Accéder au contenu principal
Prospective

Disparition, regain d’intérêt ou statu quo, quel avenir pour l’élevage demain ?


TNC le 21/11/2023 à 05:00
VacheAdobeStock

Les chambres d'agriculture ont présenté le 16 novembre une étude sur l'avenir de l'élevage en France. (© Thierry Ryo/Adobe Stock)

L’érosion continue des effectifs d’éleveurs attire désormais l’attention depuis quelques années, et soulève un certain nombre de questions sur l’attractivité du métier, l’approvisionnement en viande, la consommation de produits carnés, mais également les raisons d’un discrédit de l’élevage. Compilant ces différentes données, les chambres d’agriculture ont réalisé une étude prospective sur l’avenir de l’élevage en France, entre disparition progressive de l’élevage, souveraineté alimentaire et compromis avec la société civile.

Si la diminution du nombre d’éleveurs est amorcée depuis les années 1970, particulièrement en élevage bovin laitier où l’on est passé de 175 000 éleveurs en 1988 à 35 000 aujourd’hui, elle ne constitue un sujet d’inquiétude que depuis peu. Il faut dire que les répercussions économiques sont de plus en plus tangibles.

Un risque d’augmentation des importations

La première conséquence porte sur les volumes disponibles, explique Thierry Pouch, chef du service Études économiques et prospectives des chambres d’agriculture. L’institution a mis à jour début novembre une étude sur l’avenir de l’élevage en France, vue d’ensemble des évolutions du secteur. Depuis trois ans, la collecte laitière accuse une tendance baissière, et l’abattage de gros bovins mâles est en recul depuis une dizaine d’années. « Les producteurs transformateurs sont maintenant exposés à une menace de rationnement des volumes disponibles », indique l’économiste. Une situation qui conduirait à ouvrir davantage aux importations le marché européen et français afin de satisfaire la demande.

La baisse des volumes contribue également au redressement des prix depuis 2020-2021, malgré un tassement sur les dernières semaines.

Des perspectives mondiales bien orientées

Cette situation pèse par ailleurs dans les flux commerciaux, alors que la demande mondiale en viande est bien orientée. Si le solde français en volailles se dégrade depuis longtemps, cette situation est plus récente pour la viande bovine (tous segments confondus), la France souffrant davantage de la concurrence intra-communautaire, face aux Pays-Bas et à l’Allemagne.

Globalement, depuis 2016, on assiste à une mondialisation importante des flux commerciaux en viande bovine, avec « une prédominance absolue des pays du Mercosur », de l’Inde et de la zone Alena, explique Thierry Pouch. « L’UE à 27 semble s’effacer des radars du commerce mondial de viande », une situation qui doit être prise en compte dans la réflexion autour des accords de libre-échange, estime l’économiste.

Contraintes et astreintes d’un autre temps

« J’entends des éleveurs dire qu’ils ne veulent pas que leurs enfants prennent la suite », explique Sébastien Windsor, président des Chambres d’agriculture. Car si on trouve encore des gens motivés pour travailler beaucoup, « sept jours sur sept ce n’est plus acceptable aujourd’hui dans la société. Il faudra régler ce sujet des contraintes si l’on veut installer des jeunes », notamment des personnes non issues du milieu agricole, insiste-t-il.

« Et quand on refuse l’agrandissement des élevages, on se tire une balle dans le pied, car on ne trouvera personne pour s’occuper de 60 vaches tout seul, par contre 180 vaches à trois ça permet de libérer des week-end », ajoute-t-il. Or, l’élevage souffre d’une image discréditée dans la société, et la notion d’agrandissement n’est pas un argument en faveur du secteur.

Néanmoins, les sources de ce discrédit sont multiples, explique Marine Raffray, économiste aux Chambres d’agriculture. « Le regard que portent les Français sur la production agricole a profondément changé, notamment parce que l’on a atteint des niveaux d’autosuffisance qui ont dépassé les espérances au sortir de la guerre, banalisant l’acte de production agricole », indique-t-elle. En parallèle, l’urbanisation de la société, les crises sanitaires, les enjeux environnementaux et une sensibilité croissante au bien-être animal ont accentué les critiques vis-à-vis de l’élevage, et il est important que le secteur se pose ces questions pour assurer le renouvellement des générations, tout en mettant en avant les externalités positives de l’élevage.

Déclin, rupture ou compromis, quelles directions pour l’avenir ?

Car si rien ne change, le prolongement tendanciel des critiques et actes hostiles mènera progressivement à la disparition de l’élevage, c’est le premier scénario identifié par les Chambres d’agriculture. Attentes sociétales fortes, épizooties, forte baisse de la consommation en lait et viande, pression concurrentielle internationale élevée entraineraient une poursuite de la décapitalisation et une diminution accélérée des effectifs.

On peut, à l’inverse, imaginer un scénario de rupture, basé sur une prise de conscience des apports de l’élevage dans une perspective de souveraineté alimentaire. Un scénario alternatif qui nécessiterait une affirmation politique de cet objectif au niveau de l’UE, avec une exclusion de l’élevage du champ des accords de libre-échange, une meilleure prise en compte des aménités positives de l’élevage (rôle dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre par exemple), ou encore une importance réaffirmée de la protéine animale dans l’alimentation.

Entre ces deux options, le troisième scénario établi par les chambres d’agriculture fait le pari d’un compromis entre la société civile, les ONG et les éleveurs, qui passerait par une meilleure acceptabilité sociétale des élevages grâce à la mise en avant du local, des conditions environnementales renforcées, ou encore des soutiens publics régionaux.

Cette première étude doit servir de base à des travaux d’approfondissement sur plusieurs aspects : comparaisons internationales, impacts des accords de libre-échange, étude de la structuration des filières, ou encore approches territoriales de l’élevage.