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Reportage à l'EARL Savary (62)

« Le confort de travail, aussi important que le bien-être du troupeau »


TNC le 27/08/2021 à 05:48
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Chez Valérie et Christophe Savary, éleveurs laitiers dans le Pas-de-Calais, la réduction de la pénibilité du travail, initiée suite à des problèmes de santé, est devenue une vraie réflexion stratégique pour l'exploitation, voire une philosophie de vie. Les producteurs ont fait « de cet inconvénient une force pour faire évoluer leurs pratiques » : ils s'équipent, s'entourent et s'organisent, « non pas pour partir plus en vacances mais pour améliorer leur bien-être au quotidien ».

Au sein de l’EARL Savary à Zutkerque dans le Pas-de-Calais, les éleveurs, Valérie et Christophe, font autant attention à leur bien-être qu’à celui de leurs 90 vaches laitières. De race Prim’holstein, ces dernières produisent 900 000 l de lait sur 96 ha. Christophe s’est installé en 2000 sur l’exploitation, dans la famille depuis quatre générations. Il est épaulé par son épouse, salariée sur la ferme. Non issue du milieu agricole, et travaillant dans le prêt-à-porter, Valérie apporte un regard neuf sur le fonctionnement de l’élevage, de l’aspect du corps de ferme au confort de travail des producteurs.

« Avoir une ferme accueillante, et un outil de production agréable et fonctionnel, contribue fortement au bien-être des éleveurs et peut faire partie des motivations pour exercer ce métier, insiste l’exploitante qui a commencé par faire bétonner la cour. Combien de fois j’ai entendu qu’une ferme ne pouvait pas être propre ! Or c’est tout à fait possible même si je reconnais que je suis un peu maniaque… » Valérie et Christophe poursuivent les transformations avec une nouvelle stabulation de 40 logettes sur caillebotis intégral et une salle de traite par l’arrière 2×8. La production laitière, de 400 000 l initialement, peut alors augmenter progressivement pour atteindre le volume actuel. Puis c’est au tour de l’étable à veaux d’être aménagée.

Combien de fois j’ai entendu qu’une ferme ne peut pas être propre !

La stabulation des vaches laitières en logette sur caillebotis intégral. (©TNC)

Il y a quatre ans, tout s’accélère. Valérie souffre de fortes douleurs dans les épaules. Au bout d’un certain nombre d’examens et consultations, le diagnostic tombe : en raison de troubles musculosquelettiques (TMS) au nom barbare − arthrophie inflammatoire du tendon supra-épineux−, l’éleveuse ne peut plus lever les bras et donc travailler comme avant. « J’aime tellement ça ! Je ne me voyais pas arrêter l’élevage pour ne faire que des cultures !! », s’exclame-t-elle. «  Nous avons fait de cet inconvénient une force pour faire évoluer nos pratiques », renchérit son mari.

18 000 € d’équipement pour soulager le dos et les épaules

Le couple fait venir un ergonome sur l’exploitation. Une démarche qui a mis en évidence « les postures posant problème ». Ensuite, « nous avons dû chercher des solutions », explique Valérie. Ils s’équipent alors au printemps 2020 d’un  taxi-lait pour un montant de 6 680 €. Un outil « plus précis et constant, en quantité comme en température, ce qui est également bénéfique aux bien-être et performances des animaux ».

Dans la foulée, Valérie et Christophe investissent dans un exosquelette (5 750 €). « Je ne trais plus sans », précise l’éleveuse qui a fait installer des alimentateurs en salle de traite pour que les vaches y entrent plus facilement. Autre aménagement : des boutons tactiles pour le décrochage des griffes et l’ouverture/fermeture des barrières, auparavant pneumatiques. Et quand on leur demande pourquoi ils n’ont pas choisi un robot de traite, ils répondent d’une même voix : « La salle de traite date de 2007. Même si le branchement par l’arrière n’est pas ce qu’il y a de mieux pour les épaules, nous n’allions pas mettre un investissement si coûteux à la poubelle ! Nous avons préféré améliorer l’existant, c’est ça la résilience !! »

Nous avons préféré améliorer l’existant, c’est ça la résilience !! 

Puis, Christophe et Valéry acquièrent une brouette basculante pour pailler les cases des veaux, une balayeuse pour le nettoyage des logettes et une lame pour repousser le fourrage. Côté reproduction, les producteurs disposent de colliers de détection des chaleurs. « C’est autant de jours de gagnés pour les vêlages ! », ajoute le couple. Des supports sur roulettes et autres diables permettent enfin de manipuler et transporter les bidons de produits, seaux, etc. Même le bureau a été adapté au handicap de Valérie : clavier et hauteur de l’écran d’ordinateur, siège, porte-documents.

L’ensemble de ces équipements − un investissement total de près de 18 000 € − a été pris en charge à hauteur de 45 % par l’Agefiph (organisme qui favorise l’insertion, le maintien et l’évolution professionnelle des personnes handicapées dans les entreprises du secteur privé). « C’est un peu un cercle vicieux, déplore Valérie. Il faut être reconnu travailleur handicapé pour toucher des aides, mais ça ne fonctionne pas pour les chefs d’entreprise. Heureusement pour ma part, je ne suis que salariée. J’aurais également pu être reconnue invalide pour toucher une indemnité mais ce statut m’aurait interdit de travailler. »

S’entourer et s’organiser pour avoir du temps libre

Le bien-être de l’éleveur pour nous, ce ne sont pas les vacances mais du confort dans le travail au quotidien.

Les éleveurs ne se sont pas seulement équipés, ils ont mis en place une organisation du travail efficiente au sein de l’élevage. Ainsi, Christophe s’occupe des cultures et de l’alimentation du troupeau, Valérie de la conduite de l’élevage et de la gestion du personnel, tout en se relayant pour les tâches pénibles. Malgré tout, la fatigue s’accumule. « Un jour, j’ai mis du lait de vache à mammite dans le tank, un vrai électrochoc !, se souvient la productrice. Il fallait se dégager du temps pour vous, pouvoir couper régulièrement plutôt qu’une fois par an pour les congés. Cela permet d’éviter de telles erreurs mais aussi de prendre du recul sur l’exploitation, sur sa gestion. »

Pour un apport de main-d’œuvre régulier, les exploitants embauchent une salariée agricole 10 à 15 h/semaine et, depuis six ans, des apprentis. En ce moment, ils sont même deux. « Nous nous faisons accompagner sur la gestion du personnel : définir clairement les missions, sélectionner les candidats, les intégrer dans l’exploitation, assurer leur suivi, etc. »

« Quand on prend un apprenti, il faut se montrer disponible et leur confier de réelles tâches », estiment les éleveurs. (©TNC)

D’ailleurs, question passage des consignes, les exploitants sont au top : les murs des bâtiments, de la salle de traite et même certains matériels sont couverts d’affiches et notes en tout genre.  « Quand on prend un apprenti, il faut se montrer disponible et leur confier de réelles tâches. Sur le plan financier, l’aide de 8 000 € est vraiment incitative », ajoutent-ils. Au-delà de l’objectif de toujours traire en binôme (les deux éleveurs, éleveur-salarié, éleveur-apprenti, salarié-apprenti), Valérie et Christophe apprécient les échanges avec des personnes extérieures, sur l’agriculture, le métier, leur structure, ou tout autre sujet. « Travailler seul ou en couple tous les jours, ce n’est pas facile », estiment-ils. 

Question passage des consignes, les exploitants sont au top ! (©TNC)

Ne pas s’enfermer dans son quotidien

Valérie et Christophe sont ouverts autant sur l’extérieur (ils ont récemment invité le conseil municipal pour présenter leur exploitation et connaître les attentes du grand public) qu’aux évolutions. À l’affût des nouveautés, ils sont toujours prêts à faire évoluer leurs pratiques. « Notre but est d’améliorer continuellement le confort de travail, une stratégie valable dans toutes les exploitations d’ailleurs, même quand les agriculteurs n’ont aucun problème de santé », soulignent-ils. C’est pourquoi le couple est engagé dans l’association Terr’Avenir qui propose un accompagnement pour la gestion d’entreprise, l’organisation du travail, le management des salariés, la réglementation, l’environnement…