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Pêche

De retour de Jersey, des pêcheurs normands racontent leur colère


AFP le 07/05/2021 à 09:12

« On n'est pas allé faire la guerre mais on s'est fait entendre ! » De retour à quai après leur journée d'action à Jersey, les pêcheurs du port normand de Carteret (Manche) racontaient leur colère contre les restrictions de pêche dans les eaux anglaises depuis le Brexit.

Sous la pluie et un ciel gris, vers 16 heures, les navires commencent à rentrer peu à peu dans ce port habituellement prisé des touristes. Sur un des navires, une banderole « En colère ». Le comité d’accueil, une vingtaine de personnes, dont le maire et la gendarmerie maritime, presse les marins de faire le récit de cette journée si particulière. « On a expliqué aux Anglais qu’on veut travailler, on veut pas se taper sur la gueule ! », lance un pêcheur, bonnet rouge vissé sur la tête. « C’est un comble d’être mené en bateau quand on est pêcheur », confie, amusée, une dame du village, sous son parapluie coloré.

Thomas, 21 ans, jeune pêcheur aux cheveux courts, rembobine le fil de la journée, qui a commencé dès 06h00 dans le port de Saint-Hélier, à Jersey. « C’était calme et pacifique. Trois personnes, un représentant les pêcheurs de Carteret, un de Granville et un des Bretons, ont pu rencontrer des autorités de Jersey mais, visiblement, il n’en est rien ressorti ». Lui est resté sur son petit bateau de pêche au milieu d’une flottille de quelque 70 embarcations, « où il y avait même des hauturiers venus de Cherbourg ». Mais « on n’a pas touché terre et on n’a pas pu aller boire une Guinness dans un pub », plaisante un collègue. « Il y avait même deux bateaux de la Royal Navy ! Ils ne se sont pas trop approchés. Sur le quai de Saint-Hélier, on voyait des habitants de l’île, des journalistes », raconte Thomas. Durant la journée, « un bateau de plaisance a essayé de nous provoquer… On ne voulait pas mettre le bordel, on voulait faire entendre notre mécontentement », relève-t-il.

« No good your boat ! »

Soudain, sur le quai, les regards se braquent sur un bateau blanc qui emprunte le chenal. Il s’agirait d’un bateau anglais venu débarquer sa pêche. La tension monte. Après une trentaine de minutes de palabres en franglais, « no good your boat! », le bateau repart finalement vers Jersey, l’autorité portuaire ayant refusé de laisser les deux marins débarquer leurs seiches. « Vouloir faire ça aujourd’hui, c’est une provocation », explique un pêcheur. Sur le quai, beaucoup sont attristés par cette situation. « On n’a jamais eu de problème avec les Anglais » jusqu’à l’application de ce « maudit Brexit » avec son cortège de problèmes de licences et de zones de pêche, explique Michel, 37 ans, qui fait partie des 22 bateaux de Carteret ayant participé à la manifestation d’une dizaine d’heures.

Gilles Muzard est un homme inquiet. Il est l’armateur d’un navire et construit actuellement un bateau valant 850 000 euros. « S’il n’y a pas d’accord et si on ne récupère pas les zones anglaises, on va crever », assène-t-il. Il montre du doigt les zones anglaises qui sont à seulement six kilomètres, soit 20 minutes de navigation, faisant de Carteret le port français le plus « proche » de l’Angleterre. « Tout allait très bien, les quotas, les jours de mer, tout le monde gagnait sa vie », mais « depuis que l’accord de la baie de Granville a été rendu caduc par le Brexit, tout a changé », soupire-t-il.

Interrogés sur de possibles nouvelles actions, les pêcheurs disent attendre beaucoup des discussions politiques après ce coup de semonce. « Mais si ça n’évolue pas bien, il y aura de nouvelles actions et ça pourrait tourner au vinaigre », promet, la mâchoire serrée, l’un des pêcheurs.