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[Lu dans la presse] Océanie

Comment la Chine manipule le cours mondial du lait


Élevages bovins lait et viande le 03/06/2016 à 07:25
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La situation laitière semble dramatique partout dans le monde, y compris en Nouvelle-Zélande ou en Australie. La faute à la stratégie offensive d’achat et de stockage de poudre de lait menée par la Chine qui lorgne désormais sur les fermes à racheter, selon un article paru dans “The Trumpet” dont voici la traduction de certains passages.

La crise laitière mondiale est-elle uniquement due aux excédents de production de l’Europe sans quotas ? Pas seulement, d’après le magazine américain The Trumpet, (journal of Philadelphy) : la guerre est aussi déclarée dans le Pacifique Sud, où la Chine aurait sciemment poussé à l’augmentation de la production mondiale pour ensuite profiter d’un prix du lait bas durant quelques années.

L’agriculture et les économies de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande sont attaquées par la Chine, qui met en œuvre des politiques agressives et trop souvent sous-estimées. Étant le plus grand partenaire commercial des deux pays, la Chine a un rôle crucial dans ces économies occidentales et a causé à maintes reprises des effets dévastateurs sur l’économie des pays de l’Océanie.

L’industrie laitière représente un quart des exportations de la Nouvelle-Zélande, ce qui en fait un secteur à très haut risque pour l’économie de la nation. Depuis 2014, les prix du lait ont chuté de 60 %, exposant les éleveurs laitiers à des dettes écrasantes suite à l’achat de foncier hors de prix. Variant avec le prix du lait, les prix des bonnes terres a chuté de 19 % entre décembre 2015 et février 2016. Une enquête menée par Federated Farmers montre que 11 % des producteurs laitiers de Nouvelle-Zélande sont déjà sous pression hypothécaire. La majorité des éleveurs sont contraints d’emprunter de l’argent à court terme pour poursuivre la production. Les banques de Nouvelle-Zélande ont déjà prêté 27 milliards de dollars aux agriculteurs du pays. Cela équivaut à 10 % de tous les prêts dans le pays. La dette est proche de 7000 $ par vache. Une dette massive qui affecte toute l’économie du pays et assombrit les prévisions de croissance. Si certains agriculteurs parviendront à tenir jusqu’à ce que les prix augmentent de nouveau, d’autres sont fortement encouragés par les banques à vendre rapidement leur ferme afin d’éviter la faillite.

Comment cet effondrement a-t-il pu se produire si soudainement dans une industrie en plein essor il y a encore quelques mois ? La réponse est à trouver du côté des investisseurs de la Nouvelle-Zélande, et notamment son premier client : la Chine. Ainsi en 2013, la Chine a acheté la quantité record de 622 000 tonnes de poudre de lait de Nouvelle-Zélande. Les prix s’envolent, notamment ceux des boîtes de lait pour bébés, vendues jusqu’à 50 $ de plus sur le marché chinois qu’en Océanie.

Désireux de satisfaire la soif de lait des parents chinois, de nombreux pays projetaient que la ruée vers l’or blanc continuerait ainsi encore un bon moment. Les agriculteurs et les gouvernements ont donc investi massivement dans l’industrie laitière, la Nouvelle-Zélande en tête, trouvant là un partenariat très lucratif.

The Trumpet Journal l’assure : durant des mois, la Chine aurait manipulé les prix mondiaux des produits de base. Les Chinois n’utilisaient pas la poudre de lait infantile, mais ont préféré la stocker. En effet, l’empire du Milieu ne cache pas son imposant programme quinquennal de stockage. Par exemple, le pays détient à lui seul la moitié du stock mondial de maïs ! Cela représente environ 109 Mt. Et les Chinois n’ont aucune intention de remettre ce stock sur le marché, car ces stocks sécurisent leur consommation pour nourrir un milliard d’habitants.

La Chine a ainsi créé une demande artificiellement élevée sur les produits laitiers, s’est constitué d’importants stocks, puis s’est soudainement retirée du marché. Pour la Nouvelle-Zélande, les résultats ont été désastreux. Le prix du lait était à 5,87 $/kg il y a deux ans. Il est tombé à 2,73 $/kg. Pékin avait déjà tiré les mêmes ficelles sur l’industrie minière de l’Australie en 2013.

Callum Wood, le journaliste américain auteur de cet article va même plus loin. Selon lui la Chine a aussi prévu le coup d’après : racheter des fermes néo-zélandaises pour une bouchée de pain ! Car il est très probable que la crise laitière apporte dans les mois à venir son lot d’opportunités d’achat de fermes et d’usines de transformation laitière en Océanie (ainsi qu’en Europe !)

Les banques, avides de récupérer leurs fonds, pourraient alors faire pression sur les agriculteurs pour leur faire vendre leurs fermes. Le gouvernement et la « Overseas Investment Commission » faciliteraient alors les achats de foncier pour éviter la faillite de ce secteur économique majeur.

La Chine joue avec plusieurs coups d’avance en s’imposant des prix élevés en 2014-2015 pour pouvoir faire un tir groupé sur les fermes kiwis bon marché en 2016-2017. Cette inflation artificielle de la Chine était une attaque à peine voilée et de nombreux acteurs économiques la redoutaient. Les effets économiques ont été catastrophiques. L’industrie laitière de la Nouvelle-Zélande accuse aujourd’hui une dette de 28 milliards de dollars, ce qui équivaut à 20 % de son produit intérieur brut.

Sur l’autre rive de la mer de Tasman, l’Australie ne se porte pas mieux. Tasmania’s Van Diemen Land Company, la plus grande ferme laitière de l’Australie, a été vendue cette année à la société chinoise Moon Lake. La vente, pour un montant de 220 millions de dollars, comprenait 25 fermes laitières sur 17 000 hectares de terres. Pour l’homme politique tasmanien Andrew Wilkie, « la vente de ces terres à Moon Lake se traduira par du lait liquide ou en poudre directement expédié en vrac au large de nos côtes. Les Chinois ne veulent plus seulement acheter le produit « lait », ils veulent désormais nos vaches et l’herbe qu’elles broutent. La Nouvelle-Zélande se dirige dans la même direction ».

Une autre grande vente est à l’œuvre en ce moment : celle de la S. Kidman & Co. Cattle empire, le plus grand propriétaire privé d’Australie. Une entreprise de plus de 200 000 bovins, couvrant trois états sur un territoire de 39 000 miles carrés soit à peu près la taille du Kentucky ou de l’Islande. Pengxin Company, appartenant à des Chinois de Shanghai, a offert 270 M$ pour acheter les propriétés Kidman.

Ces exemples ne sont que la partie visible de l’iceberg. Les plus petites acquisitions sont nombreuses à travers le monde. La Chine a acheté 50 fermes à Victoria en 2014. Elle a également acquis la plus grande ferme de coton de l’Australie en 2013. Au cours des cinq dernières années, un certain nombre de grands domaines viticoles et des exploitations de cannes à sucre sont passés sous le joug chinois.

Maintes et maintes fois, les politiciens et les législateurs ont approuvé de telles transactions. Les nombreux partisans de ces accords font valoir qu’ils favorisent le développement et l’investissement, notamment en termes d’infrastructures.

Car la Chine souhaite investir davantage dans le réseau ferroviaire et routier de l’Australie afin de transporter les marchandises vers les ports pour embarquer vers Shanghai ou Canton. Avec sa politique offensive, la Chine redistribue les cartes de l’économie mondiale en achetant des ports, des routes, des voies ferrées sur tous les continents. Les sociétés d’investissement chinoises travaillent main dans la main avec le Parti communiste chinois, et partagent les mêmes objectifs : assurer la souveraineté alimentaire du pays en bon stratège financier, c’est-à-dire en ne mettant pas tous leurs œufs dans le même panier. Napoléon Bonaparte l’avait prédit il y a exactement deux siècles : « Laissez donc la Chine dormir, car lorsque la Chine s’éveillera, le monde entier tremblera. »