Europe, monde : où vaut-il mieux s’installer en bovins lait ?
TNC le 21/05/2025 à 05:21
Belgique, Royaume-Uni, Espagne, États-Unis, Canada, Brésil, Argentine, Australie, Nouvelle-Zélande… rencontrent-ils les mêmes freins à l’installation en élevage laitier et autant de difficultés à renouveler leurs éleveurs ? L’Idele a mené l’enquête.
Le manque d’attractivité du métier d’éleveur de vaches laitières est-il tout aussi flagrant en Europe et dans le monde qu’en France ? Le renouvellement des générations de producteurs bovins laitiers est-il difficile partout ? Ces phénomènes touchent-ils également, comme chez nous, le salariat en élevage ? L’Idele a interrogé, en 2021-2022, une centaine d’acteurs de la filière (exploitants, conseillers, etc.) à travers la planète et réalisé des recherches bibliographiques.
Les éleveurs vieillissent partout
Quel que soit le pays, la réponse à ces trois questions est oui à l’unanimité, et les raisons sont identiques. Dans chacun quasiment, le vieillissement des éleveurs bovins lait est frappant. Ils sont âgés en moyenne de 53 ans en Australie et Irlande, 55 ans en Espagne et 57,5 ans aux États-Unis (ensemble des agriculteurs), où un tiers ont plus de 65 ans (contre 47,5 ans en France et 42 ans en Nouvelle-Zélande). Au Japon, 63,5 % des actifs agricoles dépassent cet âge, soit 3,3 fois plus en 30 ans.
Un capital à reprendre en hausse
Autre élément incriminé : l’agrandissement des fermes avec, pour conséquence, une forte hausse des investissements et du capital à reprendre compliquant les installations, encore davantage que l’accès au foncier contrairement à la situation française. De même, ailleurs, les grosses structures attirent car elles sont gages de rentabilité et facilitent l’organisation du travail, alors que les repreneurs français recherchent plutôt des exploitations à taille humaine par choix mais aussi pour des questions de coût de reprise, d’autant qu’ils n’ont pas l’assurance de dégager un meilleur revenu.

Des revenus trop bas
Pour autant, peu importe là où on se situe, la faiblesse des revenus en élevage s’avère dissuasive. Prenons l’exemple des salariés de fermes laitières dans différents pays : les salaires varient du simple au quintuple, de 5 €/h en Pologne et Hongrie à 27 €/h au Danemark (voir graphique ci-dessous).
Pour pouvoir comparer ces niveaux très variables, à relier aux importantes disparités du coût de la vie, il faut les confronter à la rémunération moyenne perçue par l’ensemble des actifs. Pour les Polonais et les Hongrois, il n’y a aucune différence, de même que pour les Danois, mais celles-ci s’accroissent de l’Allemagne à l’Irlande (écarts notables également en Suisse, Luxembourg et Norvège, comparé à la France).

Charge de travail élevée
Le travail en bovins lait (volume, horaires, astreintes) est aussi un frein largement cité, comme l’image de la profession d’éleveur dans la société où elle manque de considération quand elle n’est pas critiquée ouvertement. Les éleveurs australiens, eux, évoquent la complexité, la volatilité et le rapport risque sur rendement défavorable de la production laitière au regard d’autres secteurs de l’agriculture. Dernier point mentionné seulement au Royaume-Uni : l’absence d’évolution professionnelle.
Des difficultés à recruter des salariés
Quant à la gestion des ressources humaines, c’est une problématique partagée par tous, sachant que le salariat se développe, aussi bien à l’échelle européenne que mondiale, en particulier en Nouvelle-Zélande, Chili, Argentine, Colombie et Espagne, où il représente plus de 40 % de la main-d’œuvre des exploitations (versus — de 40 % en France, Belgique, Pays-Bas, Irlande, Suisse, Italie, Pologne).
À part en Amérique latine, les producteurs peinent à recruter et fidéliser, et ne se sont pas suffisamment formés au management. Globalement, « il n’y a pas assez de bons employeurs ». Autrement dit : « le secteur agricole investit encore trop peu dans ce domaine », même si les choses changent selon les Irlandais qui voient de plus en plus d’agriculteurs suivre des formations et parce qu’une partie d’entre eux ont été salariés avant de s’installer, ce qui était moins fréquent avant.
Signalons que plus leur moyenne d’âge est élevée, plus il se crée un fossé générationnel avec leurs employés. Et plus les fermes sont grandes, mieux sont managés les salariés, qui peuvent plus aisément évoluer. Si la filière a du mal à embaucher, c’est parce que le métier de salarié en élevage est généralement dévalorisé, peu payé avec des conditions de travail plus ou moins pénibles en fonction des pays.
Embaucher des migrants
Dans certains, où le recours au salariat est répandu, les migrants pallient quelques fois le manque de bras car, plus que le coût inférieur, la motivation principale est bien de trouver des candidats, ces emplois rebutant la population locale. Ainsi, 42 % des éleveurs en ont embauché au cours des cinq dernières années au Royaume-Uni (mais le Brexit réduit de fait cette source de main-d’œuvre), 40 % dans le Wisconsin – 90 % sont sans papiers – et 18 % en Nouvelle-Zélande. Or leur situation, plus ou moins irrégulière, et rarement fixe, en fait des travailleurs peu pérennes.
Au Danemark en 2020, 36 % des ouvriers agricoles étaient étrangers, dont 57 % originaires d’Europe de l’Est et 25 % d’Ukraine. En France, en revanche, le recrutement d’étrangers est plus courant en arboriculture, maraîchage et viticulture.
L’Irlande fait figure d’exception
Seule exception à ce tableau plutôt sombre : l’Irlande. Le nombre de fermes laitières y est stable et de jeunes éleveurs remplacent ceux partant à la retraite. La production de lait est en effet très rentable, sans beaucoup d’autres alternatives qui le soient autant en zones rurales, et les revenus des producteurs excèdent nettement ceux des autres milieux socio-professionnels. Mais ceux-ci vieillissent, les structures s’agrandissent et le salariat progresse comme dans bien d’autres pays. Ce qui se passe ailleurs va-t-il bientôt se produire sur le territoire irlandais ?