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S'adapter au changement climatique

Olivier Tourand, agriculteur (23) : « Gérer sa ferme à l’année, c’est fini ! »


TNC le 31/10/2022 à 08:00
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« On pensait avoir trouvé la solution face au changement climatique ! Ça a duré 2 ans... », déplore Olivier Tourand, agriculteur dans la,Creuse. (©Pixabay)

Dans le Massif Central, particulièrement exposé au changement climatique et notamment aux sécheresses récurrentes, plusieurs projets sont conduits pour mieux cerner l'ampleur du phénomène, ses conséquences sur l'agriculture et surtout identifier des pistes d'adaptation pour les agriculteurs. Zoom sur deux d'entre eux. Noms de code : AP3C et Cerceau 2.

AP3C :  connaître le climat de chaque exploitation
pour faire évoluer le système de production

AP3C, pour Adaptation des Pratiques Culturales au Changement Climatique, est un projet « né du terrain » puisqu’initié par Olivier Tourand, polyculteur-éleveur bovin dans la Creuse. Idéal pour « aider les agriculteurs à mieux comprendre le, ou plutôt les changements climatiques, et à trouver des adaptations possibles pour leurs exploitations », son objectif, insiste le producteur, venu le présenter au Sommet de l’élevage 2022, lors de la conférence « Votre installation, on en parle : faire face au changement climatique ».  

Exploitant dans un département du Massif Central, région où ce dernier est significatif, il a bien observé, ces dernières années, la multiplication des aléas climatiques. « Mes parents ont connu une sécheresse dans leur carrière, moi plusieurs !, souligne-t-il. On ne peut pas rester passif. » Dès 2008, pour y faire face en limitant les émissions de GES, et convaincu de l’intérêt aussi pour la vie du sol, il adopte des techniques culturales simplifiées, le semis direct notamment. Dans la foulée, il commence à implanter des couverts végétaux après la moisson, des mélanges de 7 à 8 espèces, pour une couverture permanente des sols.

Mais il déchante rapidement : l’été, le secteur devient de plus en plus sec et les couverts ne germent plus. « On pensait avoir trouvé la solution face au changement climatique ! Ça a duré 2 ans…, se souvient-il. En fait, pour lutter contre ce phénomène, il faut bannir le mot « solution » car les possibilités d’adaptation dépendent trop des territoires et, surtout, ne sont pas pérennes. » « Gérer sa ferme à l’année, c’est fini !, lance-t-il. Même pour les stocks fourragers, il faut prévoir sur 18 mois pour pallier les déficits éventuels. » Cette année, il se félicite d’avoir semé beaucoup de prairies temporaires de luzerne, que les animaux ont pu pâturer malgré la sécheresse.

De ses constats et expériences, Olivier Tourand en a tiré la conclusion suivante : il est nécessaire de « connaître le climat sur chaque ferme pour savoir comment produire ». « Obtenir des informations localisées permettrait en effet une analyse fine des impacts du changement climatique sur le territoire », estime-t-il alors. Et derrière « d’adapter les systèmes de production », du Massif Central en l’occurrence, et de « sensibiliser l’ensemble des acteurs » à la problématique. 

De là est né le projet AP3C, en association avec les chambres d’agriculture de la région à travers le Sidam (Service interdépartemental pour l’animation du Massif Central incluant aussi la chambre régionale d’agriculture de Bourgogne-Franche-Comté pour le Morvan, avec des conseillers dans chaque département). Il s’agit de répondre à 3 questions : « Quel climat à l’horizon 2050 dans le Massif Central ? Quels impacts sur l’agriculture de notre territoire à l’échelle parcellaire ? Comment s’adapter, ensuite, à celle du système d’exploitation ? »

D’où les 3 approches privilégiées : climatique, agronomique et systémique. 22 départements sont concernés, pas seulement en Auvergne mais dans le Limousin et le haut de l’Occitanie. Essentiellement des zones de polyculture-élevage. Un climatologue est embauché pour faire des projections jusqu’en 2050, en mesurant entre autres la fréquence de tel ou tel climat, par exemple le déficit ou surplus de pluie. « Du début de la démarche en 2015 à 2050, ça fait 40 ans, soit quasiment la durée de la carrière d’un agriculteur », fait remarquer l’exploitant. Parmi les principaux résultats à retenir pour :

  • la température : la hausse serait plus rapide que prévu.

+ 0,35-0,40°C/10 ans en moyenne annuelle, voire jusqu’à + 0,55°C/10 ans au printemps.

  • la pluviométrie : même cumul annuel, mais une distribution des pluies modifiée (moins au printemps, plus à l’automne).

Soit : une eau pas forcément valorisable (en trop grande quantité d’un coup sous forme d’orages).

  • ETP (évapo-transpiration potentielle) : cumul annuel en augmentation (surtout au printemps et en été, et en plaine avec jusqu’à + 20 %/50 ans).

Donc : moins d’eau disponible pour les cultures. 

  • BHP (bilan hydrique potentiel) : en baisse (notamment au printemps et en été).

≈ – 100 mm/50 ans sur le nord-ouest du Massif Central et – 300 mm/50 ans au sud.

« On voit nettement un double enjeu : s’adapter à une évolution de tendance couplée à une augmentation de la variabilité interannuelle », pointe Olivier Tourand qui met en avant la mise en place d’indicateurs agro-climatiques et de cartes de haute précision (1 pixel/500 m) pour « pouvoir piloter les exploitations » en fonction du changement climatique. « Ce travail a permis aux personnes concernées de prendre la mesure du problème, en particulier des différences climatiques parfois importantes entre deux lieux très proches », conclut Olivier Tourand.

Cerceau 2 : optimiser la gestion de l’eau en élevage

Toujours dans la même région : le projet Cerceau 2, démarré en 2021 pour 5 ans, par le comité filière bovins viande de la chambre d’agriculture Aura. Avec pour constat de départ : le manque de référence sur les consommations et le pilotage de l’eau en élevage au niveau régional, notamment pour l’abreuvement, ainsi que sur l’usage d’eaux alternatives. « Alors que les fortes chaleurs et sécheresses estivales sont de plus en plus fréquentes, et les ressources en eaux limitées, avec des problèmes d’approvisionnement notamment sur le réseau », complète Élisa Landais, animatrice du comité de filière.

« Les périodes de disponibilité sont les plus réduites quand le besoin des cheptels est élevé », ajoute-t-elle, montrant la carte de l’état des arrêtés de limitation des usages de l’eau au 19/09/22, où une grande partie du Massif Central en rouge. L’objectif de ce programme est « de constituer un référentiel des besoins en eau des élevages de la zone afin d’optimiser la gestion de l’eau en bovins viande, puis ensuite dans les autres productions et en affinant au niveau de l’animal, pour élaborer un modèle prédictif selon l’ambiance (en bâtiment et au pâturage), les conditions météorologiques extérieures (température, hygrométrie), le territoire et les équipements », explique-t-elle.

La méthode utilisée : le suivi au jour le jour, via la pose de compteurs, des consommations d’eau dans un panel de 50 élevages par poste, zone climatique et selon les périodes. Quant à l’utilisation des eaux alternatives, Cerceau 2 vise « à améliorer la connaissance des ressources hydrologiques en région, à faire l’inventaire des systèmes de récupération/stockage/traitement de l’eau (évaluations quantitatives et qualitatives), à proposer un arbre de décision des systèmes en fonction des usages, à calibrer les espaces de stockage de l’eau et d’échanger avec les acteurs impliqués pour ouvrir les discussions sur les besoins et les politiques de l’eau ».

Au final, cet outil de pilotage de la gestion de l’eau doit aider l’éleveur :

  • à situer sa consommation d’eau par rapport au référentiel
  • à connaître les ressources du territoire et les enjeux multi-usages qui pèsent dessus ;
  • à calculer la capacité de stockage nécessaire au fonctionnement de son atelier animal (afin d’avoir la ressource pour répondre aux besoins) ;
  • de savoir in fine quelle eau est disponible pour quel usage et avec quel(s) système(s) à installer et quel coût (arbre de décision) ;
  • de lui permettre de piloter à l’échelle de l’année les eaux dont il dispose.

« Ce n’est pas une solution unique mais des pistes possibles », appuie l’animatrice, citant le projet Assecc en Bourgogne-Franche-Comté et le Guide de l’abreuvement qui en résulte, sur lesquels le programme Cerceau s’est aussi appuyé.