Abattoirs : la filière viande s’organise autour de quelques géants


TNC le 04/06/2025 à 10:55
Carcassesbovins

La concentration permet de moderniser les chaînes d'abattage, tout en ayant l'inconvénient de restreindre le nombre d'abattoirs de proximité. (© mehmet/AdobeStock)

La Commission des affaires économiques a présenté un rapport d'information sur l'état des abattoirs français. Porté par deux députés, il fait état d'une concetration de plus en plus importante, au détriment des structures de proximité.

Dans un rapport d’information, deux députés se sont penchés sur la crise des abattoirs. Avec un contexte économique difficile et une tendance de fond à la décapitalisation, le maillage territorial d’abattoirs français est de plus en plus vulnérable. « La réduction progressive du cheptel affaiblit la viabilité économique des abattoirs, déjà soumis à des pressions croissantes » résument Thierry Benoît, député Horizons, et Christophe Barthès, député Rassemblement national.

Une fermeture d’abattoir par mois depuis 2023

En 1980, l’Hexagone comptait 767 abattoirs. Ils sont trois fois moins nombtreux aujourd’hui. La baisse du nombre de lieux d’abattage est tendancielle, et s’explique à la fois par une baisse du cheptel : la population de vaches allaitantes affiche une baisse annuelle d’environ 69 000 têtes depuis 2019, mais également du fait de problématiques économiques. « Les exemples d’abattoirs en difficulté, publics comme privés, se multiplient » constatent les rapporteurs, avec pour exemple, l’abattoir de Limoges, qui a dû arrêter son activité porcine. « La rénovation des chaînes d’abattages aurait nécessité un investissement compris entre 200 000 € et 500 000 €, jugé trop lourd pour une structure déjà fragilisée ».

Ainsi, les fermetutes d’abattoirs se poursuivent, avec le rythme de croisière « d’une fermeture d’abattoir par mois » depuis 2023.

Une dynamique de concentration

Mais au-delà du maillage territorial se pose la question de l’intégration des filières. En quelques décennies, la France est passé d’un réseau d’abattoirs municipaux, à un réseau d’abattoirs privés qui concentrent aujourd’hui 90 % des tonnages. « Cette dynamique de concentration est la traduction de l’activité de grands groupes industriels qui rachètent des outils d’abattage et procèdent à des transfert d’activité d’un site à un autre lorsque nécessaire ».

Le groupe Bigard détient 30 abattoirs en France, en son nom propre ou via ses filiales comme Socopa, Charal, Gallais viande… En plus de Bigard, quatre autres acteurs centralisent une bonne partie des volumes, avec la Cooperl, Intermarché (via Jean Rozé ou Saviel), Leclerc (Kermené) et Terrena (Elivia).

Ces groupes industriels fondent leur activité sur une forte intégration verticale

« Ces groupes industriels fondent leur activité sur une forte intégration verticale de leur production et s’organisent afin de saturer leurs outils par une restructuration des sites, au bénéfice des unités les plus productives ». À la place des abattoirs multi-espèces départementaux apparaîssent des structures mono-espèces modernes, plus adapatées aux gabarits des animaux, mais également de taille plus importante permettant l’optimisation des infrastructures. 

Les rapporteurs prennent ainsi l’exemple des sites d’Evron en Mayenne et de Maen-Roch en Ille-et-Vilaine, détenus par des filiales du groupe Bigard. « Le site d’Evron, qui emploie 930 employés, fait figure de vitrine du groupe Bigard : il est désormais équipé de robots qui effectuent plusieurs tâches sur la ligne d’abattage, comme la découpe des carcasses. Cette modernisation permet de recentrer les opérateurs sur des tâches exigeant davantage de dextérité, en particulier sur la chaîne de transformation ».

Les indépendants peinent à répercuter leurs coûts

Si ces rapprochements permettent de moderniser les outils, ils traduisent également une vision assez intégratrice des filières. Car les structures indépendantes doivent réussir à répercuter leurs coûts de production, là où les abattoirs des groupes comme Leclerc ou Intermarché sont directement associés aux distributeurs. « Les industriels peuvent rencontrer des difficultés à faire accepter ces ajustements tarifaires par les distributeurs, qui cherchent au contraire à maintenir des prix les plus bas possibles pour les consommateurs ».

Des abattoirs de proximité peu rentables

Dans le même temps, difficile de trouver de la rentabilité dans les abattoirs de proximité. Dans un rapport de 2020, la Cour des comptes rappelait que les 80 abattoirs municipaux alors en place ne représentaient que 7 % des volumes abattus. L’occasion pour la Cour d’interroger sur la pertinence du maintien de ce service public « peu rentable ».

Pourtant, les rapporteurs rappellent l’importance des abattoirs de proximité pour le maillage économique local, pour la production en vente directe, ou la valorisation de productions spécifiques. « Moins standardisés dans leurs méthodes d’abattage, ils permettent plus de souplesse et l’abattage d’animaux dits « hors gabarit », c’est-à-dire des animaux de taille atypique par rapport aux standards de l’espèce ».

Un marché moins concurrentiel ?

D’autant que la domination de quelques industriels sur le marché de l’abattage interroge. « La concentration des abattoirs réduit la concurrence et limite les débouchés pour les éleveurs, qui se retrouvent souvent dépendants d’un petit nombre d’acheteurs » estiment les rapporteurs. Une concentration à la fois inéluctable, du fait de la nécessité de moderniser l’outil français, et en même temps dommageable pour la diversité des circuits de valorisations de la viande.

Le rapport rappelle toutefois le plan de modernisation des abattoirs, lancé par Julien Denormandie en 2021, poursuivi par Marc Fesneau qui vise au maintien et à la mise au goût du jour des structures de proximité. Preuve en est que l’Etat cherche à tout de même à maintenir l’ancrage des activités d’abattage dans les territoires. 

21 recommandations pour la filière

Attractivité du métier de bouvier, valorisation des coproduits, contrôle des aides publiques… Les députés ont formulé pas moins de 21 recommandations pour répondre à ces problématiques.

Parmi elles figurent le développement de contrats tripartites, avec pour modèle les démarches engagées par Lidl. « Pour l’industriel qui effectue l’abattage et la transformation, ces contrats garantissent un certain volume de matière première, ce qui lui permet de mieux planifier son activité, d’éviter les surcapacités ou les ruptures, et d’optimiser la chaîne de production ».

Contractualisation, soutien direct aux éleveurs pour limiter la baisse des cheptels, incitation à l’engraissement : les rapporteurs ont également insisté sur la nécessité de sécuriser l’approvisionnement en viande pour contenir la baisse des établissements d’abattage. Car dans un contexte de déprise de l’élevage, le maintien en l’état de toutes les structures actuelles pose question.