Avec son élevage de chèvres, à la conquête d’une plus belle vie
AFP le 05/02/2024 à 08:05
Traire deux fois par jour, nourrir, nettoyer, soigner... Les proches de Nadège Boulanger l'ont pensée « complètement folle » quand elle a voulu élever des chèvres. Mais son secteur va tout de même « mieux que les autres ».
Dans une ferme d’Ille-et-Vilaine, des dizaines de chèvres se pressent derrière la barrière fermant l’accès à une salle de traite neuve. La barrière se lève. Les chèvres se précipitent et se placent en marche avant, la tête dans une mangeoire, les pis gonflés prêts à être « branchés » aux trayeuses automatiques.
Seule aux commandes, l’éleveuse branche, supervise, fait sortir la première salve de productrices laitières et entrer les suivantes. Puis elle ira s’occuper des chevreaux qui viennent de naître, humides et tremblotants sur leurs pattes fines.
Même si elle partage certaines revendications des agriculteurs qui ont manifesté en France – elle dénonce « des normes, des contrôles toujours plus poussés » -, cette éleveuse de 33 ans n’a pas pu s’éloigner de sa ferme pour le faire savoir.
C’est la période des mises bas, son pic de travail annuel, avec des dizaines de petits qui naissent certains jours. Les chevreaux – indispensables pour déclencher la production de lait – restent quelques heures avec leur mère avant d’être placés sous une lampe chauffante et nourris au biberon. La majorité quitteront rapidement la ferme pour être engraissés ailleurs.
Les autres, surtout des femelles, serviront à renouveler le cheptel de 200 têtes (en comptant les chèvres laitières, les chevrettes qui n’ont pas encore eu de petit et une poignée de boucs).
« Revenir à l’essentiel »
Nikita passe sa patte au-dessus d’un barreau de l’enclos, comme pour demander de s’approcher d’elle. « C’est ça que j’aime, quand j’entre dans le bâtiment et qu’elles viennent chercher des caresses. Je ne me serais pas installée dans une autre production », observe Nadège Boulanger.
La trentenaire avait beau vivre dans la campagne bretonne, détenir une chèvre et un bouc pour entretenir le terrain familial, son entrée en agriculture n’allait pas de soi. Elle s’occupait de planification pour une société de sécurité privée, « dans un bureau au chaud, du lundi au vendredi, 08h00-17h00 ».
« J’ai eu comme un burn-out, je me suis dit qu’il fallait revenir à l’essentiel, à ce que j’aimais : la nature, être dehors, les animaux. » « Mais t’es complètement folle ! » lui rétorquent alors des proches. Mais son mari et ses enfants (9 et 11 ans aujourd’hui) donnent leur accord pour ce « changement de vie total ». Son époux, qui l’aide dès qu’il peut, garde son emploi de menuisier.
« Je n’avais pas envie qu’on mette notre famille en danger financièrement comme on ne sait pas de quoi demain sera fait », explique l’éleveuse. Elle est devenue officiellement agricultrice en 2021, à l’issue de près de quatre années pour peaufiner son projet, se former, travailler dans une chèvrerie puis une entreprise contrôlant la qualité du lait.
Elle a emprunté 400 000 euros pour reprendre et adapter aux chèvres une ferme dédiée au lait de vache et à l’engraissement de porcs – productions reines en Bretagne, avec les volailles.
Prix « correct »
Outre la traite, elle doit pailler les enclos, distribuer la nourriture à la main deux fois par jour. « Si demain, j’investis ce sera pour automatiser l’alimentation. » Le lait est collecté par une entreprise locale. L’éleveuse s’étonne encore de ne pouvoir en fixer le prix, décidé par la laiterie. Il est heureusement « correct » pour le moment : elle peut rembourser ses dettes et se verser 1 500 euros par mois.
Singularité du lait de chèvre, dont la France est le premier producteur européen : le nombre d’éleveurs et d’animaux reste stable, quand les secteurs bovins et porcins reculent.
Même si les revenus des éleveurs de chèvres et de brebis sont en bas de l’échelle agricole, ces productions attirent des jeunes, non issus du milieu agricole, en particulier quand il s’agit de transformer le lait en fromage à la ferme.
Échaudée par une crise de surproduction une dizaine d’années plus tôt, la filière « n’installe pas plus de jeunes qu’il n’en faut » et « se tient plutôt bien », rapporte Sophie Espinosa, directrice de la Fédération nationale des éleveurs de chèvres, association spécialisée de la FNSEA.
« On reste discret dans cette dynamique positive », ajoute-t-elle, soucieuse d’éviter des installations qui vont « au casse-pipe ». « On ne va pas dire que tout est beau, tout est rose », insiste Nadège Boulanger. Au moins, « c’est un secteur qui va mieux que les autres ».