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Pierre Le Baillif, éleveur (Eure)

« L’apprentissage, une école du salariat pour les éleveurs voulant embaucher »


TNC le 11/08/2023 à 04:51
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« Afin de renouveler les générations d’éleveurs, nous devons commencer par former des stagiaires et apprentis », estime Pierre Le Baillif, éleveur laitier à Saint-Jean-du-Thenney.

Travailler avec des stagiaires et apprentis, une « habitude » au Gaec de Bocquemare, déjà du temps du père et de l’oncle de Pierre Le Baillif, éleveur de vaches laitières avec son frère dans l’Eure. Motivations, démarches, management, coût, apports mutuels… il explique la marche à suivre pour embaucher et bien accompagner les jeunes afin que le stage ou l’apprentissage soit un « bon investissement », pour l’agriculteur qui forme la nouvelle génération et comme pour l’avenir de celle-ci.

« L’apprentissage est une école du salariat agricole pour les éleveurs qui ont l’habitude de travailler seuls et ayant besoin de main-d’œuvre dans leur élevage », résume Pierre Le Baillif, producteur laitier à Saint-Jean-du-Thenney (Eure). Installé en avril 2011 sur la ferme dans la famille depuis deux générations, il élève, en Gaec avec son frère depuis décembre 2015, 110 vaches sur 250 ha de polyculture. Habitués depuis longtemps à voir des stagiaires et apprentis aux côtés de leur père et leur oncle, c’est naturellement que Pierre et Louis ont continué ainsi.

Prendre un salarié/apprenti : les motivations

Celles de Pierre sont multiples. Au-delà de l’appui de main-d’œuvre, il aime partager sa passion et son expérience du métier d’éleveur afin de susciter des vocations chez les jeunes et de les aider à concrétiser leurs projets professionnels. « L’atelier lait s’est développé à mon installation, suite à une augmentation de 200 000 l de la référence laitière. Mais je ne me sentais pas d’embaucher tout de suite un salarié. Nous traversions une période un peu difficile, il fallait faire attention aux charges », détaille-t-il.

Susciter des vocations, former la relève.

Il y a trois ans, l’exploitation a de nouveau évolué avec la création d’une unité de méthanisation. « La formation est une composante de notre profession, estime le producteur. Pour renouveler les générations d’éleveurs, il faut commencer par former des stagiaires et apprentis. Investi plusieurs années dans le réseau JA, je trouve ça important », poursuit-il.

Quelles sont les qualités pour être un bon maître de stage/apprentissage ?

« Être patient, compréhensif, pédagogue pour bien expliquer les tâches à effectuer, laisser le temps d’assimiler et progresser, tout en étant exigeant et en signalant les erreurs, sans s’énerver toutefois », répond Pierre. Autrement dit : « savoir écouter et communiquer. » Ainsi, les stagiaires ou apprentis pourront s’améliorer et devenir autonomes, c’est le but, insiste-t-il.

Patient, pédagogue, ouvert, à l’écoute, exigeant.

Le temps passé à les encadrer est rarement perdu, car le travail sera bien réalisé derrière. « 30 min d’explications et on gagne plusieurs heures ensuite », illustre l’éleveur qui donne ses directives à l’oral, le passage à des protocoles écrits étant une voie d’amélioration possible selon lui.

Celles d’un bon stagiaire/apprenti

Eux aussi doivent être à l’écoute et retenir, les consignes notamment, comme les informations et conseils en général. « Ne pas être trop tête en l’air et persévérer quand ils n’y arrivent pas », ajoute Pierre avant de compléter : « Se montrer polis, ponctuels et curieux est également essentiel. Certains peuvent être efficaces mais ne parlent pas beaucoup. L’objectif est quand même d’échanger. D’autres sont un peu trop bavards. Il faut un juste milieu. »

Être respectueux et curieux, savoir écouter.

En somme : « toutes les qualités d’un bon salarié », conclut-il, avant de nous raconter une petite anecdote : « Un jeune avait tendance à oublier d’ouvrir les cornadis, avant de rentrer chez lui. On lui a dit plusieurs fois, sans effet. Alors, un soir, je l’ai fait revenir – il n’habitait pas trop loin – résultat : après, il y pensait ! »

L’élevage compte 110 vaches pour une référence de 980 000 l, sur 250 ha de SAU. ( © Terre-net Média)

Des différences entre profils ?

Entre des jeunes du monde agricole ou non, par exemple, ou en fonction des formations suivies : Capa, Bac pro, BTSA, école d’ingénieur. « Tous les profils ont un intérêt pour des raisons diverses. Ceux qui découvrent l’agriculture rencontrent parfois des difficultés concernant leur orientation professionnelle. Ici, ils apprennent des choses nouvelles, souvent plus concrètes que l’environnement habituel des adolescents d’aujourd’hui avec les nouvelles technologies, les réseaux sociaux. Il faut leur consacrer plus de temps, mais ils nous apportent un œil extérieur. Ils posent parfois des questions auxquelles on n’aurait pas pensé. »

Un œil extérieur sur nos projets.

« Les ingénieurs ou les BTS, eux, nous amènent de nouvelles idées ou améliorations pour l’exploitation, grâce aux projets qu’ils doivent mener. On leur propose aussi de réfléchir aux nôtres, comme lors du développement de la production laitière, avant de se lancer dans la méthanisation, ou pour installer une presse à huile de colza afin de limiter le recours au soja pour les vaches.

Comment bien recruter ?

L’exploitant fonctionne beaucoup par bouche-à-oreille. « Que nous prenons des stagiaires et apprentis depuis pas mal d’années se sait sur le terrain, et des jeunes viennent directement se renseigner », indique l’exploitant. La ferme est aussi connue des établissements agricoles de la région qui transmettent les coordonnées à leurs élèves. Dernièrement, Pierre a mis une annonce sur la plateforme Stage-agricole.com, créée en 2016 par Jeunes Agriculteurs de Gironde et étendue ensuite à d’autres départements, dont l’Eure début 2023. Il a déjà eu quelques contacts et va bientôt recevoir un étudiant de BTS pour un entretien.

Un outil supplémentaire, qu’il juge « très pratique » tant pour les stagiaires/apprentis que les agriculteurs qui en cherchent. En effet, toutes les offres sont centralisées, « un véritable vivier », et peuvent être triées par localisation géographique, production, etc. « Un vrai plus pour les jeunes qui ne sont pas du milieu agricole, ou à l’inverse qui ont des critères de sélection précis », souligne Pierre comparant « le porte à porte qui, pas toujours fructueux, peut s’avérer décourageant ». Et pour les employeurs, « c’est un réel gain de temps ».

Et après, quelles démarches ?

Pierre pratique systématiquement une période d’essai de deux jours, via un contrat avec le service de remplacement, pour vérifier en étant couvert en termes d’assurance que ça va aller côté employeurs comme pour les stagiaires/apprentis. « Une sécurité, très rapide à mettre en place. Et pas de papier à refaire si on décide de ne pas donner suite », fait-il remarquer précisant que cette situation s’est rarement produite.

Ensuite, pour les stagiaires, il suffit de remplir et signer la convention de stage établie par l’école. Pour les apprentis en revanche, il faut renvoyer à la MSA une déclaration préalable à l’embauche (à noter : une période d’essai de 45 jours est prévue). Pour cette formalité, comme pour les relevés d’heures et bulletins de paye, l’agriculteur fait appel au service Securipaie de la FDSEA 27, pour un coût de 200 €/an.

Comment bien accueillir/intégrer les jeunes ?

Après visite et présentation des différents ateliers, ils débutent par une phase d’observation. Pierre leur confie ensuite des missions simples (l’alimentation des veaux, puis des génisses, etc.), d’abord en sa présence avant de les laisser seuls avec, progressivement, de moins en moins de contrôles. « Les stagiaires/apprentis, déjà en place, assurent un tuilage auprès des nouveaux, ce qui les valorise », met-il en avant.

« L’accompagnement de la part de l’employeur s’effectue dans la durée, de quelques semaines pour un stage à trois ans pour l’apprentissage », tient-il à spécifier. Quant au rapport que les étudiants doivent rédiger, il faut se rendre disponible pour fournir les données nécessaires et les aiguiller si besoin.

Pierre confie d’abord des missions simples aux stagiaires et apprentis (atelier veaux, puis génisses…), en sa présence puis en autonomie. ( © Terre-net Média)

Au niveau des conditions matérielles, une salle est mise à disposition pour les repas, les pauses, déposer les affaires… Des déjeuners sont régulièrement pris en commun lors des gros chantiers (moisson, ensilage), et pour la convivialité et les échanges, sur la ferme, l’agriculture et plein d’autres sujets.

« Cela permet de s’informer mutuellement sur les travaux quotidiens et de mieux se connaître », appuie Pierre. L’éleveur, qui héberge ponctuellement les jeunes qui habitent loin dans les maisons de l’exploitation, prévoit d’aménager une petite chambre avec douche, lavabo, kitchenette pour qu’ils soient plus autonomes.

Quel coût ?

Le producteur donne une petite gratification aux stagiaires, en fonction de la durée du stage et du niveau de formation, soit une centaine d’euros en moyenne. À partir de la rentrée scolaire 2023, les Bac pro recevront une rémunération de l’État : 50 €/semaine en 2nde, 75 € en 1ère et 100 € en terminale. Quant aux apprentis, l’employeur doit leur verser un salaire minimum dépendant de leur âge et de l’année d’apprentissage.

  • De 15 à 17 ans : 461,52 € brut/mois (année 1), 666,62 € (année 2) et 940,10 € (année 3).
  • De 18 à 20 ans : 734,99 € brut/mois (année 1), 871,73 € (année 2) et 1 145,22 € (année 3).
  • De 21 à 25 ans : 905,92 € brut/mois (année 1), 1 042,66 € (année 2) et 1 333,24 € (année 3).
  • À partir de 26 ans : Smic mensuel brut, soit 1 709,28 € actuellement.

Pas une charge, mais un bon investissement.

« Il y a un peu de net à sortir, les salaires sont toutefois modérés et l’aide de l’État intéressante : 6 000 € versés la première année, reconnaît Pierre. Il ne faut pas se baser sur les premiers mois où l’apprenti prend ses marques. Sur la durée, ce n’est pas une charge, mais un bon investissement. »

Une passerelle vers le salariat ?

Actuellement, trois apprentis sont présents sur la structure : Florian en dernière année de Bac Pro CGEA, Killian en Capa première année et Jules, en 1ère année de Capa également et encore à l’essai. Même attiré par l’agriculture, avec un père salarié agricole, Florian Bouché se souvient qu’il « ne savait pas grand-chose au départ et a appris sur le tas grâce aux explications et à la patience » de l’éleveur. Aux apprentis aussi « d’être motivés, de bien écouter et de s’appliquer tout en étant efficaces », poursuit-il. Aujourd’hui, il « fait un peu de tout » et apprécie cette diversité.

Maintenant, on peut embaucher sereinement !

Florian Bouché, apprenti pendant trois ans, va bientôt être salarié sur l’exploitation. ( © Terre-net Média)

La preuve que « l’apprentissage en agriculture est une école du salariat », selon les mots de Pierre Le Baillif : à partir de septembre, Florian deviendra salarié du Gaec. « Au bout de trois ans, on se connaît bien, précise le producteur. On s’entend bien. Florian est sérieux, autonome. Il travaille bien et est investi dans l’exploitation et ses projets. »

« Maintenant, on peut passer sereinement le cap d’embaucher quelqu’un, se réjouit-il. Avoir une personne de confiance à même de gérer les problèmes comme nous le ferions, de prendre des initiatives, et à qui nous pouvons laisser la ferme un après-midi, voire davantage, pour une obligation professionnelle ou familiale, c’est vraiment appréciable ! »