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Témoignage d'Antoine Thomas (50)

« 6 ans après mon installation, je raccroche la cotte et les bottes »


TNC le 31/08/2020 à 08:55
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Six ans après son installation, le jeune agriculteur normand Antoine Thomas a finalement pris la décision de quitter le Gaec. Pour cause de mésentente avec l'un de ses associés, ce passionné de vaches a eu besoin de tourner la page. Il nous explique pourquoi et comment il en est arrivé là...

« Après avoir chargé mes vaches dans un camion hier midi, arrêté les robots hier soir, éteint le tank ce matin, il est venu le temps pour moi de poser la cotte et les bottes. Non pas sans regret mais avec une nouvelle histoire à écrire. » Voilà ce que postait sur Twitter fin juillet Antoine Thomas, jeune agriculteur de la Manche.

Une mauvaise entente entre associés

Installé à quelques kilomètres de Coutances dans la Manche depuis 6 ans et demi, le jeune agriculteur de 34 ans a pris cette lourde décision suite à un problème d’entente avec l’un de ses trois associés. « Nous étions tous les deux spécialisés sur l’atelier laitier, tandis que les deux autres étaient plutôt sur l’atelier porcin [180 truies naisseur-engraisseur] et les cultures, mais entre nous, ça ne se passait pas très bien. On ne faisait pas les choses de la même façon et je n’étais pas satisfait de la qualité du travail fourni. Forcément, ça a tendu les relations », reconnaît-il.

« J’ai essayé de prendre sur moi, d’exposer mon ressenti aux autres. J’ai fait une formation et me suis remis en question. Je me disais que j’étais peut-être trop perfectionniste mais les résultats techniques ne mentaient pas : il y avait un problème. » Pour Antoine, passionné des vaches, la situation empirait. Il se souvient : « J’étais tout le temps tendu, je m’énervais et ça impactait ma vie de famille à la maison. »

C’est en rentrant des congés estivaux l’année dernière que le déclic s’est produit. « C’était la première fois que je ressentais ça : je n’avais pas envie de retourner travailler. J’ai attendu encore un peu, histoire d’être bien sûr de moi, puis j’ai annoncé à mes associés que ce n’était plus possible et qu’il fallait que j’arrête. »

« J’ai vendu les vaches et arrêté les robots »

La décision d’Antoine n’a pas été bien perçue et les relations se sont tendues un peu plus… Jusqu’à ce que son binôme dans les vaches décide à son tour de quitter la structure. « Il y avait quand même 1,63 million de litres à produire, il ne voulait pas gérer ça tout seul. » Une aubaine pour l’éleveur ? « On m’a proposé de faire machine arrière et le laisser partir pour reprendre ma place mais ma décision était prise. »

Et tout comme le parcours à l’installation, la sortie du Gaec ne s’est pas faite du jour au lendemain. Il a fallu un an de procédures et forcément, l’ex-agriculteur y a laissé de l’argent. Avec le recul, Antoine avoue : « C’est dommage d’en arriver là car l’exploitation tournait bien. En toute honnêteté, on gagnait de l’argent. Et à 4 + 1 salarié, on arrivait à se dégager du temps. Comme quoi, l’humain est plus important que l’économique », confie-t-il.

Pour d’autres, ce sont les prix non rémunérateurs qui bouleversent le système. Retrouvez par exemple ce témoignage de 2019 d’un éleveur du Finistère : « Les crises du lait ont déclenché des changements radicaux pour notre élevage »

Et entre la prise de décision le 1er août 2019 et sa sortie définitive le 31 juillet 2020, il a fallu tout bazarder. « Les deux associés restants ne voulaient pas conserver les vaches, explique Antoine, et je me suis engagé à être présent et faire les choses bien jusqu’au bout. » Il s’est donc occupé de vendre son troupeau. « 70 % des vaches sont parties chez des connaissances pour des projets d’installation ou d’agrandissement, alors je suis assez satisfait. Ça n’a pas été un crève-cœur comme j’aurais pu l’imaginer, heureusement. »

« Ne pas avoir peur d’en parler »

Si Antoine Thomas a accepté de témoigner, c’est « parce que c’est encore un sujet tabou aujourd’hui. On parle beaucoup de suicide en agriculture mais c’est avant d’en arriver là qu’il faut agir. Tout ne se passe pas toujours très bien et il ne faut pas avoir peur d’en parler, même à ses collègues. On est d’ailleurs surpris de voir les langues se délier lorsqu’on commence à discuter de ça. On n’est pas tout seul dans cette situation. »

L’éleveur a eu la chance d’être épaulé : « Ma femme et mes enfants m’ont beaucoup aidé, mais aussi le groupe de JA dans lequel je suis. Toutes les réunions et temps d’échanges ont été d’un vrai soutien. Ils m’ont permis de passer cette épreuve. J’y ai d’ailleurs encore adhéré cette année car je leur dois bien ça. » Le jeune homme insiste même aujourd’hui pour que l’humain soit davantage abordé dans les moments de partage, plus que le traditionnel volet technico-économique.

Comme en témoigne cette photo partagée sur son compte Twitter, Antoine revit aujourd’hui. « Lorsque j’ai annoncé que j’arrêtais la ferme, on m’a tout de suite proposé du travail. Je commence d’ailleurs en septembre dans l’alimentation des vaches laitières. »

Et lorsqu’on lui demande pourquoi il n’a pas réfléchi à se réinstaller seul, il confie : « En 6 ans, j’ai fait évoluer le troupeau, j’ai vu beaucoup de choses, mais j’ai l’impression d’avoir fait le tour. Et j’ai surtout été démotivé par la situation. Je serai bien plus utile dans mon nouveau travail, qui plus est au contact des animaux donc ça me va. »

Il reste tout de même une sacrée page à tourner. Pour cela, la famille a décidé de déménager à une cinquantaine de kilomètres de l’exploitation. « C’est important pour nous, ça va nous aider à nous reconstruire. » Et même s’il veut passer à autre chose, Antoine ne veut pas effacer cette partie de sa vie : « Je serai toujours d’accord pour en parler avec des collègues. Un ancien agriculteur a su me tendre la main et a été présent pour discuter avec moi lorsque ça n’allait pas. Si on me sollicite, je ferai de même. » Préférant voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide, il explique que ça aurait pu être pire encore pour lui : « J’ai quitté un groupement avec des tiers, ça aurait été plus difficile encore s’il s’agissait d’un Gaec familial et pourtant, ça arrive aussi. » C’est pour cette raison qu’il invite tous ceux qui sont dans la difficulté à parler : « Quand on en discute, même si les gens comprennent et compatissent, ils ne peuvent pas vraiment nous aider s’ils n’ont pas vécu cette situation, nous si. »