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Académie d'Agriculture de France

Les prairies et les herbivores au cœur de la durabilité agricole et alimentaire


André PFLIMLIN, Gilles LEMAIRE & Jean Louis PEYRAUD, membres de l'Académie d'Agriculture de France, Anne MOTTET (FAO), Alexandre ICKOWICZ (CIRAD), Bertrand DUMONT (INRAE) le 13/03/2023 à 14:58

©GettyImages

Les contributions des prairies à la qualité de l'eau, à la biodiversité et à la lutte contre le réchauffement climatique, par le stockage du carbone, font désormais largement consensus dans le monde scientifique, mais ne sont pas toujours bien connues au-delà. Malgré la reconnaissance de l'ampleur des services écosystémiques attribués aux prairies et aux parcours, leurs surfaces continuent de régresser en Europe : la question de la rémunération de leurs services reste posée, notamment en Europe pour la prochaine PAC.

Les prairies et les herbivores contribuent à la sécurité alimentaire et à la bonne nutrition

En fournissant 16 % des protéines totales consommées (de haute valeur biologique), et en apportant des micro-nutriments indispensables peu présents ou absents dans les produits végétaux, la viande et le lait de l’élevage d’herbivores contribuent significativement à la sécurité alimentaire et nutritionnelle mondiale.

Alors qu’une partie de la population des pays à hauts et moyens revenus consomme trop d’aliments (particulièrement de la viande), la consommation de protéines animales reste trop faible pour une autre partie plus nombreuse de la population mondiale, entraînant des retards cognitifs et de croissance chez les enfants, mais aussi des anémies chez les femmes, notamment en Afrique et en Asie du Sud, régions à forte croissance démographique où ces élevages nourrissent une part importante de la population.

Les élevages d’herbivores assurent de nombreuses fonctions socio-économiques

L’élevage d’herbivores est une activité indispensable et une épargne pour des centaines de millions de paysans pauvres dans le monde, souvent localisés dans des régions arides ou de montagne. Dans les régions agro-pastorales, ces élevages d’herbivores fournissent non seulement l’alimentation de base, mais aussi le fumier et la traction animale. Ils structurent les sociétés là où peu d’autres activités sont possibles, et donnent souvent une relative autonomie de ressources aux femmes par la vente de lait ou de fromages.

Dans les pays plus riches, ils produisent la matière première d’industries laitière et de la viande à fort emploi, mais aussi des produits aux identités culturelles fortes s’appuyant sur des modes de production très diversifiés et plus durables.

Les ruminants élevés à l’herbe ont une meilleure efficience alimentaire

Plus de 55 % des surfaces utilisées par les herbivores de notre planète sont des prairies et des parcours non convertibles en cultures. Ces herbivores valorisent aussi d’importantes quantités de coproduits cellulosiques non consommables par l’Homme, et contribuent de ce fait à la sécurité alimentaire sans réduire les surfaces disponibles pour l’alimentation humaine. Cependant, dans nos pays, ces herbivores reçoivent aussi des céréales : ainsi, en moyenne mondiale, il est consommé 2,8 kg de céréales pour produire un kg de viande de ruminant et 3,2 kg pour les monogastriques. Mais il y a de grandes différences entres systèmes d’élevage : ainsi, il faut 4 kg de protéines végétales ‘comestibles par l’Homme’ par kg de protéines de viande de bœuf nourri au grain, et seulement 0,2 kg dans les systèmes à l’herbe.

Le bilan GES des herbivores doit inclure le stockage de carbone par les prairies

Les herbivores ont l’aptitude à digérer la cellulose pour s’en nourrir, contrairement à l’Homme, ce processus produisant du méthane, un gaz à effet de serre 28 fois plus puissant que le gaz carbonique (CO2). Cependant, les prairies pérennes et semées sur lesquelles les herbivores sont nourris stockent du carbone en quantité assez importante pour compenser tout ou partie des émissions de méthane. Des études menées en système pastoral au Sahel, mais aussi sur des prairies pérennes bien exploitées en Amazonie, ont montré que les bilans carbone nets pouvaient être proches de zéro, voire légèrement favorables en stockage net. Ces premiers résultats, qui restent à consolider, montrent qu’il est impératif de raisonner en empreinte carbone nette si l’on veut évaluer avec rigueur le bilan du couple herbivores-prairies.

Les prélèvements d’eau par les herbivores et la prairie sont relativement faibles

Un hectare de prairie évapore la même quantité d’eau quelle que soit l’utilisation de l’herbe : pâturée, fauchée ou non exploitée. Le chiffre de 15 000 litres d’eau par kilogramme de viande produite – souvent avancé au niveau mondial ou en France – inclut toute la pluie tombée sur les prairies. Pour rendre compte des prélèvements réels dans les rivières et les nappes, seules l’eau d’irrigation (très rare sur prairies), ainsi que l’eau d’abreuvement et de nettoyage devraient être comptées. Ces prélèvements restent cependant un enjeu dans les régions à très fort stress hydrique comme le Sahel, mais aussi dans certaines régions européennes particulièrement impactées par le changement climatique.

Les prairies et les parcours sont des hauts lieux de biodiversité

Les prairies permanentes sont les principales réserves de biodiversité agricole en Europe, au même niveau que celle des forêts peu exploitées. Plus de la moitié des espèces végétales endémiques d’Europe sont des espèces prairiales, et leurs sols abritent une biodiversité bien plus importante que sous terre cultivée – même sans labour – indispensable à leur fonctionnement et à la fourniture de services écosystémiques.

Pour une agriculture plus durable, il faut recoupler élevage, cultures et prairies

La spécialisation des régions, l’intensification et l’uniformisation des systèmes agricoles – notamment dans les pays développés – ont engendré un coût environnemental inquiétant, et affectent la durabilité des ressources. La réintroduction de la luzerne ou d’associations de prairies de fauche, avec vente de foin dans les régions de grande culture, pourrait être une première étape pour améliorer la fertilité des sols et la biodiversité. La réintroduction de fermes d’élevage en contrat avec les voisins céréaliers – pour l’échange de grains et de cultures fourragères contre du fumier – pourrait être encouragée par les instances régionales. Mais l’extrême spécialisation des filières ayant favorisé la concentration des outils de transformation à certains endroits ou leur abandon ailleurs, cette situation reste un frein important à ce type de rediversification.

Mieux prendre en compte la prairie dans la PAC pour promouvoir les biens publics

La PAC a largement soutenu un modèle économique productif et compétitif, ne corrigeant qu’à la marge les nuisances environnementales et étant globalement défavorable aux prairies malgré l’introduction de la conditionnalité sur le non-retournement des prairies permanentes et certaines aides qui profitent indirectement à des systèmes herbagers (comme les ICHN ou la prime à la vache). Pour une future PAC, un signal clair en faveur des prairies est nécessaire, afin de passer d’une obligation de maintien sans aides et sous peine de sanction, à un soutien réellement incitatif via le paiement pour services environnementaux.

Académie d’Agriculture de France (www.academie-agriculture.fr)