L’apparition de nouveaux tarifs préférentiels devrait encourager ces exports, et comme la consommation domestique d’aloyau (filet, faux-filet, rumsteck, bavette, une partie des entrecôtes) recule dans les pays du Mercosur et que ce morceau est peu valorisé sur le marché chinois, « l’UE pourrait devenir la principale destination des aloyaux supplémentaires issus du Mercosur ».

L’Idele souligne par ailleurs combien les pays du bloc sud-américain savent s’adapter aux contingents mis en place par l’UE, citant l’exemple du « panel hormones ». Ce contingent, éligible pour les bovins de moins de 30 mois finis pendant au moins 100 jours avec une ration très concentrée, a provoqué en Uruguay un boom rapide du système de finition en feedlots (parcs d’engraissement industriels et intensifs).

Entre réglementation et coûts de production, un net avantage concurrentiel

Si l’accord de libre-échange est ratifié, le marché européen sera confronté à des volumes plus importants de viande très compétitive. L’Idele liste les nombreuses disparités réglementaires entre les deux blocs, à l’avantage du Mercosur. En matière de produits phytosanitaires utilisés sur les cultures produites pour la finition des bovins, notamment : le nombre de molécules autorisées et les limites maximales de résidus y sont beaucoup plus élevés que ce que prévoient les règlements européens.

L’institut de recherche évoque aussi l’utilisation des antibiotiques comme activateurs de croissance en élevage de bovins viande – à l’instar du monensin, « répandu au Brésil et interdit dans l’UE depuis 2006 », les lacunes en matière de traçabilité individuelle des animaux, une législation sur le bien-être animal quasi inexistante, peu voire pas d’obligations quant à la gestion de l’eau, et des conditions de travail peu encadrées dans les élevages ou les abattoirs, pouvant parfois s’apparenter à des conditions d’esclavage.

Au-delà des distorsions réglementaires, il faut compter avec un fort différentiel de coûts de production : d’après les données du réseau Agribenchmark, entre 2018 et 2020 « les coûts de production des élevages bovin viande du Mercosur sont inférieurs de 40 % à ceux des élevages européens ». De fait, les structures d’élevage sud-américaine fonctionnent avec « une très faible immobilisation du capital » et « presque aucun achat d’aliment », la gestion en feedlots permet d’importantes économies d’échelle, les intrants sont plus abordables.

D’autres facteurs accentuent la compétitivité prix des produits du Mercosur : la puissante industrie exportatrice, de plus en plus concentrée et portée par les trois géants brésiliens JBS, Marfrig et Mienrva, et la faiblesse des monnaies sud-américaines.

Un prix de l’aloyau 18 à 32 % inférieur à celui de l’UE

L’Idele chiffre le différentiel de compétitivité : si on prend d’un côté le prix de gros représentatif de l’aloyau en UE et de l’autre le prix CAF (coût, assurance, fret) des viandes réfrigérées du Mercosur auquel on ajoute les droits de douanes, « le prix de l’aloyau du bouvillon du Mercosur est inférieur de 18 % à 32 % à celui de l’UE » !

Entre 2017 et 2021, le prix de gros du faux filet au Brésil était en moyenne inférieur de 65 % au prix pratiqué en UE. Même avec un droit de douane maximum, l’écart restait de 40 %. (©GEB, Institut de l’élevage)

Avec des viandes aussi compétitives, notamment lorsqu’elles sont soumises à des droits de douane réduits, le risque d’importations supplémentaires depuis le Mercosur en cas d’application de l’accord est bien réel, conclut l’Idele.

Qui doute que les clauses miroirs, dont la mise en œuvre « lente », « hypothétique » et « largement critiquée dans les instances internationales », suffisent à garantir le respect de règles européennes et à réduire l’écart de compétitivité. Et qui s’inquiète aussi du risque pour l’image de la viande bovine : un scandale sanitaire ou lié aux méthodes de production dans les pays du Mercosur pourrait ricocher sur l’image des viandes en Europe.

Au fait, où en sommes-nous de l’accord de libre-échange ?

Après 20 ans de négociations, l’UE et le Mercosur avaient annoncé le 28 juin 2019 être parvenus à un accord de principe et avoir finalisé l’accord de libre-échange.

Malgré cet accord de principe, les textes n’ont toujours pas été ratifiés et ne sont donc pas entrés en vigueur, notamment en raison des craintes sur la politique environnementale menée par l’ancien président brésilien Bolsonaro : la France et l’Allemagne ont refusé de signer l’accord, puis le Parlement européen a voté contre sa ratification en l’état fin 2020.

Mais les choses semblent s’accélérer. Le président Lula a récemment insisté sur le caractère « urgent et hautement indispensable » de la signature définitive de l’accord, l’Argentine et le Brésil viennent d’appeler l’UE à « lever » les « barrières » affectant la compétitivité de leurs produits dans le cadre de l’accord et le premier vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a dit espérer une signature d’ici à juillet.

Pour nombre de parlementaires européens, cités par nos confrères d’Euractiv, le texte doit encore évoluer sur le volet des exigences environnementales,  d’autant plus que le Parlement a voté fin 2022 un texte visant à stopper les importations de produits issus de la déforestation, dont le soja, produit concerné par l’accord UE-Mercosur.

L’eurodéputé Jérémy Decerle (L’Europe ensemble), éleveur en Saône-et-Loire et ancien président de Jeunes agriculteurs, a pour sa part adressé une lettre ouverte à Frans Timmermans le 7 février. « Vous ne pouvez pas dire aux agriculteurs européens : faites mieux et, pendant ce temps, acceptez que je vous mette davantage en concurrence avec des agriculteurs qui font moins bien », écrit-il.

D’ajouter : « Un jour, je l’espère, nous retrouverons un cadre multilatéral de commerce. Un jour nous saurons traiter l’agriculture et l’alimentation, des besoins humains essentiels, avec un peu plus de considération, dans un cadre de négociation dédié, et ne plus les échanger contre des portières de voitures. »

Certains États de l’UE se prononcent en faveur d’une avancée rapide sur l’accord. Quant à la France, le ministre de l’agriculture a récemment affirmé qu’elle le ratifierait s’il était « juste » en termes de réciprocité des normes environnementales.

Mais aura-t-elle vraiment du poids ? Pour être ratifié côté UE, l’accord devrait être approuvé par tous les États membres réunis au sein du Conseil de l’Union européenne, puis soumis au vote du Parlement européen, puis au vote des parlements nationaux des États membres.

La Commission européenne, partisane de l’accord, propose cependant d’en extraire la partie commerciale pour simplifier sa ratification, « écartant la possibilité de véto d’un seul état membre du Conseil au profit de la majorité qualifiée », prévient l’Idele.