Après la loi Duplomb, l’agrandissement des élevages en pratique


AFP le 18/09/2025 à 10:15

« Ça change tout » : Frédéric Chartier va pouvoir doubler son élevage de poules pondeuses sans « prendre le risque de perdre 35 000 euros pour une procédure d'autorisation environnementale », la loi dite Duplomb prévoyant le rehaussement des seuils à partir desquels un éleveur doit s'y soumettre.

Face à la baisse de la demande, cet éleveur des Côtes-d’Armor a décidé de « déconvertir » ses 24 000 poules pondeuses bio, une taille d’élevage pour laquelle il n’avait eu à effectuer qu’une simple déclaration auprès de la préfecture en tant qu’installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE).

Dans le même bâtiment, il peut installer 36 000 poules plein air non bio. Mais, au-delà de 30 000 pondeuses, il bascule dans la procédure d’enregistrement, plus lourde et plus coûteuse : 8 000 euros pour qu’un bureau d’études indépendant effectue une étude d’impact environnemental.

Après publication du projet dans les journaux locaux, une enquête publique d’un mois au cours de laquelle les riverains de sa commune pourront exprimer leur avis va s’ouvrir prochainement. Le dossier a été soumis en juin, il espère faire rentrer ses nouvelles poules en décembre.

Mais, à 45 ans, cet éleveur aussi président du groupement Armor Œufs voudrait s’agrandir encore plus.

La surface de son exploitation étant limitée, il a décidé de construire l’année prochaine un deuxième bâtiment sur le parcours actuel des poules. Ses futures pondeuses n’auront plus d’accès à l’extérieur.

Mille pages

Dans un premier temps, il a envisagé de monter à 96 000 poules ce qui l’aurait fait basculer dans le régime de l’autorisation environnementale : « tant qu’à dépasser les seuils, à y passer trois ans, à se battre contre des associations qui ne sont même pas du coin et à dépenser 35 000 euros pour le dossier, autant y aller ».

Le dossier, qui peut dépasser mille pages, « détaille tout ce qu’on fait sur l’exploitation » : les camions venant chercher les œufs, les emplacements des gouttières, la direction des vents dominants, le bruit des aliments versés dans le silo, l’impact sur les cours d’eau, la faune et la flore…

Dans les allées du Salon international de l’élevage à Rennes, Cyrille Martineau, directeur associé de Synergis Environnement, évoque un « sandwich réglementaire » qui diffère en fonction de la localisation de l’exploitation (littoral, zone Natura 2000…).

Son bureau d’étude a conduit 800 dossiers ICPE agricoles et ses experts réalisent chaque année un inventaire complet des impacts environnementaux pour une dizaine de dossiers « autorisation ».

L’étude peut prendre jusqu’à un an quand il faut inventorier la faune et la flore sur les quatre saisons, mais les agriculteurs sont « très coopératifs », affirme-t-il.

Pour les opposants à l’élevage intensif, c’est le minimum, vu l’impact que les rejets d’élevages peuvent avoir sur l’environnement. Ils affirment qu’il est normal que les plus gros élevages, une minorité en France, soient contraints par des normes environnementales qui pèsent beaucoup moins sur les petits paysans.

« Même avec 100 000 poules, on serait loin de ce qui se fait en Ukraine », en Chine, aux États-Unis ou au Brésil, où les élevages dépassent « souvent » le million d’animaux, répond Frédéric Chartier.

Eviter « la guerre »

La loi Duplomb l’a toutefois fait changer d’avis : le seuil pour l’autorisation doit passer de 40 000 à 60 000 poules à partir de mi-2026. A cette occasion, les seuils seront aussi relevés pour les élevages de poulets et de porcs, en accord avec la révision de la directive européenne qui encadre le régime ICPE.

« Parfois, il vaut mieux produire un peu moins et ne pas enclencher de guerre », reconnaît Frédéric Chartier.

Il attend toutefois la publication du décret d’application de la loi. La version actuellement en consultation l’inquiète. Elle lui est favorable pour l’autorisation mais elle ajoute « un poids » pour d’autres en abaissant les seuils d’enregistrement, conformément à la réforme de la directive européenne.

Les éleveurs devront ainsi se soumettre à la procédure intermédiaire à partir de 21 700 poules et non 30 000. Les seuils évoluent régulièrement, rappelle Cyrille Martineau.

Cela n’a pas empêché la tendance générale à l’agrandissement des élevages face au manque de renouvellement des générations. Il a vu de nombreux éleveurs, comme Frédéric Chartier, rester un temps à la limite de l’autorisation. Mais « quand les affaires marchent bien », ils finissent par passer le seuil ou créer une deuxième exploitation.

« Le nerf de la guerre, c’est l’argent que la banque acceptera de leur prêter », pas uniquement les seuils.