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[Témoignage] Arbres fourragers

A. Messéan (02) : « Un complément de fourrage pour combler le déficit en herbe »


TNC le 09/10/2020 à 06:02
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Certains éleveurs remettent au goût du jour l'utilisation des arbres comme fourrages pour nourrir leur troupeau. C'est le choix d'Adrien Messéan, polyculteur-éleveur dans l'Aisne. Pour combler le déficit en herbe et éviter d'épuiser ses prairies, son troupeau de Limousines se régale de feuilles d'arbres d'août à octobre. Une technique qui permet aussi de diversifier les apports alimentaires et d'apporter des éléments nutritifs différents.

Depuis son installation en 2013 sur une exploitation bio en polyculture élevage allaitant dans l’Aisne, Adrien Messéan donne à ses Limousines des feuilles d’arbres. « C’est un complément de fourrages depuis août jusqu’à octobre, ça comble le déficit en herbe et évite de taper dans les stocks hivernaux, apprécie l’éleveur. Cela me permet de conserver un aliment vert tout en évitant d’épuiser la prairie ». Cette pratique est ancestrale et les vaches mangent naturellement les feuilles qu’elles ont à leur portée.

Marqués par les sécheresses consécutives, des éleveurs s’intéressent de nouveau à cette pratique. En effet, avec leurs racines profondes, les arbres ont accès à plus de ressources hydriques que l’herbe. « Les arbres sont des alliés face aux pénuries de fourrages. En cas de sécheresse mais pas seulement, ils fournissent des ressources alimentaires qu’il est intéressant de valoriser », encourage Adrien Messéan.

Branches et feuillages peuvent être distribués de différentes façons : en affouragement apporté à la stabulation, coupés et laissés au sol dans les prairies, en laissant l’accès des arbres et haies aux animaux. « J’ai testé différentes techniques, témoigne l’éleveur. La plus intéressante, en termes de compromis entre le temps de travail, la quantité valorisée et la préservation des arbres, est de poser les branches au sol après élagage, directement dans la pâture ».

De multiples intérêts

En France, il y a une centaine d’essences d’arbres et arbustes qui poussent spontanément. « Une cinquantaine sont mangeables par les bovins, les ovins et les caprins et 25 sont vraiment intéressants, comme les frênes, les alisiers, les châtaigniers, les noisetiers, partage l’éleveur botaniste. Pour équilibrer la ration, c’est un peu comme une prairie naturelle, on ne peut pas connaître exactement la valeur alimentaire. On sait déjà que le frêne, le saule, l’érable peuvent remplacer du foin ».

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Autre intérêt, les feuillages permettent de diversifier les apports alimentaires. Comme les arbres et arbustes sont de familles différentes des plantes herbacées et qu’ils explorent d’autres profondeurs du sol, ils apportent des éléments nutritifs différents qui peuvent avoir un intérêt santé, comme les tannins très présents dans les saules blancs. « Distribuer des feuillages a probablement un intérêt en phytothérapie, témoigne Adrien Messéan, qui reconnaît ne pas avoir de problème de parasitisme interne dans son troupeau.

Cette valorisation fourragère des arbres s’inscrit dans la mise en avant de l’agroforesterie, associant arbres et cultures ou élevages sur les mêmes parcelles, pour accompagner l’agriculture face aux changements climatiques. « Ça renforce la place des arbres dans les élevages, apprécie Adrien Messéan. Non seulement ils ont un intérêt pour la biodiversité et le bien-être des animaux par leur ombrage en prairie, mais ils représentent également une ressource fourragère complémentaire. Donc si on veut implanter ou regarnir des haies, autant choisir les espèces en pensant à cette possibilité de valorisation fourragère ».

Retrouvez le témoignage vidéo d’Adrien Messéan :

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Une pratique à faire connaître

Pour sortir cette pratique de la confidentialité, il reste de nombreux points à travailler, comme la mécanisation de la distribution. « Avec les lamiers ou les outils d’élagage thermiques, on peut récolter des branches inférieures à 5 cm de diamètre. C’est plus sur la distribution qu’il nous faudrait des avancées, comme des pinces à mettre sur un chargeur pour faciliter le transport », reconnaît l’éleveur.

Sur sa ferme expérimentale de Lusignan (Vienne), dans le cadre du projet OasYs, Inrae conduit des travaux autour de l’agroforesterie en comparant différentes implantations : des lignes d’arbres au sein des pâtures exploitées, des haies, une parcelle forestière. « Les premiers arbres ont été plantés en 2014. À l’été 2021, les bovins commenceront à les pâturer », explique Sandra Novak, l’ingénieure de recherche en charge de ce projet. Les équipes d’Inrae espèrent pouvoir fournir aux éleveurs des indications sur les conditions optimales d’exploitation des arbres et arbustes au pâturage, en testant différents modes de taille et d’intensité de pâturage.

À un niveau plus fondamental, les chercheurs ont analysé les valeurs nutritives d’une cinquantaine d’espèces d’arbres et arbustes. « On a étudié les mêmes caractéristiques que pour les fourrages herbacés, souligne Sandra Novak. Nous devons encore étudier, par exemple, leur digestibilité et leur ingestibilité, pour arriver à les intégrer dans des rations mais aussi leurs effets sur la santé ». Plusieurs espèces ont un profil intéressant en énergie et azote, comme le mûrier blanc et le frêne commun, d’autres avec de bonnes valeurs comme le châtaignier, l’orme, le tilleul et l’aulne.

Pour accompagner les éleveurs dans la redécouverte de ces pratiques, Adrien Méssean anime des formations avec la structure Gaïa-consulting et l’association française d’agroforesterie. « Il y a de nombreuses inscriptions pour les sept premières dates », se réjouit-il à la perspective de voir ses collègues se lancer dans la valorisation fourragère des arbres.

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