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Reportage dans la Manche

Libérer les truies, une nouvelle case à cocher pour le bien-être en élevage


AFP le 17/11/2021 à 09:24

Une quinzaine de porcelets prend d'assaut les mamelles d'une truie qui vient de s'étendre de tout son long dans un espace de quelques mètres carrés : une exception en élevage où les truies allaitantes sont généralement en cage, sans possibilité de se retourner.

Dans cet élevage de la Manche, dans l’ouest de la France, la plupart des truies bénéficient de cases dites « liberté ». L’une d’elles se lève, fait quelques pas, renifle ses porcelets de 21 jours et se recouche sur les caillebotis en plastique bleu. Sa voisine, à l’inverse, est maintenue par une armature métallique. Elle peut seulement se mettre sur ses pattes et se coucher : les plus âgées comme elle, habituées à l’ancien système, sont maintenues en cage, de peur qu’elles n’écrasent leurs petits.

Mais « dans six mois », quand les anciennes auront été réformées, plus aucune truie allaitante ne restera en « contention » au-delà d’une semaine après la mise bas, assure à l’AFP Nicolas Perrigault. 

L’éleveur normand, associé avec son épouse Marie-Claude, a repensé il y a près de deux ans ses bâtiments qui accueillent 450 truies. Pour les libérer, il fallait un tiers de place – donc d’investissements – en plus par rapport à une cage conventionnelle, sans compter les coûts de fonctionnement (frais de chauffage et de lavage supplémentaires), explique l’éleveur qui n’en tire pas pour autant de meilleurs revenus.

Les truies n’en ont toutefois pas fini avec les cages au cours de leur vie consacrée à donner naissance aux futurs porcs qui serviront à fabriquer jambon, lardons et côtelettes. Une fois les petits sevrés et partis à l’engraissement, elles sont placées en cage pendant près de 25 jours, le temps de détecter si elles sont en chaleur, de les inséminer à nouveau et jusqu’à ce que l’éleveur constate qu’elles sont pleines.

Le bâtiment est en tout cas conçu pour pouvoir les libérer, si la réglementation l’imposait ou si une entreprise cliente le demandait. En attendant, dans la période des 25 jours, les truies sont alignées, comme garées en marche avant.

Marie-Claude Perrigault passe l’échographe sous leur ventre – « toutes les poches noires, ce sont des porcelets », montre-t-elle sur l’écran. Les truies fécondées vont ensuite pouvoir rejoindre une salle où vaquer avec leurs congénères pendant la gestation, soit environ trois mois.

Elles retourneront ensuite en cage peu avant la mise bas et « jusqu’à ce que les porcelets soient assez vigoureux pour faire face à des gestes maladroits de leur mère », soit une semaine. « On a essayé de les libérer quatre jours avant, mais c’était un carnage », explique l’éleveur.

« Avant-gardistes »

Dans le monde, l’immense majorité des truies allaitantes sont en cage pour limiter les écrasements, mais aussi gagner de la place et faciliter le travail de l’éleveur. En France, comme chez les principaux producteurs européens, moins de 5 % des truies évoluent en cases liberté, selon Christine Roguet, agroéconomiste à l’institut technique de la filière porcine Ifip. Elle estime à un milliard d’euros les investissements nécessaires pour convertir tous les élevages français.

La réglementation ne l’impose pas. À la différence de l’Allemagne, deuxième producteur porcin européen devant la France, où les élevages ont quinze ans pour arrêter les cages.

« Des pays européens prennent de l’avance, le cadre européen va changer, donc il faut accompagner les éleveurs maintenant pour qu’ils ne se retrouvent pas à la traîne », estime Léopoldine Charbonneaux, directrice de l’antenne française de CIWF, une ONG dédié au bien-être des animaux d’élevage. Dans le groupe coopératif dont fait partie Nicolas Perrigault, le leader national Cooperl, ils sont « moins de dix » à être équipés sur 2 900 producteurs. « On est, je l’espère, avant-gardistes », dit l’éleveur, soucieux de « faire les choix qui seront les bons demain ». Il s’est lancé en pensant que c’est ce que « la société » attendait, mais aussi après avoir vu un voisin éleveur de poules pondeuses investir dans des cages, juste avant que celles-ci ne deviennent largement indésirables.