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Pêche

La pêche européenne prise dans les filets du Brexit


AFP le 20/04/2019 à 09:50

Ils sont l'une des professions les plus exposées au Brexit : les pêcheurs européens s'inquiètent de perdre leur accès aux poissonneuses eaux britanniques, même si le Royaume-Uni aura du mal à se passer du marché des 27 et de leur industrie de transformation.

« Une chance de se libérer d’une relation asymétrique et qui nous exploite » : voilà comment Barrie Deas, patron de la NFFO, la Fédération britannique des organisations de pêcheurs, perçoit le Brexit. Les pêcheurs du Royaume-Uni avaient largement plébiscité une sortie de l’UE lors du référendum de juin 2016. Il faut dire que les chiffres semblent en leur faveur : en 2013-2015, les navires de l’Union européenne ont pêché en moyenne 656 000 tonnes de poissons dans les eaux britanniques, principalement du maquereau, du hareng, du lançon et du merlan bleu, auxquels il faut ajouter les lucratifs merlus, soles et langoustines, pour une valeur de 524 millions d’euros. Parmi les pays dont les flottes sont les plus dépendantes se trouvent la France, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne.

À l’inverse, les Britanniques qui naviguent hors de leurs eaux territoriales ont capturé environ 152 000 tonnes de poissons, pour une valeur de 192 millions d’euros. Ces chiffres tirés d’un rapport destiné au Parlement européen proviennent en partie des données de l’European fisheries alliance (EUFA), un groupe de pression qui s’est créé dans la foulée du référendum britannique, entièrement dédié à la défense des intérêts de la pêche européenne dans les négociations entre Bruxelles et Londres sur le Brexit.

Un « problème majeur »

La perte de l’accès aux eaux britanniques serait « un problème majeur », résume Gerard van Balsfoort, à la tête de l’Alliance. Sous le régime de la Politique commune de pêche (PCP), l’accès des eaux des pays membres est garanti sous réserve de partager les quotas annuels de pêche pour chaque espèce. Ils font l’objet d’intenses discussions chaque fin d’année.

La grande satisfaction des pêcheurs européens est d’avoir obtenu un traitement spécial dans le traité de retrait qui couvre les conditions du divorce. Sauf que ce texte n’a toujours pas été ratifié par le parlement britannique. Au terme de multiples rebondissements, la date du Brexit a récemment été reportée au 31 octobre. La Première ministre britannique espère cependant que son pays puisse partir avant les élections européennes du 23 mai. « L’aspect le plus important de la décision d’une prolongation, c’est la confirmation que le scénario du « no deal » n’est plus sur la table », assure Gerard van Balsfoort, espérant qu’un tel délai permettra d’assurer au moins des règles du jeu inchangées jusqu’à la fin de l’année.

Après le Brexit, il faudra gérer le retour à des règles historiques pour l’accès aux pêcheries. À la NFFO, la confiance est de mise. « Nous voyons de grandes opportunités pour l’industrie britannique de la pêche en tant qu’État côtier indépendant – dans le même esprit que la Norvège », explique Barrie Deas. La Norvège a trois accords avec l’UE, afin de faciliter la gestion de stocks de poissons communs. L’UE et le Royaume-Uni ont une centaine de stocks en commun. La possibilité d’une absence d’accord ne peut pas être complètement écartée, et serait « le pire des scénarios », selon Gerard van Balsfoort. D’ailleurs, des deux côtés de la Manche, le secteur de la pêche a été intégré dans les mesures d’urgence prioritaires. L’UE a notamment adopté une législation spéciale visant à maintenir l’accès aux eaux britanniques jusqu’à la fin de l’année, sous réserve de réciprocité, et surtout à prévoir des fonds pour soutenir les pêcheurs qui se retrouveraient à quai faute de pouvoir travailler dans leurs zones de prédilection.

Levier de négociation

Fin mars, Emmanuel Macron a assuré à des élus du nord de la France que le dialogue avec Londres avait déjà commencé sur la pêche. Ils peuvent « garder 100 % de l’accès à leurs eaux mais ils ne peuvent transformer (le produit de leur pêche) sans les autres pays européens », a-t-il expliqué, insistant sur « l’interdépendance » entre les États. Le levier du secteur halieutique européen ? Le commerce des produits de la mer : malgré ses eaux poissonneuses, le Royaume-Uni n’est pas forcément friand de ce qu’il en sort. Quelque 80 % des produits de la pêche britannique sont exportés, dont les trois-quarts vers l’UE, surtout la France, les Pays-Bas, l’Irlande et l’Espagne. « Nous devons inclure dans les négociations l’aspect « marché » c’est notre levier », insiste Gerard van Balsfoort.