Accéder au contenu principal
Bovins lait

Produire moins : un objectif pour de plus en plus d’éleveurs


TNC le 03/07/2024 à 08:15
traite-vaches-adobe-stocktoa555

De plus en plus de producteurs préfèrent aujourd'hui produire autant, voire moins, que plus. (© toa555, Adobe Stock)

L'organisation du travail, pour avoir plus de temps libre tout en dégageant du revenu, est de plus en plus primordiale pour les producteurs laitiers. Cette tendance se traduit par la volonté de maintenir la taille du troupeau, et donc le niveau de production, voire de le diminuer. Il y a moins d'éleveurs "travaillomanes" et plus de gestionnaires, sur le plan économique mais aussi du temps de travail. La filière va devoir s'adapter.

Se libérer du temps est maintenant « une priorité stratégique » pour la moitié des producteurs laitiers, selon l’Observatoire de l’élevage 2023-2024 d’Innoval. « Sur le terrain, on observe une évolution très rapide des profils d’éleveurs laitiers(1), du « travaillomane » dans la poursuite de ses habitudes, donnant sa vie à sa ferme, et ressentant fortement le poids de l’astreinte, de la pénibilité, vers le gestionnaire sensible au sujet du travail en élevage, un levier stratégique, de gestion d’entreprise à part entière impliquant des adaptations, la robotisation entre autres », constate Bastien Gires, directeur marketing et technique de la coopérative.

Et du « travaillomane », donnant sa vie à sa ferme, au gestionnaire, pour qui le travail est un levier stratégique de pilotage de l’exploitation. (© Observatoire de l’élevage 2023-2024 d’Innoval)

Éleveur, un métier comme un autre

Dans cette étude, 3 jeunes installés sur 4 ont en effet un projet de robot de traite. Certes, ce dernier n’a aucune incidence sur la responsabilité de gérer un troupeau 365 jours sur 365, et impose de la surveillance et de la maintenance, mais il supprime l’astreinte de traire et offre plus de liberté au niveau organisation.

De plus en plus de jeunes exploitants considèrent, en outre, que le métier d’éleveur est un emploi comme un autre. C’est-à-dire où il faut anticiper, planifier, organiser les différentes tâches, en tirer un revenu, garder du temps libre. Une profession qu’on n’exercera plus forcément toute sa carrière, mais peut-être pour 10-15 ans.

Plus facile d’arrêter en société qu’en individuel

Cela va dans la logique d’une installation en élevage bovin lait plus fréquente en collectif, comme le montre cette enquête, puisqu’il est un peu plus facile de quitter une société, sans la mettre en péril sur les plans économique, organisationnel, humain, etc., en revendant ses parts sociales, que d’arrêter une exploitation quand on est seul aux manettes. « Le monde de l’agriculture, de l’élevage, n’entend plus vivre à part mais comme le reste de la société », résume Bastien Gires.

Autre changement en cours : produire plus est de moins en moins un but, face à l’optimisation de l’organisation du travail dans les fermes laitières pour dégager du temps et du revenu, tout en répondant aux exigences sociétales et environnementales.

Produire moins : la filière devra s’adapter

« La filière devra s’adapter à cette chute inévitable de la production laitière qui impactera la sécurité alimentaire et l’approvisionnement de nos outils de production. Un enjeu auquel doivent faire face tous les pays d’Europe de l’Ouest », souligne Yann Lecointre, directeur général d’Innoval.

La « déprise laitière » est en marche depuis quelque temps déjà, mais elle avait surtout pour origine des départs en retraite loin d’être tous remplacés et des cessations d’activité précoces, parfois après plusieurs années seulement d’installation, dans de grosses structures robotisées.

La fin de l’agrandissement des troupeaux ?

La différence aujourd’hui également : « le repli de la production n’est plus compensé, comme avant, par l’agrandissement des troupeaux » freiné en particulier par les investissements qui en découlent, fait-il remarquer. La robotisation croissante de la traite, par exemple, impose une extension d’effectif par grands paliers de 60-70 vaches, ce qui force à agrandir la stabulation, les surfaces dédiées à l’alimentation, à embaucher…

D’où une augmentation des charges et de la prise de risque. « On ne gagne pas forcément plus d’argent », fait remarquer Yann Lecointre. Que 62 % des producteurs interrogés désirent maintenir la même taille de cheptel n’est donc pas surprenant. Ces dix dernières années, l’effectif moyen des exploitations adhérentes d’Innoval ne s’est accru que de 10 vaches, l’équivalent d’une par an. Et, selon son directeur, des installations viables à 40-50 vaches, il y en a !

Baisse inhérente de la production de viande

La diminution tendancielle de la production laitière risque, par ailleurs, d’entraîner dans son sillage, la viande bovine. « N’oublions pas que les steaks hachés dans la grande distribution sont issus de vaches laitières de réforme ! », lance Yann Lecointre. Avec Patrice Guiguian, président d’Innoval, il ne fait cependant pas de lien entre la baisse des volumes de lait produits, choisie par les éleveurs, et la crise agricole de début 2024.

Si la colère, qui s’y est exprimée, peut amener des éleveurs à cesser leur activité, et diminuer par conséquent la collecte, son origine est un ras-le-bol, non pas du métier à proprement parlé, mais général de la sur-réglementation, de la sur-administration, de la concurrence déloyale de pays non soumis aux mêmes normes, du non-respect d’Égalim, de l’absence de soutien politique, du manque de revenu…

Des producteurs optimistes

D’ailleurs, 68 % des répondants à l’observatoire d’Innoval s’estiment optimistes quant à l’avenir, soit 8 points de mieux en un an, un chiffre qui grimpe à 81 % pour les 18-29 ans. Président et directeur ne s’en étonnent pas : « Les prix de la viande, des veaux croisés comme des vaches réformées, ont été revalorisés. Le prix de base du lait s’est installé durablement au-dessus de 400 €/1 000 l. Les marges ont progressé, les trésoreries se sont renflouées. »

(© Observatoire de l’élevage 2023-2024 d’Innoval)

Quant à l’optimisme des jeunes éleveurs laitiers, ils l’interprètent ainsi : « Avant, ils investissaient pour produire et gagner plus. Maintenant, ils ont suffisamment de revenu pour avoir du temps libre. » Il s’agit aussi d’une profession passion, que l’on choisit en ayant conscience des inconvénients. « Les jeunes producteurs la voient moins sous le prisme des contraintes. Au lieu de les subir, ils sont acteurs pour trouver le moyen de les limiter. »

La génétique a, elle aussi, beaucoup évolué, mettent-ils par ailleurs en avant. « Les vêlages difficiles, la nuit, peu évoqués comme une astreinte, en sont pourtant une. Laquelle peut nuire à l’entente familiale, entre associés… Avec les progrès réalisés, ils sont désormais rares. »

(1) Précisions sur les profils d’éleveurs (voir schéma en haut d’article)

(© Observatoire de l’élevage 2023-2024 d’Innoval)

Les producteurs qualifiés de « correctifs », qui souhaitent plus de temps pour eux sans conséquence sur leur revenu, sont majoritairement en milieu de carrière, sur des exploitations spécialisées en individuel. Les « perfectionnistes » ont des aspirations similaires, mais sont plus âgés et installés dans des structures familiales. « Ils n’ont pas de stratégie spécifique, investissent moins que la moyenne et demandent peu d’aide extérieure », complète Bastien Gires .

Les « planificateurs », eux, plus enclins à améliorer la productivité sans travailler plus, sont assez jeunes, diplômés et font partie de grands collectifs (4 à 5 associés, ou salariés, alternants, stagiaires). « Ils ont une logique d’embauche et de gestion des ressources humaines, détaille le directeur marketing et technique d’Innoval. « Pas toujours simple à gérer, sur le plan relationnel notamment, les grands collectifs apportent de la souplesse en termes d’organisation et permettent un partage de compétences », ajoute-t-il.

Plusieurs ateliers sont généralement présents : vaches laitières, cultures, porcs, volailles, etc. Ce qui les rend plus solides, face aux aléas climatiques, économiques, sanitaires… Chaque membre se spécialise sur l’un d’eux en fonction de ses appétences, mais est capable de remplacer ses collègues le week-end et pendant les vacances. « C’est un véritable confort de vie que recherchent les jeunes, qui se regroupent autour d’une vision de l’élevage et du métier commune », analyse Bastien Gires. Dans l’échantillon, on compte 42 % de grands collectifs, contre 36 % de structures familiales et 22 % d’entreprises individuelles.