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Académie d'agriculture de France

L’élevage face aux grands défis sociétaux : une controverse ?


Elsa DELANOUE, docteur en sociologie et ingénieure agronome pour les ITA le 13/12/2019 à 10:50
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(©Pixabay)

Depuis 2010, l'élevage est confronté à une controverse sur sa place et son rôle dans les grands enjeux sociétaux contemporains : environnement, condition animale, santé, alimentation... Ces débats sont complexes et soulèvent de nombreuses questions. Ils témoignent de l'existence, au sein de la société française, de différentes façons de penser l'élevage et son rôle dans la société. Le point avec Elsa Delanoue, docteur en sociologie et ingénieure agronome.

Éléments et enjeux d’une controverse

L’élevage n’est pas le seul sujet à susciter une controverse ; l’analyse de ce processus aide à comprendre et à prendre du recul face aux débats qui entourent cette activité.

En sociologie, on définit une controverse comme un débat public qui implique des adversaires en désaccord sur un sujet suscitant des incertitudes. Pour les adversaires en opposition, tout l’enjeu est de rallier le public à leur cause ; pour cela, ils doivent non seulement réduire les incertitudes du public (grâce, par exemple, à des preuves scientifiques), mais aussi gagner sa confiance. En effet, tout argument, aussi pertinent et objectif qu’il soit, ne convaincra pas si la personne qui l’émet suscite la méfiance et le doute de la part du public.

En outre, les discussions et débats provoqués par la controverse entraînent progressivement des changements concrets: évolution des perceptions, transformations des pratiques des individus, modification de la réglementation… On dit donc qu’une controverse est un processus créatif.

L’élevage source d’incertitude

Les incertitudes que suscite l’élevage peuvent être regroupées en quatre grandes thématiques :

(©AAF)

Les questions environnementales et sanitaires appellent des solutions techniques, dont certaines sont déjà mises en oeuvre dans les élevages. La difficulté de ces incertitudes scientifico-techniques réside dans les moyens à mettre en oeuvre pour évaluer et limiter ces impacts : quels seuils instaurer dans les règlementations ? Quelles pratiques et systèmes de production favoriser ? Quelles solutions et alternatives proposer ?

Les incertitudes éthiques et morales sont particulièrement difficiles à réduire, car elles ne s’ancrent pas dans le domaine de la science : les innovations technologiques et mesures physico-chimiques ne peuvent pas y répondre. Au regard des récentes évolutions du statut de l’animal, les incertitudes sur la condition animale semblent vouées à perdurer, aussi les débats sur la question vont très probablement gagner en importance sur la scène publique.

Les acteurs de la controverse et leurs modes d’action

Dans l’espace public, la controverse autour de l’élevage est principalement portée par le monde agricole (filières de l’amont à l’aval) et par les associations de protection de l’environnement ou des animaux. Les points de vue au sein même de ces deux grands types d’acteurs peuvent être très hétérogènes.

L’accès aux médias est crucial pour les acteurs de la controverse, car il permet de faire parvenir leurs arguments au public, mais il est aussi un outil pour les jeux de pouvoir. De plus, les médias sont également acteurs de la controverse grâce à leur capacité de sélectionner les messages qu’ils souhaitent mettre en avant. Internet et les réseaux sociaux permettent un déploiement très large des ces controverses, ainsi les éleveurs commencent à s’en emparer pour montrer au public leurs fermes, leurs animaux et leurs manières de travailler. Les cibles à rallier sont donc les pouvoirs publics qui décident de la réglementation, et les citoyens qui influencent d’une part le marché par leur consommation, d’autre part le paysage politique par leurs votes.

Le secteur marchand joue également un rôle de plus en plus important dans cette controverse : influencés par les associations et l’opinion publique, les entreprises de l’agro-alimentaire prennent de plus en plus fréquemment des décisions qui influencent l’offre commerciale et la production. Ainsi, en décidant de ne plus commercialiser d’œufs de poules élevées en cage, les enseignes de la grande distribution ont précipité une restructuration profonde de cette filière, qui s’est vue dans l’obligation de prendre ses distances avec ce mode d’élevage.

Les attentes des citoyens envers l’élevage

Les résultats du projet ACCEPT mettent en évidence cinq profils d’individus selon leurs attentes envers l’élevage français :

  • Abolitionnistes (2%) : ne consomment pas ou peu de produits animaux
  • Alternatifs (24%) : expriment une opposition forte et nette à l’industrialisation de l’agriculture ;
  • Progressistes (51%) : personnes se disant incertaines concernant l’élevage et ses pratiques, connaissant mal l’activité ;
  • Compétiteurs (10%) : soutiennent fortement le mode de production intensif, pour permettre à l’agriculture française de rester compétitive sur les marchés mondiaux ;
  • Sans avis (3%) : ne souhaitent pas avoir davantage d’information sur l’élevage et ses pratiques.

Par ailleurs, dans ce sondage :

  • 1,5 % de la population se déclare végétarienne, et 0,15 % végétalienne ou végane.
  • 14 % de la population déclare envisager de cesser sa consommation de viande dans les 12 prochains mois, et 18 % de la diminuer.
  • L’accès au plein air pour les animaux, ainsi que l’information du consommateur sur les modes d’élevage, constituent les attentes les plus prégnantes des citoyens, tous profils confondus.

Quels rôles possibles pour l’élevage ?

Les éleveurs et les filières sont directement impactés par cette situation : les remises en cause de l’élevage ou de l’industrialisation influencent à la fois les pratiques mises en oeuvre par les éleveurs et l’attractivité même du métier. Beaucoup d’éleveurs s’engagent face aux grands défis de Société : ils cherchent en premier lieu à communiquer sur leurs métiers et à mieux faire connaitre leurs pratiques, pour montrer qu’ils répondent déjà aux attentes de leurs concitoyens. Certains vont plus loin, et adaptent leurs pratiques, pour améliorer leur impact environnemental, les conditions de vie de leurs animaux, la qualité de leurs produits…

Ainsi, les démarches de bonnes pratiques et les démarcations commerciales prenant en compte tout ou partie des enjeux se multiplient, qu’il s’agisse d’initiatives individuelles, de petits collectifs ou de démarches portées par des filières organisées. Ce type de démarche peut contribuer à éviter des ruptures rapides imposées par des acteurs extérieurs sur le monde de l’élevage.

(©Académie d’agriculture de France)

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