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Vétérinaire

Loin du rêve d’enfant, une profession endeuillée par les suicides


AFP le 10/09/2022 à 07:05
Veterinarian with syringe on farm

(©Getty Images)

C'est une réalité connue par toute la profession, mais ignorée du grand public. Les vétérinaires vont mal et se suicident beaucoup : trois à quatre fois plus que la population générale et deux fois plus que les professionnels exerçant dans la santé humaine.

Ce constat alarmant a été dressé par une étude pour le compte de l’association Vétos-Entraide et du Conseil national de l’ordre des vétérinaires (CNOV). Menée auprès de 3 244 praticiens (près de 18 % des vétérinaires), elle a été conduite par Didier Truchot, professeur en psychologie sociale à l’Université de Bourgogne-Franche-Comté.

Ces travaux ont identifié chez les vétérinaires un taux d’épuisement émotionnel -un état d’épuisement physique et émotionnel chronique- supérieur à celui des agriculteurs, dont le mal-être a été maintes fois documenté, explique l’universitaire à l’AFP. Le chercheur s’est dit étonné de ces chiffres, tant ils tranchent avec l’image positive du métier auprès des enfants et des amoureux des bêtes.

Au sein de la profession, « cela n’a surpris personne », déclare Corinne Bisbarre, vétérinaire à Gradignan (Gironde) et membre du CNOV. « On a tous dans nos promotions, dans notre entourage professionnel direct, des confrères qui se sont suicidés », souffle-t-elle. « Huit vétérinaires que je connaissais se sont suicidés », dont « trois camarades de promotion ».

Ces drames individuels restent peu évoqués en dehors de la profession, mais ont une forte répercussion en son sein, pointe-t-elle : « C’est un tout petit milieu, c’est comme une famille ».

« Le médicament dans le tiroir »

Cette prévalence des passages à l’acte s’explique notamment par « le fait d’avoir le médicament dans le tiroir », relève Didier Truchot. Les vétérinaires euthanasient des êtres vivants, et ont donc les compétences et le matériel à disposition pour mettre fin à leurs jours.

« C’est comme les agriculteurs qui ont le fusil de chasse ou la corde dans la grange », relève-t-il, identifiant d’autres parallèles entre les deux milieux : « Ce sont des professions historiquement masculines où on ne va pas chercher de l’aide quand on va mal ».

De même, la charge émotionnelle est sous-estimée alors que les vétérinaires sont exposés à la souffrance des animaux et des propriétaires. Autre facteur cité par les vétérinaires interrogés par l’AFP : la pratique de l’euthanasie, qui peut être très variée (du chien de famille qui souffre et pour lequel il n’y a aucun espoir de guérison aux troupeaux de bêtes pour des raisons sanitaires).

« Je ne connais pas un vétérinaire à qui ça ne fait rien », explique David Quint, vice président du syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral et qui exerce en Corrèze. « Il y a quelques années, j’ai euthanasié un troupeau de vaches intoxiquées par un feu. J’avais à côté de moi l’éleveur qui pleurait à chaudes larmes », se souvient David Quint. « Vous êtes marqué à vie par ces situations-là ».

« Quand il y a une épidémie de grippe aviaire, vous tuez tous les animaux que vous soignez et ça a un impact psychologique », abonde Hélène Esqurial, vétérinaire spécialisée dans les volailles dans les Landes. « J’ai déjà euthanasié 2 500 poules toute seule. Vous avez intérêt à être solide ce jour-là ».

Ils quittent le métier

D’autres facteurs de stress entrent en jeu dans les burn-out et les idées suicidaires chez les vétérinaires : surcharge de travail, addiction au travail, confrontation à la maltraitance des propriétaires des animaux, peur de l’erreur, énumère Didier Truchot.

Les vétérinaires souffrent aussi d’une image « pompe à fric », regrette David Quint. Ils sont critiqués pour leurs tarifs car les clients « ne savent pas ce que coûte réellement une intervention chirurgicale ou une IRM », pointe-t-il.

Tous ces éléments contribuent au fort décalage entre les attentes et la réalité du métier, auxquels les aspirants vétérinaires ne sont pas suffisamment préparés, jugent tous les vétérinaires interrogés par l’AFP.

« On est censé tout savoir, tout faire et avec le moins de moyens possible », résume William Addey, vétérinaire à Buchy (Seine-Maritime) et membre de l’association Veto-Entraides, créée pour répondre au mal-être des vétérinaires.

Face à ces difficultés, ils sont de plus en plus nombreux à quitter la profession. En 2021, 341 vétos de moins de 40 ans ont quitté le tableau de l’ordre des vétérinaires, selon l’atlas démographique 2022 du CNOV.