« Pour bien communiquer, il faut que l’on s’attache à vous »


TNC le 19/06/2025 à 11:48
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Selon Gwenaëlle Desrumaux, les éleveurs ont tout intérêt à travailler leur communication autour du lien affectif qu'ils peuvent créer avec leurs concitoyens. (© Compte X de Gwenaëlle Desrumaux, @GwenDsrmx)

« Les gens vous suivront s’ils vous aiment bien et connaissent votre histoire ». La transparence est aussi essentielle mais attention à « ne donner trop de bâtons pour se faire battre ». Il faut donc maîtriser les propos et images que vous publiez. Gwenaëlle Desrumaux, qui élève des vaches laitières dans l’Oise, et Franck Caffin, éleveur de la Somme, donnent des conseils aux agriculteurs pour une communication efficace sur les réseaux sociaux.

« En me diversifiant, j’ai pris conscience que les gens achètent nos produits parce qu’ils sont bons, mais surtout parce qu’ils vous aiment bien. » À son installation en 2021, sur la ferme familiale dans l’Oise, Gwenaëlle Desrumaux a décidé de transformer un peu de sa production laitière en cosmétiques à base de lait de vache, en vente directe. C’est cet atelier qui l’a amenée à communiquer sur les réseaux sociaux. « Cette diversification est encore méconnue et je vends sur internet », explique-t-elle. Et d’ajouter : « Vous pouvez avoir le meilleur produit du monde, si vous ne savez pas communiquer, vous perdez du chiffre d’affaires. »

« Les gens connaissent votre visage, votre histoire »

« J’ai commencé à travailler ma communication autour de cet attachement des consommateurs aux producteurs, notamment en circuits courts. On appelle cela le personal branding : votre personne devient une marque, à l’image des influenceurs qui ont un pouvoir incroyable auprès de leurs followers qui s’attachent à eux, connaissent leur histoire et celle de leurs produits, et s’attachent donc à la marque. » La jeune femme de 31 ans a débuté sur TikTok. Le plus difficile est de « se filmer et passer outre ses appréhensions sur son image et ce que l’on pensera de vous », les voisins entre autres et les agriculteurs.

Dépasser ses appréhensions sur son image et ce que l’on pensera de vous.

Des craintes généralement vite oubliées. « Vous créez beaucoup plus d’opportunités que de choses négatives », argue-t-elle, rarement confrontée à des propos malveillants l’attaquant personnellement, ou son métier, sa ferme, l’élevage en général. « J’ai réalisé que le monde agricole est apprécié, et les algorithmes de TikTok et Instagram (où elle est également très active) doivent plutôt me recommander à ceux qui ne le dénigrent pas. » En cas de désaccord, elle incite à discuter, ces discussions pouvant être enrichissantes, en particulier entre éleveurs sur les sujets techniques.

« Plus d’opportunités que de choses négatives »

Auprès des autres publics aussi : « il faut montrer qu’en élevage, il n’y a rien à cacher car notre profession est souvent perçue comme obscure : mais que font les éleveurs dans leurs bâtiments ? » Parfois, ça ne fonctionne pas. Gwenaëlle se souvient avoir eu affaire à quelqu’un de très radical sur l’élevage, et le débat est vite devenu stérile. « Il citait mon nom de famille, le prénom de mon enfant, il avait donc fait des recherches Google sur moi. » La jeune éleveuse n’a pas hésité à supprimer ses commentaires, puis à bloquer son compte.

Je n’ai aucun scrupule à bloquer quelqu’un.

« Je n’ai aucun scrupule. C’est mon compte, j’en fais ce que je veux. Je ne vois pas les réseaux sociaux comme ça ! » Un moyen également de ne pas trop attirer les anti-spécistes. Quant au risque que certains détournent ses images, les utilisent à mauvais escient ? « Je fais hyper attention, répond-elle. Par exemple, je filme les vaches quand elles viennent d’être paillées, et jamais une bête malade ou boiteuse, ni même de bouses. »

Elle recommande « d’être transparent sans donner de bâtons pour se faire battre ». Face à « une telle méconnaissance de la part de nos concitoyens, il est important de répondre à leurs questions, mais de façon maîtrisée par rapport aux médias, grand public notamment ».

Je fais hyper attention à ce que je filme.

Franck Caffin, lui, éleveur dans la Somme, ne rencontre aucune malveillance sur Facebook où il est présent depuis une vingtaine d’années. « Je choisis les personnes que j’accepte, je regarde d’abord leur profil, leur page, ce qu’ils publient et s’ils ont des amis en commun avec moi, précise-t-il. Je connais globalement celles qui réagissent. Et même si la diffusion est publique, il faut aller chercher mes publications. Avec mes 500 amis, je n’ai pas la même puissance que TikTok ! »

Créer une communauté, comprendre les algorithmes

Gwenaëlle y a en effet 21 000 abonnés (1 200 sur Instagram). « Pas besoin de beaucoup d’abonnés, ces deux plateformes ont la particularité de pouvoir vite vous rendre « viral ». Elle prend l’exemple du compte TikTok qu’elle a ouvert, depuis une quinzaine de jours, pour Jeunes Agriculteurs Hauts-de-France où elle est engagée syndicalement. « Le nombre d’abonnés n’était que 80. J’ai posté une vidéo, dès le premier jour, elle a totalisé 160 000 vues et leur nombre est monté à 2 000 ! » « Toutes vos vidéos ne seront pas forcément vues au prorata du nombre d’abonnés », prévient cependant la jeune femme.

Certains réseaux vous rendent vite viral.

Pour avoir de l’impact, il faut se créer une communauté et comprendre le fonctionnement des algorithmes des réseaux sociaux sur lesquels vous publiez. Ce qui s’apprend au fil de leur utilisation. « Vous pouvez vous former, comme moi, en écoutant des podcasts, conseille Gwenaëlle. Plein sont disponibles gratuitement et très bien faits pour les novices. » Jeune maman et éleveuse, elle a choisi, comme communauté, les agricultrices de 18 à 40 ans. « La plupart se retrouvent dans mon histoire, dans ce que je dis », justifie-t-elle.

Une cible et un axe de communication

Elle poursuit : « En devenant mère, je me suis posé de nombreuses questions sur ma vie professionnelle. Je vis à 3 000 à l’heure avec mes vaches laitières, la diversification, mes engagements syndicaux, mon bébé… Comment les femmes du secteur agricole, qui ont une vie de fou, peuvent-elles s’organiser ? Voilà mon axe de communication, à travers des conseils techniques, en élevage principalement, je me suis rendue compte qu’il y en a très peu. » « Je tourne des vidéos sur ce que j’ai envie de regarder : des astuces sur la ferme pour être efficace et gagner du temps. Quand je parle technique, cela touche l’ensemble des éleveurs. »

Un cercle d’échange qui nous ressemble.

Pourquoi le choix de TikTok et Instagram ? Ce sont deux réseaux sur lesquels elle consommait du contenu. Selon elle, mieux vaut communiquer sur une plateforme où on aime être, à laquelle on est habitué. Franck a opté pour Facebook : « Mes enfants grandissant, je voulais savoir ce qu’il s’y passait, comment ça marchait. Je me suis pris au jeu, j’ai consulté de plus en plus de choses en lien avec l’agriculture. » « Pour moi, il s’agit avant tout d’un lieu d’échange professionnel, je ne mets rien de perso », reprend-il.

L’agriculteur de 55 ans confirme : il s’est familiarisé avec le temps à ce réseau social. Essentiel avant de se lancer, insiste-t-il. De même qu’interragir avec les autres, liker, partager. Et ensuite, comme Gwenaëlle, se constituer un réseau d’amis : « une communauté qui nous ressemble », souligne-t-il. « Je n’ai que 500 amis mais je cherche d’abord à échanger avec d’autres éleveurs. » Franck la rejoint aussi sur ce point : il faut avoir en tête les messages que l’on souhaite faire passer.

Une portée et des objectifs parfois très différents

Maître d’apprentissage depuis deux ans, il axe sa communication sur cette thématique pour recruter plus facilement. Et a donné, en vidéo, la parole à une apprentie qui, ayant fait du théâtre, est particulièrement à l’aise face caméra. « Au début, j’ai un peu galéré pour la prise de vue et surtout le montage, se rapelle-t-il. Plusieurs soirées sur CapCut, l’outil en ligne gratuit conseillé par mes enfants, même s’il n’est pas compliqué. Maintenant, je maîtrise mieux. »

L’éleveur partage ses publications sur les pages « Pôle emploi en agriculture » et « apprentissage, stage en agriculture ». Il se sert également de Facebook dans le cadre de ses engagements syndicaux, pour transmettre des infos et messages autrement que par mail, le média habituel de ces organisations.

Son objectif n’est pas, comme Gwenaëlle, de publier tous les jours ou toutes les semaines. Communiquer sur son métier d’éleveur sur les réseaux sociaux ne lui prend pas beaucoup de temps contrairement à la jeune agricultrice pour qui, « honnêtement, sans vouloir dissuader quiconque », cette passion, car c’en est bien une, est « chronophage ». « Mes vidéos assez travaillées, avec pas mal de montage sur CapCut également et Canva, sont ma marque de fabrique », indique-t-elle.

Malgré une portée plus limitée, Franck est satisfait des résultats : plusieurs jeunes l’ont contacté pour un stage ou un apprentissage dès sa première vidéo, qui leur avait donné envie de travailler sur l’exploitation, sans avoir vraiment consulté d’offres ailleurs. Par ce biais, il a trouvé une deuxième apprentie en une semaine ! Quatre stagiaires alternent aussi sur la ferme jusqu’à fin juillet. Aucun n’est issu du milieu agricole. « Pas facile pour eux, ils ne savent pas où se renseigner, alors si je peux les aider », se réjouit-il.

Se former

Avec actuellement 1,5 salarié sur sa structure au lieu de 2,5 (départs pour raison de santé), son but est désormais davantage de former des apprentis, sans les embaucher dans l’immédiat. « Un panel de jeunes qui ont l’expérience de l’exploitation. Quand j’aurai besoin d’un salarié, je saurai qui appeler », détaille l’exploitant. « Prendre des stagiaires et des apprentis permet tout autant de promouvoir le métier d’éleveur », fait-il remarquer.

Il n’y a pas de personnes plus douées que d’autres.

Sur les réseaux sociaux, pour revenir au sujet de ce webinaire, organisé par le groupe « attractivité du métier » du programme régional élevage des Hauts-de-France, « il n’y a pas de personnes plus douées que d’autres, ni d’âge limite, concluent les organisateurs. Peu importe la plateforme, tous les éleveurs peuvent communiquer sur leur métier. Ils sont même les mieux placés, notamment pour tordre le cou aux idées reçues et lutter contre l’extrémisme dans le domaine de l’élevage. » On peut être jeune, plutôt pro et très assidue comme Gwenaëlle Desrumaux ou plus âgé, pas si régulier et avec des contenus un peu moins élaborés comme Franck.

Sachant qu’il existe des formations, prises en charge par Vivea, pour ceux qui désirent s’y mettre ou progresser. Développer un argumentaire efficace sur ses pratiques, répondre aux questions du grand public, savoir réagir aux attaques, gagner en confiance et en efficacité, améliorer son impact… sont les principaux thèmes abordés, en favorisant les échanges, les mises en situation et retours d’expérience. Des experts peuvent accompagner, individuellement, si nécessaire (dans la région, une sociologue-agronome et coach de l’idele et une conseillère numérique avec un bachelor en communication).