Ferme squattée : « j’ai retrouvé mes vaches avec 2 000 kg de lait en moins »


TNC le 02/05/2025 à 05:12
IMG_2308

Après un mois sur place, l'éleveur a remis de l'ordre dans son troupeau, mais estime que les dégâts sont trop importants pour transmettre le cheptel. (© TNC)

Après 23 mois de squat, Patrice et Josianne Garanger ont regagné leur ferme laitière le 27 mars 2025. Si le couple a réussi à mettre dehors les repreneurs qui ne leur devaient pas moins de 500 000 €, ils ont retrouvé un troupeau en piteux état. Cellules, vaches vides, boiteries… Plus question pour Patrice d’installer quelqu’un sur la structure. Il arrêtera le lait à l’été.

En mars dernier, l’affaire défrayait la chronique. « Aujourd’hui, tout le monde connaît la ferme de la Haimerie à Montigné-le-Brillant », ironise Patrice Garanger, dont l’exploitation en périphérie de Laval a été squattée pendant deux ans par un couple ayant « oublié de payer la reprise ».

Le Figaro, Ouest-France, RTL et même un passage sur TF1… Une véritable tempête médiatique portée par le soutien de la FDSEA Mayenne a permis à Patrice et Josianne Garanger de reprendre possession de leur ferme le 27 mars 2025 après 23 mois d’occupation illégale. Aujourd’hui, si les éleveurs sont « soulagés » d’avoir « regagné des lieux », le retour à la ferme garde un goût amer. « C’est impressionnant de voir à quelle vitesse un élevage peut se dégrader », lance Patrice.

C’est impressionnant de voir à quelle vitesse un élevage peut se dégrader

Leur premier chantier dans l’étable : « vider la fosse à lisier » non loin de déborder. Car les repreneurs ne se sont pas contentés de laisser une ardoise au couple Garanger, ils ont également conduit la structure d’une drôle de manière. « Ils étaient proches des animaux, ça c’est certain, mais c’est la seule qualité qu’on pouvait leur trouver… »

Patrice avait laissé des Normandes à 7 600 l. Deux ans après, il retrouve des vaches à 5 800 l. « Il leur fallait 10 vaches de plus pour faire la même référence laitière », constate l’agriculteur.

La qualité des fourrages n’a pas aidé à produire du lait. « L’année dernière, ils ont semé leur maïs au 1er juillet. Je sais qu’il a beaucoup plu, mais quand même… », s’énerve l’agriculteur. Les ensilages, en novembre, ont donné un fourrage autour de 25 % de MS, pauvre en amidon. L’enrubannage n’était pas non plus leur fort : « ils ont fait la première coupe de trèfle au 15 juin, alors forcément, côté valeur, ça peine un peu ».

Les Garanger avaient laissé leur ferme avec l’équivalent de 50 000 € de stock fourrager, enrubannage rentré et maïs semé au 15 mai 2023. Aujourd’hui, ils ne peuvent compter que sur un ensilage de mauvaise qualité. « Notre chance, c’est de revenir au printemps sous un temps plutôt favorable, sinon il aurait fallu en plus acheter des fourrages ! »

20 vaches réformées et 18 génisses vides

Côté élevage, « la première chose qui a peiné, c’est la repro », analyse Patrice. La moitié des vaches échographiées à leur retour ont été trouvées vides. Et sans veau, pas de lait. Si bien que 20 vaches sur 65 ont été réformées. « Il y avait une dizaine des vaches vides avec moins de 10 kg de lait, je pense qu’ils ne voyaient pas les chaleurs… ». Quatre vaches sont parties à cause des boiteries, les autres en raison du taux de cellules. « Nous étions autour des 800 000 au tank alors que nous avions laissé un élevage sain. Nous avons trouvé 6 vaches à plus d’un million ! »

Mais pour réformer, encore faut-il avoir du renouvellement. « La plus grosse surprise a peut-être été de voir que sur les 20 génisses, 18 étaient vides ».

La fin du lait prévue pour juillet

Impossible alors de maintenir le même volume auprès de la laiterie, et pas question pour Patrice de racheter des vaches. « On a décidé d’arrêter le lait », tranche l’agriculteur. « Si l’on avait dix ans de moins, on aurait essayé de remonter le troupeau, mais en l’état, je n’ai pas envie de me remettre à traire pour deux ou trois ans. »

Le couple sait qu’il va y laisser des plumes. « Le matériel est abîmé, le bâtiment a gagné en vétusté… Le seul point positif, c’est peut-être le prix de la viande qui a monté sur ces deux dernières années ». Mais la tentative de transmission ratée les a échaudés. « En l’état, on ne peut pas installer un jeune sur la structure, et de toute manière, je ne me vois pas repartir dans les démarches. »

En juillet, lorsque l’herbe se fera plus rare, ils tariront le troupeau. Les bonnes vaches partiront vers d’autres élevages. Les autres seront engraissées. « Je ne me fais pas de soucis. Faire de bons fourrages, traire, engraisser… Je sais faire. »

L’exploitation herbagère avait l’avantage de présenter des parcelles autour du corps de ferme. (© Terre-net Média)

En attendant, Patrice et Josianne sont sur le pont. « On travaille plus de 12 h par jour », constate l’éleveur. Paradoxalement, le retour sur la ferme a été une bouffée d’oxygène. « Ça ne m’a rien fait de me remettre à traire. Cela faisait deux ans que je vivais « Dubois » jour et nuit, alors remettre les pieds sur ma ferme, c’était un soulagement ».

Un mois après leur retour, la cour de ferme – bucolique à souhait — ne porte plus les traces de ces deux années de squat. Les vaches regagnent de l’état avec la mise à l’herbe. Les abords des bâtiments sont de nouveaux entretenus, les animaux parés… Mais la déception reste vive pour l’agriculteur. Ce passionné d’agronomie, intarissable sur la vie du sol, avait à cœur de transmettre l’exploitation. « On était sur un système herbager qui fonctionnait bien pour qui sait travailler l’herbe… Mais bon, il faut payer », martèle l’agriculteur.

À ce jour, le couple hésite à poursuivre son action en justice. « Ce sont des escrocs. Ils ne sont pas solvables. On sait qu’ils ne paieront rien », estime Patrice. Difficile pour les éleveurs de se projeter dans de longues années de bagarre judiciaire, alors que cela fait déjà deux ans qu’ils aspirent à une retraite tranquille. « Pour moi, l’important c’est de faire savoir qu’il y a des arnaqueurs, en agriculture comme ailleurs, et d’éviter à d’autres de tomber dans le panneau. »

D’autant que la famille Dubois n’en est pas à son coup d’essai : « on a appris qu’ils avaient fait des tentatives similaires sur d’autres structures ». « De nos jours, on veut tellement installer des jeunes en élevage qu’on finit peut-être par être moins vigilant. »

Un repreneur présenté par la Safer

Car au commencement, cette installation avait tout d’une belle histoire. Proches de la retraite, Patrice et Josianne se sont rapprochés de la Safer pour céder leur exploitation herbagère. C’est là qu’ils ont rencontré la famille Dubois – parents et fille – intéressés par une transaction rapide. Après plusieurs mois de stage, la famille s’est installée dans la maison : « notre erreur est d’avoir fait confiance, et d’avoir donné les clés avant la vente », reconnaît Patrice. « Dans le monde agricole, une parole est une parole. Ça n’est pas partout comme ça… »

Il faut admettre que les Dubois étaient déjà bien avancés dans leurs parcours d’installation. Comité technique de la Safer, demandes d’autorisation d’exploiter… « Ils ont berné tout le monde », estime Patrice.

Ils devaient nous payer chez le notaire… On attend encore !

Mais le couple a vite déchanté. « Au lendemain de leur installation, j’ai eu un doute », poursuit l’agriculteur. Fourrage, cheptel, matériel : « ils nous ont dit qu’ils nous régleraient chez le notaire ». Mais entre volonté de temporiser, rendez-vous annulés et faux documents, « on a très vite compris que nous ne serions jamais payés », s’agace l’agriculteur.

Les 500 000 € de reprise non honorés

Les montants n’ont rien d’anodin, compter autour de 500 000 € d’ardoise pour une centaine de têtes et 58 ha de surface fourragère. « Le plus énervant, c’est que nous n’avions pas été spécialement gourmands pour permettre à la ferme de perdurer. »

Le coup de grâce a été donné au printemps 2024, lorsque la famille Dubois a assigné les Garanger en justice pour vices cachés. « Ils demandaient à revoir le prix de la cession suite à des dommages qu’ils avaient eux-mêmes causés », poursuit Patrice, incrédule.

« On n’était pas sur de simples problèmes de financement. Ce sont de vrais professionnels de l’escroquerie », insiste l’agriculteur, qui n’est pas le seul à constater des impayés. « Ils ont laissé des dettes à tous leurs fournisseurs. Ils ont même réussi à se faire livrer un tracteur sans le payer », s’étonne encore Patrice. Pendant ce temps, la laiterie continuait à leur verser leurs payes de lait.

En parallèle, Patrice et Josiane avaient saisi les tribunaux. Mais la justice traînait les pieds alors que la ferme se dégradait à grand pas. Le couple avait également dû trouver un emploi. Faute de cession, impossible pour eux de payer la maison dans laquelle ils pensaient passer leur retraite.

Une audience, prévue le 2 avril 2025, devait décider du sort de l’habitation. Une seconde, le 30 avril, devait plancher sur celui de l’exploitation. Le couple n’aura pas eu besoin d’attendre cette date. Le 13 mars, une manifestation soutenue par la FDSEA de la Mayenne a permis de faire connaître l’affaire. « Entre le déchaînement médiatique et l’approche du jugement, les squatteurs sont partis. »

L’éleveur ne regrette pas d’avoir fait connaître l’affaire. « Si on les avait laissés un an de plus sur la ferme, il n’y aurait plus rien eu à sauver. »