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Étude

Évaluer la transmissibilité des élevages bovins viande


TNC le 11/06/2024 à 04:55
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Puisque « l'ampleur des capitaux mobilisés » affecte « la transmissibilité des exploitations allaitantes, il convient donc de ne pas surestimer la rentabilité de l'activité », conseillent les auteurs de cette analyse. (© Adobe Stock)

En viande bovine comme en lait, l’actif important fait grimper le coût des reprises et réduit la rentabilité des capitaux. Mais entre les élevages spécialisés et les systèmes de polyculture-élevage, les écarts peuvent s’avérer conséquents. Quels éléments font la différence et permettent d’apprécier la transmissibilité d’une ferme ?

EBE et viabilité des exploitations

C’est l’un des quatre critères à regarder selon une analyse idele/chambre d’agriculture menée à partir de la base de données Diapason mobilisée dans le cadre du dispositif Inosys-Réseaux d’élevage, sur un échantillon de 1 477 fermes entre 2014 et 2021 (suivie chacune au moins six ans sur cette période) : 1 161 spécialisées en bovins viande et 316 en système polyculture-élevage.

« L’excédent brut d’exploitation (EBE), avant rémunération des associés, est un solde intermédiaire de gestion qui reflète l’efficacité économique d’une exploitation », rappelle l’étude.

  • EBE/UMO exploitante : 90 000 € en polyculture-élevage
    / 50 000 € en bovins viande en 2021
(© idele/chambre d’agriculture – Théma Inosys-Réseaux d’élevage)

Il s’accroît de 36,5 % entre 2014 et 2021, à 90 000 €, alors qu’il stagne autour de 50 000 € dans les fermes spécialisées. L’écart entre les deux systèmes passe de 10 000 € en 2014 à 40 000 € en 2021 ! Ceci en raison de « l’envolée du prix des grains ».

  • Part d’exploitations avec un revenu disponible > à 2 Smic nets/UMO exploitante :
    87 % en polyculture-élevage/48 % en bovins viande en 2021
(© idele/chambre d'agriculture – Théma Inosys-Réseaux d'élevage)

Et globalement, cette proportion augmente au fil du temps en polyculture-élevage, de 44 à 87 % en huit ans. Dans les ateliers spécialisés, elle est plus fluctuante, entre 30 et 45 % selon les années. Les différences entre les deux types d’exploitation varient, elles, de 5 à 50 % et l’écart progresse nettement depuis 2019 (33 à 50 %).

Pour rappel : le revenu disponible correspond à l’EBE après déduction des annuités et frais financiers. « Cet indicateur reflète le résultat économique au regard de la stratégie d’investissement et de financement », complètent les auteurs de ce travail. Actuellement, « moins de 40 % des éleveurs spécialisés parviennent à dégager 2 Smic nets par UMOex ».

« Un résultat peu encourageant alors que les structures suivies dans le cadre d’Inosys sont plus performantes que la moyenne nationale », alertent-ils. Notons que « des arbitrages entre rémunération et trésorerie » sont possibles.

  • Marge de sécurité/UMO ex : 27 000 € en polyculture-élevage
    / – 2 500 € pour en bovins viande en 2021
(© idele/chambre d'agriculture – Théma Inosys-Réseaux d'élevage)

On appelle marge de sécurité le résultat disponible restant au-delà de 2 Smic nets/UMOex. Elle permet « de faire face aux imprévus et d’investir ». Proche au début de la période, et un peu plus importante pour les fermes orientées bovins viande que pour celles en polyculture-élevage (de mi-2025 à mi-2016), elle est relativement stable pour les premières (variation entre 0 et — 5 000 €) mais négative.

Elle fluctue de — 8 000 à + 27 000 € pour les secondes, avec une nette augmentation sur sept ans. Seules les entreprises de polyculture-élevage réussissent donc à avoir une marge de sécurité. Là encore, l’écart se creuse entre les deux modèles au fur et à mesure pour atteindre 30 000 €.

Capitalisation et coût des reprises

  • Actif immobilisé par hectare de SAU : + 600 € en moyenne en bovins viande
(© idele/chambre d'agriculture – Théma Inosys-Réseaux d'élevage)

Il est relativement constant en bovins viande comme en polyculture-élevage, mais supérieur de 500 à près de 1 000 € en fonction des années pour les structures spécialisées. En valeur brute, sans tenir compte de la surface (une cinquantaine d’hectares de plus généralement pour les fermes en polyculture-élevage), et de son effet dilution, le capital est cependant plus élevé en polyculture-élevage : 740 000 €, soit + 100 000 €.

  • Poids des différents postes dans l’actif total sur la moyenne 2014-2021 : presque 50 % pour le cheptel en bovins viande
(© idele/chambre d'agriculture – Théma Inosys-Réseaux d'élevage)

Dans les deux cas, l’ordre est identique : le cheptel est le plus gourmand en actif, puis viennent le foncier/les parts sociales/les réalisables (créances, acomptes, TVA à recevoir), le matériel/les équipements et enfin les bâtiments. En bovins viande, le poids du cheptel et des bâtiments est plus conséquent qu’en polyculture-élevage : de + 13 et + 4 % respectivement. Celui du foncier/parts sociales/réalisables et des matériels/équipements l’est moins : de — 13 et — 4 % également.

« La composante cheptel, moins sujette au risque de dévalorisation, est passée de 267 500 € en 2014 à 284 300 € en 2021 (+ 6 %). » Mais le troupeau a pris trois fois moins de valeur sur la période qu’en polyculture-élevage : passage de 203 300 à 248 000 € (+ 18 %). La valeur d’inventaire affiche une certaine constance, autour de 1 700 €/UGB ; l’effectif moyen, une progression de 6 %, contre 8,4 % dans les troupeaux en polyculture-élevage.

Ces deux paramètres illustrent bien l’intensité capitalistique de l’activité bovins viande. Mis en parallèle avec des « résultats économiques insuffisants » (cf. partie précédente), cela « pénalise le retour sur investissement lors d’une reprise d’exploitation », pointe l’étude. Alors pour limiter l’endettement, les prélèvements privés sont souvent rabotés.

Dans les années qui viennent, « l’actif augmenterait sensiblement » dans les deux modèles en raison « de la revalorisation du cheptel bovin et de l’évolution des prix du matériel neuf, pronostique-t-elle. La valeur d’inventaire devrait dépasser 2 000 €/UGB. »

Capitalisation et rentabilité

  • Actif (hors foncier et réalisables) par UMOex et sur l’EBE en polyculture-élevage : 500 000 € en 2021
(© idele/chambre d'agriculture – Théma Inosys-Réseaux d'élevage)

L’actif (hors foncier et réalisable) par UMO exploitante s’accroît fortement de 410 000 € en 2014 à 500 000 € en 2021 (+ 18 %). « Cette hausse du capital s’explique par celles des postes cheptel (+ 18 %), matériels/équipements (+ 19 %) et bâtiments (+ 14 %). »

L’actif (hors foncier et réalisable) sur l’EBE est plus variable mais tend à diminuer sur les huit ans étudiés. « En 2021, il faut 5,76 € d’actif pour dégager 1 € d’EBE, contre 8 € en 2014. Une donnée orientée à la baisse grâce à l’amélioration de l’EBE. » Un signal positif en matière de transmission d’exploitation puisque « l’EBE finance la reprise du capital ».

  • Actif (hors foncier et réalisables) par UMOex et sur l’EBE en bovins viande : 370 000 € en 2021
(© idele/chambre d'agriculture – Théma Inosys-Réseaux d'élevage)

L’actif (hors foncier et réalisable) par UMO exploitante monte moins vite : de 345 000 à 370 500 € (+ 6,5 %). Le différentiel de 130 000 € comparé au modèle polyculture-élevage s’explique par la présence d’un parc matériel plus développé pour l’atelier végétal. « La hausse du capital est portée par les composantes cheptel (+ 6 %) et matériel/installations (+ 11,2 %) », indiquent l’idele et les chambres d’agriculture.

L’actif (hors foncier et réalisable) sur l’EBE montre une certaine stabilité, malgré une légère élévation entre 2017 et 2020 pour redescendre, ensuite, au même niveau qu’auparavant. « En 2021, il faut 7,72 € d’actif pour dégager 1 € d’EBE. Cette donnée s’avère donc moins favorable pour les fermes spécialisées. »

« Dans les deux systèmes, la croissance de l’actif par UMOex marque le pas par rapport aux décennies précédentes. L’agrandissement des structures est moins dynamique. »

  • Capitaux propres en polyculture-élevage : une politique d’investissement
(© idele/chambre d'agriculture – Théma Inosys-Réseaux d'élevage)

Les capitaux propres par UMOex oscillent entre 260 000 et 340 000 €, évoluant plutôt en hausse sur la période. Même chose pour les dettes moyen et long terme par UMOex, avec une première période d’augmentation (de 100 000 € en 2014 à près de 200 000 € en 2017), une baisse ensuite de 50 000 € environ l’année suivante, et une nouvelle progression de 2018 à 2021 (de 140 000 à 185 000 €).

Les dettes MLT/UMOex, « qui approchent les 152 000 € sur les huit ans étudiés, peut refléter une politique d’investissement active, encouragée par une marge de sécurité substantielle et la gestion fiscale ». Trois phases également pour les capitaux propres sur l’actif total : une diminution de 58 à 52 % de 2014 à 2017, une progression de 52 à 60 % en 2018 et un nouveau recul à 56 % en 2021.

  • Capitaux propres en bovins viande : le capital leur appartient davantage
(© idele/chambre d'agriculture – Théma Inosys-Réseaux d'élevage)

Les capitaux propres par UMOex sont un peu plus stables et légèrement inférieurs dans les élevages spécialisés, autour de 275 000 à 300 000 €. Cette variable est similaire dans les deux types d’exploitations alors que « l’actif hors foncier et réalisables par UMOex varie lui sensiblement » et est supérieur de 130 000 € en polyculture-élevage. Grande stabilité observée pour la dette moyen et long terme par UMOex, autour de 100 000 €. « Le capital appartient davantage aux éleveurs spécialisés. » De même que pour les capitaux propres sur l’actif total, entre 64 et 67 %.

Endettement

(© idele/chambre d'agriculture – Théma Inosys-Réseaux d'élevage)

Semblable jusqu’en 2017, autour de 15 %, le différentiel s’amplifie par la suite, atteignant son maximum en 2019 et 2021 : 2 %, à la défaveur des bovins viande.

  • Poids des annuités des emprunts moyen et long terme sur l’EBE (en %) : plus stables en bovins viande (50 %)
(© idele/chambre d'agriculture – Théma Inosys-Réseaux d'élevage)

Davantage de fluctuations sur ce facteur en polyculture-élevage, qui recule notablement sur la période de 70 à 40 %. En bovins viande, il demeure dans les alentours de 50 %.

Si la dette moyen et long terme ramenée à l’UMOex est moindre chez ces éleveurs, les annuités des emprunts MT et LT « consomment plus de 14 % du produit brut généré en 2021. Or, ces investissements sont nécessaires au bon fonctionnement de la structure. » Ces annuités, rapportées à l’EBE, en régression dans les deux cas et en particulier en polyculture-élevage, traduisent « un assainissement de la situation lié à la revalorisation des produits animaux et végétaux ».

  • Évolution de la dette court terme (en base 100 sur l’année 2014)
(© idele/chambre d’agriculture – Théma Inosys-Réseaux d’élevage)

La dette court terme, en valeur brute, est égale à 125 000 € en polyculture-élevage en moyenne sur la période et à 62 000 € chez les éleveurs spécialisés. « Contractée en dernier recours ou par opportunité lorsque les taux sont attractifs, elle s’est accrue jusqu’en 2016 ou 2017-2018 selon le système, avant de repartir à la baisse. »

Bénéfiques « aux conditions de travail », grâce à la « modernisation de l’outil de production », et pouvant « présenter un intérêt fiscalement », les investissements ne constituent « pas une charge » en tant que tel. « Mais les amortissements amputent la valeur et les résultats de l’entreprise ». « Ils augmentent les capitaux et pénalisent la transmissibilité d’une exploitation ».

  • Taux d’endettement

Autour de 40 % en polyculture-élevage :

(© idele/chambre d'agriculture – Théma Inosys-Réseaux d'élevage)

– Autour de 35 % en bovins viande :

(© idele/chambre d’agriculture – Théma Inosys-Réseaux d’élevage)

« Le taux d’endettement est un indicateur de synthèse, qui évalue le poids de la dette par rapport aux capitaux propres investis pour assurer le financement et conforter la trésorerie d’une exploitation. Il ne dépend pas directement de la surface ou du nombre d’UMO exploitantes », précise l’étude. En polyculture-élevage, il varie de 45 %, mis à part deux creux à 35-40 % en 2014 et 2018. Et excède 60 % pour plus de 20 % des fermes (pour 20 % également, il est en deçà de 30 %).

En bovins viande, il est plus faible et en baisse, autour de 32-35 % sur les quatre dernières années étudiées. Moins de 10 % des structures sont au-delà de 60 % et, selon les années, entre le tiers et la moitié en dessous de 30 %. « Elles sont en effet moins gourmandes en matériel et disposent de moins de latitude pour emprunter. » À noter : en général, « celles du réseau Inosys sont en rythme de croisière ».

En conclusion, « l’ampleur des capitaux mobilisés » affecte « la transmissibilité des exploitations allaitantes ». « Il convient donc de ne pas surestimer la rentabilité de l’activité », conseillent les auteurs de cette analyse. Il n’y a « pas ou peu de dévalorisation du capital dès lors que le cheptel occupe une part importante du capital ». En polyculture-élevage, la reprise est néanmoins « plus vite rentabilisée ».

« Le niveau de capital nécessaire pour s’installer en bovins viande contraint souvent les nouveaux installés à modérer leurs exigences de revenu disponible, sauf à réaliser un endettement à très long terme », appuie Jean-Christophe Vidal, conseiller études & références à la chambre d’agriculture de l’Aveyron. Ce qui s’avère « plus difficile dans une période de hausse des taux ».

Synthèse des chiffres-clés

Bovins viande spécialisé

Polyculture-élevage

Efficacité économique
EBE avant rémunération des associés

Revenu disponible

Fermes où revenu disponible > 2 Smic

​​Marge de sécurité

69 600 €/UMOex

36 400 €/UMOex

57 %

6 700 €/UMOex

49 100 €/UMOex

26 300 €/UMOex

37 %

– 3 400 €/UMOex

Capitalisation

Actif total

Part cheptel dans l’actif total

Part capitaux propres dans l’actif total

Actif hors foncier et réalisables

Actif hors foncier à mobiliser pour dégager 1 € d’EBE

3 800 €/ha

31 %

55 %

444 500 €/UMOex

7,23 €

4 500 €/ha

45 %

66 %

357 500 €/UMOex

7,26 €

Endettement

Taux d’endettement

Dettes long et moyen terme

Poids de la dette court terme dans les dettes totales

45 %

142 000 €/UMOex

39 %

34 %

106 000 €/UMOex

31 %

Source : idele/chambre d’agriculture — Théma Inosys-Réseaux d’élevage